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critiques et comptes rendus
Compagnie Troisième étage - Samuel Murez

14 octobre 2017 : François Alu «Hors cadre» au Théâtre Antoine (Paris)


François Alu


Toute la communication pour le spectacle organisé par Samuel Murez autour de François Alu avait été orchestrée autour du danseur, adulé du public parisien, mais (présumé) mal-aimé de la direction de la danse de l'Opéra de Paris, qui semble – gardons nous tout de même de conclure trop rapidement et sans avoir tous les éléments en main pour former un jugement impartial – ne pas vouloir le distribuer dans les rôles de bravoure dans lesquels le public voudrait justement le voir briller. Commercialement en tout cas, Samuel Murez a visé juste, et l'odeur de soufre qui flottait autour de cette production «vérité» ou «règlement de comptes», c'est selon, n'a sans doute pas peu contribué a son succès. En dépit du prix relativement élevé des billets, le Théâtre Antoine, d'une jauge de 780 places, a été vendu quasiment jusqu'au dernier strapontin pour chacune des deux représentations prévues, et il ne fait aucun doute qu'une soirée supplémentaire aurait encore fait le plein. Si ce battage tous azimuts en dit long sur la popularité de M. Alu, il a également contribué a fausser un peu la perception du propos de Samuel Murez et de ses complices du groupe «Troisième étage», Lydie Vareilhes, Clemence Gross, Takeru Coste, Hugo Vigliotti et Simon Le Borgne. Car, contrairement aux allégations de l'affiche, il ne s'agissait pas d'un «one man show», mais bien d'un programme structuré, dans la lignée des créations antérieures de M. Murez, qui se caractérisent par un style déjanté, aux confins de la danse, du théâtre et du music-hall. La partie proprement dévolue à François Alu ne concernait qu'environ un tiers de la durée totale de ce «Hors cadre». Au bout du compte, ce fut d'ailleurs une bonne chose, évitant de la sorte la lassitude qu'aurait générée une succession ininterrompue de «private jokes» intelligibles d'un seul quarteron d'initiés.

Lydie Vareilhes, Hugo Vigliotti, François Alu

Toutefois, ces derniers en auront eu pour leur argent aussi, avec des charges parfois féroces contre certaines pratiques imputées au milieu de la danse : chorégraphies pompeuses et ennuyeuses (encore qu'il y a fort à parier que certains se soient laissés berner par le pas de deux liminaire, qui s'est en fait avéré être une parodie), droit de cuissage, gestion financière acrobatique... Moins ciblées, et peut être plus réussies, les caricatures des maîtres de ballet imbus d'eux-mêmes, tour à tour tatillons ou évasifs, narcissiques ou maniaques. François Alu, avec un sens du comique et un abattage certains, s'en donne à cœur joie, et le public en redemande. Et justement, le festival continue avec une satire des prestations incertaines de jeunes «youtubeurs»,  qui s'exhibent sans complexe dans les variations les plus virtuoses du répertoire classique.

La virtuosité – qui était d'ailleurs le thème d'un précédent spectacle de Samuel Murez – tient, on le sait, particulièrement à cœur à François Alu. La célèbre variation de Basilio, dans Don Quichotte - rôle qui lui sera vraisemblablement refusé cette saison à l'Opéra de Paris – est prétexte à une nouvelle passe d'armes avec les «Beckmesser» du chausson, ces professeurs pointilleux qui méprisent toute démonstration de technique, et qui s'autoproclament gardiens de traditions dont ils ne connaissent parfois plus eux-mêmes l'origine. François Alu, critiqué par ses pairs pour avoir pris des libertés avec les chorégraphies de l'intouchable Noureev, enfonce le clou et revendique haut et fort son incartade. Mais là, sa parodie, si étincelante soit-elle, des interprétations russes, à l'énergie débridée, tombe un peu a plat. La raison en est simple, probablement : François Alu n'arrive pas à se moquer réellement de quelque chose qu'il rêve de faire. Il est ici dans son répertoire naturel, ou du moins, qu'il considère comme tel.

