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critiques et comptes rendus
XVII Festival International de Ballet du Mariinsky

31 mars & 06 avril 2017 : Paquita (Y. Smekalov) au Mariinsky


Ekaterina Kondaurova (Paquita)


Conformément à la tradition, le XVIIe festival du Mariinsky s'est ouvert sur une grande première. Après la recréation du Cavalier de bronze, qui avait marqué le festival 2016 de son faste quelque peu monumental, c'est à nouveau à Youri Smekalov que la direction du Mariinsky a souhaité confier – dans un registre résolument différent - une nouvelle production, en trois actes, de Paquita. Un certain mystère l'entourait jusqu'à ce que le chorégraphe annonce la couleur, quelques jours avant l'ouverture du festival. Cette Paquita ne serait pas une recréation du ballet chorégraphié pour l'Opéra de Paris par Joseph Mazilier, puis remonté à Saint-Pétersbourg par Marius Petipa, mais bel et bien un ballet nouveau, doté d'un livret propre, inspiré de (ou La GitanillaLa Petite Gitane), tirée des Nouvelles exemplaires de Cervantès. Le Grand Pas, reconstruit par Youri Bourlaka d'après les notations Stépanov, viendrait toutefois rappeler, dans l'acte III, la tradition, mouvante et cependant ininterrompue, du ballet – comme un hommage avant l'heure à Marius Petipa, grand maître incontesté du ballet classique, dont la Russie célébrera, de manière tout à fait officielle, le 200e anniversaire de la naissance en 2018.

Smekalov n'a pas menti. Son ballet n'est ni une stylisation à la Lacotte ni une reconstruction à la Ratmansky, mais un curieux objet chorégraphique, qui mêle, dans ses deux premiers actes, pantomime, gitaneries, danses de caractère et pas d'école, le tout saupoudré de souvenirs du Don Quichotte et de quelques soviétismes (dans certains sauts ou portés), avant de laisser place, dans le dernier acte, au familier : la Polonaise des enfants et le Grand Pas, mis en scène dans tout son lustre académique, avec sa suite de variations féminines ciselées comme des diamants. C'est donc un ballet d'aujourd'hui, qui regarde avec amour – et peut-être un brin d'humour – l'histoire de la danse (comme en témoignent les immenses portraits de Petipa, Minkus ou Kchessinskaïa, costumés en personnages du Siècle d'Or – reflet de l'Âge d'or du ballet -, qui décorent la première scène), sans pour autant renoncer à l'action – et la plus premier degré qui soit. Les grandes premières de ballet, on le sait, sont devenues trop rares dans l'institution dirigée par le tout-puissant Valery Gergiev. Celle-ci témoigne cependant d'une ambition notable, et pourra, sans nul doute, être baladée sans crainte dans les tournées à l'étranger : les décors pittoresques d'Andreï Sverbo manquent peut-être un peu de relief, mais ils ont du charme, et les costumes d'Elena Zaïtseva, lumineux et élégants, sont un plaisir pour les yeux. Le final, qui voit des guirlandes de fleurs multicolores descendre des cintres, est à lui seul une féerie - une splendeur au raffinement simple et naïf, digne de ce théâtre magique.

Paquita
Anastasia Kolegova (Paquita), Xander Parish (Andrés), Yekaterina Chebykina (Cristina)


D'un point de vue narratif, le chorégraphe s'est délibérément affranchi – parce qu'il considérait qu'il n'était plus d'actualité – du livret original de Paul Foucher et de son sous-texte politique (pour ne pas dire propagandiste). Il en a cependant conservé, en se servant de la trame de Cervantès, l'imaginaire, façonné par le romantisme, apte à captiver, encore et toujours, les spectateurs épris de fantaisie : des Bohémiens mystérieux et farouches, voleurs d'enfants comme il se doit, une héroïne principale «folle de danse», femme-fleur à l'identité confuse, une idylle amoureuse, une héroïne seconde en proie à la jalousie façon Gamzatti, un vol de bijoux, une fausse accusation qui mène les amants tout droit en prison, une scène de reconnaissance, des parents ravis, et un mariage en grande pompe, le tout sur fond de confrontation, entre crainte et fascination, des mondes aristocratique et gitan. Certaines transitions, notamment dans la deuxième partie de l'acte II – un brin longuet et confus –, sont un peu faiblardes, mais la réécriture est dans l'ensemble plutôt bien menée, la pantomime ultra-lisible, les relations entre les personnages relativement limpides, et les petites complications du récit s'éclairent tout naturellement lors d'une seconde vision du ballet.


Bien sûr, soyons honnête, toute cette suite d'aventures, aussi naïves que rocambolesques, agrémentées de quelques gags scéniques (le cheval en peluche sous lequel se cachent deux danseurs galopant en rythme), n'est que prétexte à la seule vraie fête qui compte, celle de la danse, assortie dans le présent contexte d'éventails frémissants, d'œillades coquines et de cambrés vertigineux. De ce point de vue, la compagnie est servie, en abondance et jusqu'à plus soif, dans toutes les configurations chorégraphiques que peut permettre un ballet classique, des petits élèves de l'Académie Vaganova, stars de la Polonaise, jusqu'au vétéran Vladimir Ponomarev (entré au Mariinsky en 1964), dans le rôle du Corregidor.

