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XVIIe Festival
International de Ballet du Mariinsky
01
avril 2017 : Roméo
et Juliette au Mariinsky
(Saint-Pétersbourg)
Nadezhda Batoeva (Juliette),
Philip Stepin (Roméo)
Roméo et Juliette
est l’un des ouvrages les plus intimement associés
à l’histoire du Kirov, aujourd’hui
redevenu Mariinsky. Et pourtant, la célèbre
institution pétersbourgeoise avait, en 1936,
refusé la partition que lui présenta Serge
Prokofiev. Elle fut créée en version de concert
dans la salle Beethoven du Bolchoï de Moscou, mais la vraie
«première» du ballet eu lieu le 30
décembre 1938 à Brno, dans l’actuelle
République tchèque, avec une
chorégraphie réalisée par Ivo
Váňa Psota, ancien danseur des Ballets Russes de
Monte-Carlo. Dans le même temps, Prokofiev publia deux suites
d’orchestre tirées de Roméo et Juliette,
qui rencontrèrent un succès
considérable. A tel point que le Kirov revint sur son refus
initial, et décida de monter l’ouvrage avec une
chorégraphie signée cette fois de
Léonide Lavrovski. Cette nouvelle version fut
créée à Saint-Pétersbourg
–alors Leningrad – le 11 janvier 1940. La
chorégraphie de Lavrovski, servie par une distribution de
grand luxe (Roméo : Konstantin
Serguéïev / Juliette : Galina Oulanova),
éclipsa totalement celle de Psota, et fut, dès
1946, reprise également par le Bolchoï,
à Moscou.
Et c’est ce Roméo
et Juliette qui – moyennant quelques ajustements
– figure encore aujourd’hui au
répertoire du Mariinsky. Force est de constater que cette
production emblématique de l’ère
soviétique a bien supporté
l’épreuve du temps. Elle ne suscite jamais
l’ennui, et la scénographie spectaculaire a
conservé toute sa force expressive. La scène
finale notamment, où les familles rivales enfin
réconciliées, guidées par une Lady
Capulet devenue véritable pasionaria, portent au tombeau
leurs enfants morts, demeure d’une grande
intensité émotionnelle.
La version du Mariinsky telle qu'elle a été
donnée le 1er avril dernier comporte tout de même
quelques bizarreries, telles le remplacement des mandolines par un
xylophone dans la danse éponyme (danse des
bannières chez Nouréev), d'un effet un peu
malheureux.
La distribution ne réunissait pas les stars les plus
médiatisées de la compagnie
pétersbourgeoise. Elle se caractérisait cependant
par une grande homogénéité, et
permettait de retrouver dans le rôle féminin
principal Nadezhda Batoeva, qui nous avait ébloui la veille
dans le Grand pas de Paquita. Mademoiselle Batoeva n'a pas
déçu les espérances qu'elle avait fait
naître en nous, et sa Juliette était proche de la
perfection. Son physique assez juvénile la rend
crédible en adolescente découvrant la passion
amoureuse. Elle est non seulement une technicienne
irréprochable, mais aussi une artiste engagée.
Philipp Stepin incarne un Roméo plus mûr, mais
aussi impliqué sur le plan théâtral que
sa partenaire.
L'interprète masculin le plus impressionnant fut
néanmoins Alexandre Serguéïev, Mercutio
explosif, au ballon spectaculaire et à la
virtuosité flamboyante. Même s'il ne s'agit pas du
personnage principal, Mercutio est un rôle très
valorisant pour son interprète, et M.
Serguéïev a su en tirer le meilleur profit. Face
à ce freluquet bondissant se tenait le Tyblat
minéral, brut, d'Alexandre Romanchikov, artiste aux
proportions monumentales. Ce même qualificatif de
«monumental» pouvait aussi s'appliquer à
Elena Bajenova, flamboyante et noire Lady Capulet, qui rappelait
quelque peu la Maria d'Ingrid Bergman dans Pour qui sonne le glas. Et
– mais ce n'est peut être pas fortuit dans une
production née dans la Russie soviétique peu
avant le déclenchement de la Seconde guerre mondiale
–, la scène de la mort de Tybalt, où
Lady Capulet apparaît juchée sur le catafalque
soutenant le cadavre du jeune homme , et le grand tableau final de
l'acte trois ne sont pas sans évoquer l'iconographie de la
Guerre civile espagnole – côté
républicain, s'entend – et plus
particulièrement de la bataille de Guernica. Quitte
à s'éloigner un peu de Vérone.
Troisième monument, Vladimir Ponomarev, entré au
Mariinsky en 1964 – alors que Nikita Khrouchtchev dirigeait
l'URSS -, et aujourd'hui, après une formidable
carrière de plus d'un demi-siècle au sein de la
compagnie, doyen du ballet du Mariinsky. A soixante-et-onze ans, il
foule encore presque chaque soir la scène, au service de
tous les grands rôles théâtraux du
répertoire. En Lord Capulet, il n'a pas failli à
sa réputation, et sa présence est toujours aussi
formidable.
Parmi les «petits» rôles, on signalera
l'excellent Vassily Tkachenko en Troubadour – un emploi de
pure virtuosité – et la charmante Anastasia
Shevtsova, retournée dans le presque anonymat du Page de
Pâris (personnage masculin travesti) après avoir
connu la gloire en tant qu'héroïne du film Polina
réalisé par Valérie Müller et
Angelin Preljocaj.
Une belle soirée de danse, et aussi une leçon
d'histoire de la chorégraphie donc, magnifiée par
un orchestre décent placé sous la direction d'un
vieil habitué des représentations de ballet
à Saint-Pétersbourg, Boris Grouzine.
Romain
Feist © 2017, Dansomanie
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Nadezhda Batoeva (Juliette
Roméo
et Juliette
Musique : Serge Prokofiev
Chorégraphie : Léonide Lavrovski
Argument : Andrian Piotrovsky, Serge Prokofiev, Serge Radlov,
Léonide Lavrovski, d’après William
Shakespeare
Décors et costumes : Piotr Williams
Lumières : Andreï Ponizovsky, Igor Kartashov
Escalus, duc
de Vérone – Nikolaï Naoumov
Lord Capulet
– Vladimir Ponomarev
Lady Capulet
– Elena Bajenova
Juliette –
Nadezhda Batoeva
La Nourrice
– Lira Khuslamova
Tybalt –
Alexandre Romanchikov
Pâris
– Ivan Oskorbin
Roméo
– Philipp Stepin
Mercutio
– Alexandre Serguéïev
Lorenzo
– Andreï Yakovlev
Lord Montaigu
– Andreï Yakovlev
Benvolio
– Islom Baïmuradov
Le Bouffon
– Grigori Popov
Serviteurs
des Capulets – Maxim Lynda, Kirill Leontiev,
Nikita Lyashchenko
Amis de Tybalt
– Alexeï Kuzmin, Alexandre Beloborodov
Le Page de
Pâris – Anastasia Shevtsova
Les Serveuse
de la taverne – Alisa Petrenko, Olga Belik,
Maria Lebedeva
L’Amie
de Juliette (Rosalinde) – Svetlana Ivanova
Le Troubadour
– Vassily Tkachenko
Les
Courtisanes – Irina Prokofieva, Maria
Cheviakova, Lioubov Kozharskaïa
Ballet du Mariinsky
Orchestre
du Mariinsky, dir. Boris Grouzine
Samedi
01 avril 2017,
Théâtre du Mariinsky (Mariinsky
II)
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