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Ballet du Capitole de
Toulouse
20 & 23 avril 2017 : Don Quichotte (Kader Belarbi) au Théâtre
du Capitole
Davit Galstyan (Basilio), María Gutiérrez (Kitri)
En regardant María Gutiérrez virevolter à travers
la scène du Capitole le public était pris d'un doute.
Alors que cette merveilleuse danseuse avait pris soin d’annoncer
que cette nouvelle production de Don Quichotte
serait son dernier spectacle, que cette Kitri serait son dernier
rôle, jamais elle n’avait paru aussi rayonnante sur la
scène, aussi maîtresse de son art. Pendant qu'elle se
jouait souverainement et avec malice d'un rôle presque
constamment en scène, qui allie intimement les dons de
comédienne et les exigences techniques les plus ardues, le
spectateur était médusé. Pouvait-elle vraiment
arrêter la danse au moment qui semblait être
l’apogée d’une carrière? La réponse
à cette question ne nous appartient sans doute pas. La danse
à ce niveau demande une contrepartie de soumission totale et de
souffrances physiques que le spectateur n’a probablement pas
à connaître au moment où le rideau se lève.
María Gutiérrez (Kitri), Davit Galstyan (Basilio)
Résolue à ne surtout pas faire la «saison de
trop», María Gutiérrez a choisi, point. Elle a
choisi le moment, après plus de quinze ans passés au sein
et au premier rang du ballet toulousain, elle a aussi choisi le
rôle, Kitri étant par ailleurs le premier rôle en
trois actes qu’elle ait eu à assumer, du temps de Nanette
Glushak. Un rôle qui lui correspond tellement bien qu’il
restera attaché à son parcours dans la ville rose, au
même titre que sa Giselle, pourtant antithétique, ainsi que sa Katarina de la Mégère apprivoisée
(malheureusement jamais repris celui-ci). Incarnant avec le même
bonheur et le même brio la fille d'aubergiste effrontée ou
la Dulcinée lointaine, aussi légère sur les
pointes que délicieuse avec les bras, faisant jaillir des «Olé!»
après ses fouettés, María Gutiérrez
manifestait le jour de ses adieux un surcroit de complicité avec
son partenaire Davit Galstyan, et avec tous les danseurs à ses
côtés. Les chaleureuses ovations debout, les fleurs, les
discours, la remise de la médaille de la ville, les pluies de
confettis, étaient à la mesure de la gratitude et de
l’admiration que tous manifestaient.
Remise de la médaille de la Ville de Toulouse à María Gutiérrez
L’événement a décalé le regard que l’on pouvait avoir sur la nouvelle version de Don Quichotte
conçue par Kader Belarbi. Elle est tout à fait digne
d’intérêt, dans la lignée de ses relectures
du Corsaire ou de Giselle. Sa caractéristique première
est de resserrer l'action de manière très pensée
autour des principaux protagonistes. Après le prologue qui
brosse le portrait de l’ingénieux hidalgo partant à
l'aventure, Don Quichotte n’est plus une simple figure de
passage, d'ordinaire artificiellement posée en bord de
scène, mais participe à l’action d'un bout à
l'autre du ballet. C’est lui-même qui demande la main de
Kitri, voyant dans les traits de la jeune fille une incarnation de la
belle Dulcinée qui le visite dans ses rêveries. Il rend de
ce fait inutile le rôle du riche Gamache, dont
l’épisode tient en quelques pages dans le volumineux roman
de Cervantes. Don Quichotte n'est d'ailleurs pas exclu des
épisodes dansés, hormis le menuet du premier acte. Au
rayon des disparitions, il faut ranger aussi Espada, puisque c'est
Basilio qui devient jeune torero amoureux de Kitri, jugé trop
débutant par l'aubergiste pour prétendre épouser
sa fille. Effacement également du Cupidon dans le tableau
onirique de la vision. Cette scène est un petit bijou de
scénographie, dans une surnaturelle ambiance aquatique que l'on
doit à l'alliance très réussie des décors
et lumières. Pour l'occasion, les dryades sont
transformées en d'insaisissables naïades, où l'on
sent la patte de Laure Muret dans leurs sinueuses évolutions
parfaitement à l'unisson. Précisons que les actes de
Barcelone reprennent des éléments de décors et
costumes de l'ancienne production.