Pour l'apothéose du Grand Pas, maintenu au répertoire du Mariinsky malgré la disparition du ballet après 1926, Youri Smekalov a fait appel à Youri Bourlaka, qui l'avait précédemment monté, en 2009, à la manière d'un divertissement autonome, pour le Bolchoï. La version proposée par le Mariinsky est cependant un peu différente, puisque ce Grand Pas est intégré à l'action et correspond à la scène du mariage. Le fameux pas de trois « en or » - chef d’œuvre petipesque et minkusien - est inséré dans l'acte II (dansé par Paquita - la Gitane vedette -, Andrès – l'amant -, et Cristina – la bonne copine), tandis que les variations - sept au total - sont fixes d'une représentation à l'autre (au Bolchoï, Bourlaka avait autorisé les étoiles distribuées à danser leur variation favorite, ce qui modifiait le déroulé du Grand Pas d'un soir à l'autre). Ce léger regret est compensé par le choix des variations, toutes d'une incroyable difficulté, peu connues de surcroît, en-dehors de la première – présente aussi dans la version Vinogradov –, celle d'Anna Pavlova sur la musique de Drigo, tirée du ballet Le Roi Candaule.

Paquita
Les amies de Paquita : Yana Selina, Anastasia Petushkova, Anastasia Lunkina, Valeria Martynyuk

Ce ballet, qui mêle, à peu près au même degré, danse de caractère - ou dérivée du caractère -, danse académique - et virtuose - et pantomime, s'avère bien délicat à distribuer, et pas sûr que cette série de représentations de première, aux distributions très « hiérarchiquement correctes », emporte unanimement l'adhésion. Au-delà des questions, récurrentes, de politique interne, qui ne sont certes pas à écarter, il faut dire que le rôle-titre exige, idéalement, une sorte de ballerine absolue et surtout multicarte - phénomène rare! Peut-être Viktoria Tereshkina était-elle celle-là? Ekaterina Kondaurova, si elle assume la chorégraphie malgré sa grande taille et projette sur scène une image toujours intéressante, n'a certes pas toute la vivacité ni tout le piquant que l'on attend de la Gitane. Sa féminité majestueuse et ballerinesque se prête beaucoup mieux au Grand Pas, dans lequel elle peut briller de mille feux. Pour n'avoir pas sa personnalité bouillonnante, Anastasia Kolegova, à la technique affûtée, campe une Gitane pleine de charme, qui se révèle finalement bien plus convaincante que sa collègue étoile dans les deux premiers actes. Son Grand Pas, d'une belle assurance, s'achève par ailleurs sur une formidable série de fouettés. Le manque actuel d'étoiles masculines – Kim blessé, Shklyarov exilé, entre autres – apparaît néanmoins ici comme le problème le plus flagrant. Andreï Ermakov a certes de la prestance, un jeu intelligent - et amusant - et une générosité appréciable avec ses partenaires, mais son gabarit de géant le ralentit et l'empêche un peu trop souvent dans les sauts. Xander Parish est quant à lui un Andrès un peu terne, au brio modeste. Dans les seconds rôles, en revanche, brillent de vraies Paquita en puissance : Nadejda Batoeva, virtuose et subtilement charmeuse dans le rôle de Cristina, et Sofia Ivanova-Skoblikova, Carducha au jeu passionné – ces deux petites merveilles étant réunies dans la seconde distribution menée par Kondaurova. Les demi-solistes masculins ne déméritent pas eux non plus - dans les pas de trois et pas de quatre d'officiers (beaucoup mieux synchronisés à la troisième qu'à la deuxième) ou dans le rôle soliste de Clemente, secrétaire du Corregidor (Ivan Oskorbin, d'une grande classe à la deuxième, Boris Zhurilov, d'un brio remarquable à la troisième). Le Grand Pas, admirablement servi par les élèves de l'Académie Vaganova, ovationnés par le public, et le corps de ballet (approximatif à la deuxième, impeccable à la troisième), permet de faire briller, plutôt que les étoiles, de plus ou moins jeunes talents de la troupe. Les solistes réunies lors de la troisième représentation, si l'on en excepte Ekaterina Chebykina, une Cristina qui s'arrange de manière fort déplaisante avec la chorégraphie, méritent à ce titre une mention particulière : Maria Iliushkina, récente diplômée de l'Académie, merveilleuse de lyrisme dans une première variation agrémentée d'équilibres joliment contrôlés, Shamala Guseinova et Victoria Krasnokutskaïa, vives et d'une impeccable musicalité dans les troisième et quatrième.



