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critiques et comptes rendus
Ballet de l'Opéra National de Bordeaux

24 octobre 2017 : Soirée Carlson - Cherkaoui - Lifar au Grand Théâtre de Bordeaux


If to leave is to remember

La saison chorégraphique bordelaise débute avec un programme des plus éclectique, après une incursion vite oubliée dans le domaine lyrique. Trois chorégraphes se partagent la scène, sous la houlette du maître de ballet Eric Quilleré, promu directeur adjoint. Carolyn Carlson, Sidi Larbi Cherkaoui et Serge Lifar ont ainsi, au travers des œuvres présentées, la lourde charge de faire oublier l’absence d’une direction de la danse en pleine négociation de la convention avec les différentes tutelles de l’Opéra.

If to leave is to remember constitue la reprise d'une pièce entrée au répertoire de la compagnie en mars 2015. Carolyn Carlson y retrace la mémoire d’une vie, à travers ses points de rupture. Du décor d’arcades sous échafaudage aux éblouissants tubes fluorescents, animés par le quatuor Mishima de Philip Glass, tout apparaît froid et minimaliste. Les corps se traînent et s’usent. Les chairs se déchirent dans des mouvements irraisonnés, que viennent flouter des vêtements amples. Une danseuse en talons aiguilles, allongée sur une table, renvoie l'image d'un érotisme morbide. La vision, crue et violente, suscite finalement un malaise que l’on pourrait ressentir dans une morgue ou un abattoir. 

If to leave is to remember

If to leave is to remember

Le Quatuor Prométhée, à l'arrière-plan, adoucit le tableau. Néanmoins, le recours à une sonorisation limite l’intérêt de sa présence sur scène, d’autant plus que l’interaction avec les danseurs est faible. Il en résulte des ensembles quelque peu désunis, qui laissent le public interloqué. Kase Craig conclut If to leave is to remember en déclamant de manière poignante un texte en anglais (malheureusement non sur-titré). L’œuvre est d'une tonalité pessimiste, à l’exact opposé de Pneuma, le dernier ballet de Carolyn Carlson présenté au Grand Théâtre. La mort, le départ, la séparation sont des thèmes d’une grande force expressive, que la chorégraphe choisit de traiter avec beaucoup de rudesse, et il est assurément plus difficile d’être touché par une telle âpreté.


If to leave is to rememberIf to leave is to remember


La flûte de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine, entrée dans la fosse durant le précipité, envoute dès les premières mesures du Prélude à l'après-midi d'un Faune de Debussy. Elle introduit une seconde pièce, tout aussi contemporaine que la première, mais pourtant très différente. Créé en 2009 pour le Sadler’s Wells, Faun de Sidi Larbi Cherkaoui est une entrée au répertoire. Le poème de Mallarmé a été chorégraphié maintes fois au XXème siècle. Après le scandale de L’Après-midi d’un Faune de Nijinsky, le solo de Lifar aura marqué une génération. La lecture du chorégraphe belge ici proposée s'avère fascinante : elle apporte une expression corporelle nouvelle tout en préservant l'héritage. En voyant ce duo, on comprend l’enthousiasme passé de Rodin tant l’œuvre demeure sculpturale. Les mouvements font appel à l’instinct. Ils sont sauvages et lascifs. Les corps se tordent et se mêlent pour rendre compte d’ébats impulsifs. Ce rut, tout comme son cadre, est très organique. La toile de fond évoque une forêt que les éclairages conçus par Adam Carrée subliment. 

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Faun

Ce décor, tout en créant l'illusion d'un sous-bois vivant, laisse le plateau complètement dégagé. Les feuilles volent et la brume se dessine avant que quelques rayons ne transpercent la canopée. Guillaume Debut est sur la retenue. On reconnaît à ce danseur de grandes qualités de jeu, mais son Faune manque quelque peu de force animale. Alice Leloup a, quant à elle, tout de la Dryade. Les yeux charbonneux et la chevelure flottante, elle exhibe une danse langoureuse et volubile. Néanmoins, quand les corps se confondent, une certaine timidité persiste. Les deux danseurs ont pourtant eu l’occasion de travailler avec Daisy Phillips, créatrice du rôle, à l’occasion des répétitions au Palais Garnier - ce Faun étant également entré au répertoire de l'Opéra de Paris en ouverture de saison. En revanche, les nombreux portés «terriens» et acrobatiques de la chorégraphie sont maîtrisés et dégagent l’érotisme primal recherché. Les musiques additionnelles de Nitin Sawhney créent une atmosphère chamanique et exacerbent le caractère presque mystique de ces étreintes défendues. Incontestablement, le Faun de Sidi Larbi Cherkaoui est une réussite, une œuvre rare, marquante de par sa corporéité brute.


faunFaun


Changement total de style pour la troisième et dernière œuvre figurant au programme de la soirée. Après la magistrale ouverture jouée par l'orchestre s'ouvre le premier tableau, étincelant. Suite en blanc de Serge Lifar fait partie des ballets qu’il faut avoir vus plusieurs fois pour en apprécier toutes les subtilités. Sous des apparences de centon de la danse académique, cette œuvre renferme nombre d'innovations. Avec Lifar, les pointes ne sont plus d’acier, mais de velours. Les équilibres sont balancés et les arabesques désaxées. Ce ballet blanc, sans aucun argument, se concentre sur la danse pure autour de huit thèmes qui remodèlent le mouvement.


