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critiques et comptes rendus
Ballets de Monte-Carlo

28 décembre 2017 : La Mégère apprivoisée (Jean-Christophe Maillot) au Grimaldi Forum


Ekaterina Petina (Katharina) - Matej Urban (Petruchio)


En juillet 2014, le Bolchoï créait La Mégère apprivoisée, un ballet spécialement chorégraphié pour la compagnie moscovite par Jean-Christophe Maillot. Cette première fut un événement à double titre : parce que c'était le Bolchoï, compagnie où les créations restent assez rares, et parce que le ballet était signé Jean-Christophe Maillot, qui, de son propre aveu, n'apprécie guère d'écrire pour d'autres danseurs que «les siens». Voulue par Serguei Filine, le directeur d'alors, cette création imprima un nouveau tournant dans l'aggiornamento du Bolchoï, entamé déjà depuis une bonne décennie. Couronnée par un succès public, saluée par la critique, largement récompensée de surcroît, cette Mégère apparaît aujourd'hui comme un tube incontournable du Bolchoï (que nous avions chroniquée à l'occasion de sa venue à Monte-Carlo), mis régulièrement à l'affiche. Il faut dire que Maillot, qui avait eu carte blanche pour sa création, avait réussi à monter un spectacle, sinon parfait, du moins en adéquation parfaite avec le Bolchoï et les qualités de ses danseurs.

Ekaterina Petina (Katharina) - Matej Urban (Petruchio)

Une comédie de Shakespeare pour le livret, un patchwork génial de pièces de Chostakovitch pour la partition – la bande son devrait-on dire plutôt -, une scénographie efficace d’Ernest Pignon-Ernest, une chorégraphie, enfin, qui, sans être particulièrement novatrice, savait exploiter au mieux tout ce qui fait le génie des artistes du Bolchoï : la théâtralité, l'extraversion, la virtuosité – l'hénaurmité aussi. Bien qu'étrangers a priori à son langage chorégraphique, les créateurs du ballet, à commencer par Ekaterina Krysanova et Vladislav Lantratov, se l'étaient approprié de formidable manière, révélant à travers leur incarnation des personnages de Katherina et Petruchio des facettes totalement inédites de leur personnalité. Le bonheur de cette création et des nombreux rôles qu'elle distillait, c'était ainsi de donner à voir tous ces artistes aimés et admirés, pour l'essentiel dans un répertoire académique, à la fois tels qu'en eux-mêmes et plus grands qu'eux-mêmes.

La Mégère apprivoisée (chor. Jean-Christophe Maillot)

Trois ans et demi après, dans un mouvement de retour au bercail résolument inédit, La Mégère apprivoisée entre au répertoire des Ballets de Monte-Carlo. Ce transfert n'était pas prévu initialement, mais le report de la Coppélia que Maillot devait monter en collaboration avec Danny Elfman, l'a finalement autorisé. Première satisfaction, l’œuvre, concise et sans manières, se revoit avec un plaisir intact : l'acte I, très cinématographique, avec son rythme frénétique, plein de bruit et de fureur, l'acte II, sur un mode beaucoup plus tendre et intimiste. La reprise a conduit à quelques modifications, mais les différences visuelles – on remarque notamment qu'un costume, celui de Lucentio, est passé du gris au noir ou qu'une jupe a été raccourcie – restent mineures. Sur le plan chorégraphique, si des adaptations, liées aux nouveaux interprètes et à l'utilisation du corps de ballet, ont été faites, elles ne sont pas forcément évidentes à percevoir pour le spectateur lambda qui ne connaît pas l’œuvre dans ses moindres détails.