François Alu Hors Cadre
Simon Le Borgne

Rescapé du massacre, William Forsythe, dont la première partie d'Artifact suite est paraphrasée de manière assez explicite, même si la Chaconne de Bach a cédé la place à celle de Vitali. On peut y voir la main de Samuel Murez, grand admirateur du Maître américain, auquel il rend aussi un discret hommage par l'intégration, dans ce «Hors cadre», de Processes of Intricacy, une pièce de 2011, initialement confiée à Takeru Coste et Ludmila Pagliero, ici remplacée par Clémence Gross : tel est  l'«art véritable» confronté aux «imposteurs» qui bâclent des pièces médiocres entre la poire et le fromage et se répandent sur les réseaux sociaux. La satire est un peu facile, mais le public suit. Il en est de même avec l'intervention d'un improbable Louis XIV en costume grand siècle, censé personnifier une institution sclérosée, à l'organisation aussi surannée que véreuse. Et pourtant, c'est précisément grâce à une telle institution qu'un François Alu ou un Samuel Murez peuvent encore exister. Elle leur donne un savoir-faire technique, une base stylistique, une légitimité artistique qui, entre des mains rebelles, peuvent devenir autant d'armes qui serviront à la contester. Un peu comme, mutatis mutandis, un Debussy – qui dut s'y reprendre à trois fois pour décrocher son prix de Rome – vouant aux gémonies le Conservatoire pour son passéisme, mais sans l'enseignement duquel il ne serait jamais devenu le musicien de génie que l'Histoire a retenu. Hors cadre? Vraiment? A en juger par le nombre impressionnant de VIP de la Grande boutique présents dans la salle – et pourtant, c'est à la seconde représentation que nous assistions –, l'institution honnie reste bonne fille. Les Bourgeois, comme les cochons, n'en n'ont pas fini d'adorer se faire traiter de vieux c...

François Alu Hors Cadre
Clémence Gross, Lydie Vareilhes, Hugo Vigliotti

François Alu est aujourd'hui à la croisée des chemins, et des choix devront être faits. Persévérer à l'Opéra, quitte a faire un trait sur des rôles dont il rêve et qu'on lui refuse, du moins tant qu'il est en capacité physique de les danser au meilleur niveau? Tenter sa chance sous d'autres cieux, au sein d'une compagnie qui possède un répertoire, où sa fougue, sa générosité scénique pourront s'exprimer pleinement? Comment ne pas penser à l'English National Ballet... Ou «renverser la table», et, à l'instar d'un Jean Babilée il y a plus d'un demi-siècle, entamer une seconde carrière hors des circuits traditionnels du ballet classique? Il faut du courage, de l'inconscience même, mais pourquoi pas? Au Théâtre Antoine, il a, par sa présence, ses réelles qualités dramatiques, sa faconde, prouvé sa capacité à animer des soirées flirtant avec les codes du cabaret, du caf'conc' et du music-hall.

François Alu Hors Cadre
François Alu, Clémence Gross

Samuel Murez est dans une situation analogue, même si les enjeux de carrière ne sont pas exactement les mêmes que pour François Alu. Contrairement à ce dernier, M. Murez n'est pas un virtuose, qui peut espérer une carrière internationale en tant que danseur classique. Il possède un indéniable talent de «concepteur de spectacles» (plus que de chorégraphe stricto sensu), de meneur de troupe. Il a réussi à obtenir le meilleur d'artistes plus ou moins laissés dans l'ombre à l'Opéra de Paris (Clémence Gross, très drôle, Simon Le Borgne, personnage étrange, presque inquiétant, Takeru Coste, inventif et loufoque, Hugo Vigliotti, farfadet bondissant – Lydie Vareilhes étant celle du «gang» qui est demeurée la mieux intégrée à l'institution dont elle est l'émanation). Mais là aussi, se lancer «sans filet» dans une carrière de réalisateur / manager / producteur n'est pas sans risques. Au Théâtre Antoine, «Troisième étage» a joué devant un public conquis d'avance, et au fait des us et coutumes de la danse parisienne. Samuel Murez a d'excellentes idées, frappées du sceau de l'originalité. Il s'arrête parfois au milieu du gué (on pense à l'espèce de «série» dansée qu'il envisageait, sur le modèle des productions télévisuelles). Il a pourtant les moyens d'aller beaucoup plus loin. Mais le voudra-t-il?



Romain Feist © 2017, Dansomanie


François Alu hors  cadre
Lydie Vareilhes, Simon Le Borgne, Hugo Vigliotti, Clémence Gross



François Alu «Hors cadre»

Musique : Jean-Sébastien Bach, Georges Bizet, Johannes Brahms, Jacques Brel
Jean Corti, Vladimir Horowitz, Franz Liszt, Ludwig Minkus, The Misters, Samuel Murez
Niccolò Paganini, Giuseppe Tartini, Guiseppe Torelli, Tomaso Antonio Vitali
Textes : Samuel Murez, Raymond Federman (Me2)
Chorégraphie : Marius Petipa, Ben Van Cauwenbergh, Samuel Murez

Avec : François Alu, Takeru Coste, Clémence Gross
Simon Le Borgne, Lydie Vareilhes, Hugo Vigliotti



Compagnie Troisième étage
Musique enregistrée


Samedi 14 septembre 2017, 19h30,  Théâtre Antoine, Paris


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