Suite en blancSuite en blanc

«La Sieste», réminiscence d’un romantisme français révolu, est confiée à trois ballerines en tutu long. Le «Thème varié» qui suit est l'occasion d'une première démonstration de virtuosité. Neven Ritmanic et Ashley Whittle sont, comme à l’accoutumée, athlétiques et bondissants. Ils accompagnent Vanessa Feuillate, qui fait preuve d’une grande fermeté dans le geste et impressionne par sa précision. La «Sérénade» est confiée à la jeune Saki Kuwabara, qui a ici une première occasion de briller en solo depuis son arrivée en décembre 2015. Un léger manque d'aisance est fort heureusement compensé par une louable recherche d'émotion. Diane Le Floc’h lui succède dans le «Presto». Sa danse est encore une fois éblouissante de technique classique, de rapidité et de vitalité. Oksana Kucheruk fait parler son expérience dans une «Cigarette» stylée. Les ronds de bras sont voluptueux et soulignent la sensualité d’une danse tout en légèreté. La «Mazurka» est revenue à Oleg Rogachev qui manque, cette fois, de la prestance requise pour rendre à cette variation toute son élégance. L’Adage est porté par le couple d’étoiles Renda / Mikhalev qui, après plusieurs rôles principaux interprétés ensemble, forment à présent un partenariat mûr. Sara Renda poursuit dans la célèbre variation dite de «La Flûte». Ses bras sont comme charmés par le son de l’instrument s’échappant de la fosse. Sa gestuelle hédonique est révélatrice d’une interprétation aboutie. Le final exalte une technique pure où des fouettés qui ne semblent jamais vouloir s'arrêter succèdent à des jetés explosifs.


Suite en blancSuite en blanc

Dans cette succession de variations, les ensembles se font parfois oublier, mais ne détonnent en rien, grâce à leur qualité d’exécution. Le ballet de l’Opéra National de Bordeaux a relevé le défi de cette chorégraphie exigeante. Au-delà de la technique, il a su restituer à l'oeuvre, par son interprétation, son néoclassicisme chaleureux, qui fait tout le prix du«style Lifar».

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Fabien Soulié © 2017, Dansomanie




Suite en blanc
Suite en blanc



If to leave is to remember
Musique :
Philip Glass
Chorégraphie : Carolyn Carlson
Lumières : Bertrand Couderc

Avec : Sara Renda, Alica Leloup, Diane Le Floc’h, Emilie Cerruti
Oleg Rogachev, Ashley Whittle, Kase Craig, Austin Lui
Neven Ritmanic, Marc-Emmanuel Zanoli, Alexandre Gontcharouk

Faun
Musique :
Claude Debussy, Nitin Sawhney
Chorégraphie : Sidi Larbi Cherkaoui
Costumes : Hussein Chalayan
Lumières : Adam Carrée

Avec : Alica Leloup, Guillaume Debut

Suite en blanc
Musique :
Edouard Lalo
Chorégraphie : Serge Lifar
Lumières : François Saint-Cyr

La Sieste :
Natalia Butragueno, Coralie Aulas, Emilie Cerruti
Thème Varié :
Vanessa Feuillatte, Ashley Whittle, Neven Ritmanic
Sérénade :
Saki Kuwabara
Presto :
Diane Le Floc’h
Alexandre Gontcharouk, Austin Lui, Guillaume Debut, Axel Alvarez
La Cigarette :
 Oksana Kucheruk
Mazurka :
 Oleg Rogachev
Adage :
 Sara Renda, Roman Mikhalev


Douze danseuses : Anna Gueho, Hortense Quentin, Pascaline di Fazio, Marina Guizien
Marina Kudryashova, Nicole Muratov, Perle Vilette, Mélissa Patriarche, Marini da Silva
Coralie Aulas, Theodora Lehu, Kusi Castro

Huit danseurs : Kase Craig, Pierre Devaux, Felice Barra, Léo Lecarpentier
Marc-Emmanuel Zanoli, Marin Jalut-Motte, Vassily Evlachev, Cyprien Bouvier



Ballet de l'Opéra National de Bordeaux
Quatuor Prométhée
Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine, dir. Marc Minkowski

Mardi 24 octobre 2017, 20h00,  Grand Théâtre de Bordeaux


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