Bénédicte Jarrasse © 2017, Dansomanie



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paquita
Inna Bilash (Odette), Nikita Chetverikov (Siegfried)



Paquita
Musique : Edouard Deldevez, Ludwig Minkus et Riccardo Drigo
arrangée par Youri Smekalov et Daniil Pilchen
Chorégraphie
: Youri Smekalov (actes I/II) et Youri Burlaka (Grand pas, acte III)
Argument : Youri Smekalov
Scénographie : Andreï Sevbo
Costumes : Elena Zaïtseva
Lumières : Konstantin Binkin

Paquita  – Ekaterina Kondaurova (31/03), Anastasia Kolegova (06/04)
Andrés –  Andreï Yermakov (31/03), Xander Parish (06/04)
Cristina, une amie de Paquita – Nadezhda Batoeva (31/03), Yekaterina Chebykina (06/04)
Carducha – Sofia Ivanova-Skoblikova (31/03), Tatiana Tkachenko (06/04)
Un Jeune bohémien – Nail Yenikeyev (31/03), Alexander Romanchikov (06/04)
Clément, secrétaire du Corregidor – Ivan Oskorbin (31/03), Boris Zhurilov (06/04)
Le Corrégidor – Vladimir Ponomarev (31/03), Dmitry Pykhachov (06/04)
Une Vieille bohémiennePolina Rassadina (31/03), Lira Khuslamova (06/04)
Un Vieux bohémien – Soslan Kulaev (31/03), Vasily Shcherbakov (06/04)
Dona Guiomar – Elena Bazhenova (31/03), Yekaterina Devichinskaya (06/04)
Francisco de Cámargo, père d'Andrés – Dmitry Pykhachov (31/03), Soslan Kulaev (06/04)
La Veuve – Lira Khuslamova (31/03), Polina Rassadina (06/04)
Le Prêtre – Vasily Shcherbakov
Les Amies de Paquita – Yana Selina, Anastasia Petushkova, Anastasia Lukina, Valeria Martynyuk (31/03)
Shamala Guseinova, Viktoria Krasnokutskaya, Maria Iliushkina, Anastasia Nikitina (06/04)
Les Bohémiens – Evgueny Deryabin, Alexeï Kuzmin, Alexander Romanchikov, Alexander Beloborodov (31/03)
Vadim Belyaev, Alexeï Kuzmin, Nikita Korneyev, Eldar Yangirov (06/04)
Les Officiers – Kirill Leontiev, Nikita Korneyev, Vladislav Shumakov, Yaroslav Pushkov (31/03)
Maxim Izmestiev, Ramanbek Beishenaliev, Vitaly Amelishko, Roman Belyakov (06/04)
Les Officiers de la garde – Oleg Demchenko, Nikita Lyashchenko, Yaroslav Baibordin (31/03)
Alexander Fyodorov, Daniil Lopatin, Alexeï Atamanov (06/04)
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Grand pas

1ère variation : Andante-Allegro moderato
Musique de Riccardo Drigo pour la variation d'Anna Pavlova dans le ballet Le Roi Candaule
(Le Roi Candaule, ballet de Cesare Pugni et Marius Petipa, créé en 1868 pour Henriette d'Or,
remonté en 1891 pour Carlotta Brianza, puis en 1903 pour Youlia Sedova, avec des ajouts musicaux
de Riccardo Drigo)
Avec : Anastasia Lukina (31/03), Maria Iliushkina (06/04)

2ème variation : Moderato
Musique d'Albert Zabel pour la variation dansée par Evguénia Sokolova dans le ballet Le Corsaire
Avec : Valeria Martynyuk (31/03), Anastasia Nikitina (06/04)

3ème variation : Allegro
Musique d'Alexeï Barmin pour la variation dansée par Alexandra Shaposhnikova dans le ballet Paquita
Avec : Anastasia Petushkova (31/03), Shamala Guseinova (06/04)

4ème variation : Tempo di valse moderato
Musique de Riccardo Drigo pour la variation de Maria Gorshenkova dans le ballet Le Roi Candaule
Avec : Yana Selina (31/03), Victoria Krasnokutskaïa (06/04)

5ème variation : Moderato
Musique de Riccardo Drigo pour La Camargo (ballet de Ludwig Minkus et Marius Petipa, créé en 1872 pour Adèle Grantzow)
Avec : Nadezhda Batoeva (31/03), Ekaterina Chebykina (06/04)

6ème variation : Allegro moderato
Musique de Ludwig Minkus (parfois attribuée à Alexeï Barmin) pour la variation d'Anna Johansson
dans le ballet Paquita (violon solo)
Avec : Ekaterina Kondaurova (31/03), Anastasia Kolegova (06/04)

7ème variation (variation masculine)
Musique de Riccardo Drigo pour la variation d'Enrico Cecchetti dans le ballet La Vestale
Avec : Andreï Ermakov (31/03), Xander Parish le (06/04)




Ballet du Mariinsky
Elèves de l'Académie Vaganova de Saint-Pétersbourg
Orchestre du Mariinsky, dir Valéry Ovsyanikov (31/03), Gavriel Heine (06/04)

Vendredi 31 mars et mercredi 06 avril 2017,  Théâtre du Mariinsky (Scène historique)


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