Matej Urban (Petruchio) - Ekaterina Petina (Katharina)

La vraie différence se situe en revanche dans l'interprétation. Confier cette œuvre créée pour d'autres - particulièrement médiatisés de surcroît - à ses propres danseurs n'était pas, à ce titre, un mince défi pour Maillot. Avec les artistes des Ballets de Monte-Carlo, qui vivent au quotidien dans l'intimité du chorégraphe, la virtuosité, bien assumée, apparaît de fait moins spectaculaire, moins héroïque, quand la gestuelle, l'attaque du mouvement, semblent plus vives et naturelles. Conscient du risque, presque inévitable, de la comparaison avec des modèles puissants, Maillot a par ailleurs fait le choix, pour la distribution de première, d'interprètes très différents des créateurs russes. Ekaterina Petina, engagée à Monaco cette saison, tout comme son partenaire Matej Urban, vient de Munich et a commencé sa carrière... au Mariinsky. Brunette à l'élégance classique, elle incarne une héroïne presque retenue dans l'expression de son mal-être, loin, très loin de la gouaille épique et garçonne de LA Krysanova. Elle s'accorde bien de ce point de vue avec Matej Urban, au chic très urbain, à qui manque toutefois un peu de la flamboyance prédatrice de Lantratov. Grande, blonde, athlétique, Marianna Barrabas impose de son côté, dans le rôle de Bianca, l'image d'une féminité terrienne et épanouie, qui contraste fortement avec l'âme rentrée de sa sœur Katherina. Comment oublier néanmoins, dans ce rôle-là, la surnaturelle Olga?

Alexis Oliveira (Lucentio)

Alexis Oliveira, en revanche, s'affranchit déjà du poids du modèle chudinesque, donnant à voir un Lucentio d'une grâce toute particulière, qui donne pleinement sens à son nom. Le trio des Prétendants, complété par Cristian Assis et Lennart Radtke, se révèle par ailleurs d'une grande efficacité comique, à l'instar de Le Wang, autre interprète marquant, cette fois dans le rôle de Grumio, le serviteur vif-argent. On le voit, Maillot essaye de nous proposer, avec ses danseurs, autre chose. Pour autant, l'acte I, peut-être parce qu'il fonctionne d'abord sur l'énergie du groupe et, quelque part, sur une forme de folie collective - sublimée par le Bolchoï -, semble ici se dérouler en mode mineur, comme au ralenti - dans l'ombre de nos souvenirs? Sans doute doit-on attribuer cela en partie à l'effet première, qui se dissoudra avec le temps et l'expérience du ballet... Quoiqu'il en soit, il faut attendre l'acte II, avec ses duos plus propres à l'épanchement lyrique, pour que les artistes monégasques parviennent à prendre véritablement leur envol - à donner vie à leur Mégère.





Bénédicte Jarrasse © 2018, Dansomanie

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la mégère apprivoisée
Victoria Ananyan (La Gouvernante)


La Mégère apprivoisée

Musique : Dimitri Chostakovitch
Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot
Argument : Jean Rouaud, d'après William Shakespeare
Scénographie : Ernest Pignon-Ernest
Costumes : Augustin Maillot

Lumières : Dominique Drillot

Katharina – Ekaterina Petina
Petruchio – Matej Urban
Bianca – Mariana Barabas
Lucentio – Alexis Oliveira
La Gouvernante – Victoria Ananyan
La Veuve – April Ball
Hortensio – Cristian Assis
Baptista – Christian Tworzyanski
Gremio – Lennart Radtke
Grumio – Le Wang
Les Servantes – Gaëlle Riou, Anne-Laure Seillan, Anissa Bruley, Elena Marzano
Debora Di Giovanni, Taisha Barton-Rowledge, Katrin Schrader, Candela Ebbesen
Les Servants – Michael Grünecker, Benjamin Stone, Julien Guérin, Edgar Castillo
Koen Havenith, Edoardo Boriani, Asier Edeso, Jaat Benoot
Les Quatre filles – Anne-Laure Seillan, Elena Marzano, Debora Di Giovanni, Anissa Bruley
Les Deux filles Elena Marzano, Anissa Bruley
La Forêt Koen Havenith, Julien Guérin, Edoardo Boriani
Benjamin Stone, Jaat Benoot, Michael Grünecker


Ballets de Monte-Carlo
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dir. Lawrence Foster

Jeudi 28 décembre 2017,  Grimaldi Forum, Monaco


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