Jackson Carroll (Don Quichotte), Juliette Thélin (La Reine des naïades)
Sur le plan chorégraphique, Kader Belarbi a conservé les
variations les plus célèbres: entrée de Kitri, des
toréadors, variation de la reine des dryades, pas de deux final
et quelques autres, le reste étant nouveau. Belarbi a de toute
évidence gardé à l'esprit le précepte
hérité de Noureev «Il faut donner à manger aux danseurs».
Car la danse est partout et pour toute la compagnie (et trois
distributions alternent), avec parfois des changements de rôle
à chaque acte.
C'est la composition étonnante de Jackson Carroll dans le
rôle-titre qu'il faut souligner en premier lieu. Silhouette
efflanquée en grisaille argentée comme la tradition
l'exige, il impose une extraordinaire présence grâce
à une noble gestuelle combinant subtilement le grotesque et le
poétique, et il donne le fil directeur à une narration
sinon ténue. Son comparse, le terrestre Sancho Pança de
Nicolas Rombaut s'en donne à cœur joie dans un registre
extraverti qui forme contraste. Davit Galstyan est un Basilio en tout
point digne de sa partenaire María Gutiérrez. Il
déjoue toutes les embuches des variations bien connues du
rôle. Ses réceptions sont douces et silencieuses et les
spectaculaires portés (à une main!) ajoutent un piment
bienvenu.
Davit Galstyan (Basilio)
Parmi les nombreux rôles secondaires le chef gitan de Philippe
Solano se détache particulièrement par son brillant plein
de chic, ainsi que la royale naïade de Lauren Kennedy, aux
fouettés à l’italienne souverains. La Mercedes
gitane de Scilla Cattafesta séduit par son abattage et son
insolence canaille dans un personnage qui ne doit pas devenir un double
de Kitri. Mais c'est tout le ballet qui est à louer pour la
justesse de l'ensemble, dans une production que peu d'autres
théâtres peuvent proposer. Gageons que des tournées
vont suivre très bientôt.
N'oublions pas de saluer l'excellence de l'orchestre du Capitole, qui
joue sérieusement la partition de Minkus, sous la baguette
très sage de Koen Kessels. Kader Belarbi y a incorporé
des musiques moins connues, parmi lesquelles se sont glissées
quelques pages de Massenet.
Jean-Marc
Jacquin © 2017, Dansomanie
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María Gutiérrez (Kitri) - Adieux
Don Quichotte
Musique
: Ludwig Minkus
Conseillère
musicale : Elena Rassadkina Bonnay
Chorégraphie
et mise en scène : Kader Belarbi
Assistante
chorégraphe : Laure Muret
Décors
: Emilio Carcano
Costumes
: Joop Stokvis
Lumières
: Vinicio Cheli
Don Quichotte – Jackson Carroll
Sancho Pança – Nicolas Rombaut
Kitri / Dulcinée – María Gutiérrez
Basilio – Davit Galstyan
Mercédès – Scilla Cattafesta (20/04) Lauren Kennedy (23/04)
Esteban, chef des gitans – Philippe Solano (20/04) Minoru Kaneko (23/04)
Les Amies de Kitri – Tiphaine Prévost, Ichika Maruyama
Lorenzo – Jérémy Leydier
La Reine des naïades – Lauren Kennedy (20/04), Juliette Thélin (23/04)
Ballet du Capitole
de Toulouse
Orchestre national du Capitole de Toulouse, dir. Koen Kessels
Jeudi 20 et dimanche
23 avril 2017,
Théâtre du Capitole, Toulouse
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