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Le Ballet national de Norvège au Théâtre des Champs-Élysées
29 mars 2017 : A Swan Lake (Alexander Ekman) au Théâtre des Champs-Elysées
A Swan Lake (chor. Alexander Ekman)
C'est peu de dire qu'Alexander Ekman, chorégraphe
suédois issu de la toujours passionnante mouvance NDT, était attendu à
Paris. L'annonce récente de la collaboration avec l'Opéra de Paris du
chorégraphe-que-toutes-les-compagnies-s'arrachent, déjà consacré « petit
génie » par une presse à l'hyperbole (trop) facile, avait fini
d'aiguiser les curiosités d'un public local toujours avide de surprise
et de nouveauté. A vrai dire, on partageait nous-même cette attente :
l'homme a un talent certain et ses pièces courtes créées pour le NDT,
telles Maybe Two, Left Right, Left Right ou Cacti,
étaient formidables d'inventivité, à la fois drôles, humaines et
émouvantes. Du divertissement sophistiqué tendance Europe du Nord, chic
et choc et néanmoins sympathique.
Créé
pour le ballet de Norvège en 2014 et revisité cette
année pour la venue parisienne de la troupe, A Swan Lake – Un Lac des cygnes
– dit tout à la fois le pouvoir d'attraction irrésistible du mythe
initié par Petipa et Ivanov au XIXe siècle et le refus poli d'en faire
aujourd'hui toute une affaire. Ambitieux et modeste donc - a priori. Du
reste, Ekman s'est libéré, non sans finesse, du poids de la tradition
russe, délicat à soutenir dans le registre contemporain qui est le sien,
en recourant non à la musique iconique de Tchaïkovsky mais à celle,
d'une efficacité très cinématographique, du compositeur suédois Mikael
Karlsson. Le principe de son Lac
est simple et d'une naïveté un peu folle : prendre
résolument au pied de la lettre l'image, archi-consacrée,
du Lac des cygnes
et faire danser les danseurs... dans l'eau – sur un lac réel en quelque
sorte. Le défi est donc d'abord technique, tant pour les artistes que
pour les scénographes et machinistes (rappelons tout de même que l'idée
n'est pas entièrement neuve : il y eut, au XIXe siècle, à Paris, un
Théâtre Nautique, à la vie brève, installé Salle Ventadour, où l'on
montait des ballets aquatiques). Il justifie à cet égard que le
spectacle ait été entièrement reconfiguré pour la venue de la troupe
norvégienne au TCE et coupé de son premier acte - terrestre.
A Swan Lake (chor. Alexander Ekman)
La représentation s'ouvre sur un petit film habilement monté, narré par
Ekman en personne - certes un brin narcissique -, qui donne à voir dans
un premier temps quelques images du Lac des cygnes
dans son versant le plus classiquement classique – avec Plissetskaïa et
Oulanova en vedette -, avant de nous plonger - si l'on peut dire - dans
la conception et la préparation du spectacle à l'Opéra d'Oslo,
fascinant paquebot futuriste construit lui-même sur les eaux d'un fjord.
«147 ans plus tard » - dixit le générique de fin de la vidéo et l'introït du spectacle proprement dit -, le A Swan Lake
ekmanien ne se veut pas tant une relecture d'un classique, à la manière
de Matthew Bourne ou de Mats Ek, qu'une vision post-moderne, criblée
de références hétéroclites, où un jeu de mots vient se substituer à la
complexité symbolique du récit originel. Le tableau inaugural, auquel
fait visuellement écho le dernier, construit dans un même esprit
esthétisant, dit, à cet égard, à peu près tout ce qu'il y a dire de la
pièce, une pièce délestée de toute chorégraphie pointue comme de toute
narration articulée : sous forme de masses indistinctes, qui rappellent,
avec beaucoup moins d'inventivité, le travail d'une Crystal Pite, les
danseurs glissent, courent, chutent dans l'espèce de piscine - version
pataugeoire - géante installée sur la scène, dessinant ou sculptant dans
les airs et dans le clair-obscur des gerbes d'eau éphémères du plus bel
effet.

A Swan Lake (chor. Alexander Ekman)
Entre ces deux moments visuellement emblématiques, qui ne sont pas
eux-mêmes sans longueurs, on avoue qu'on a, peu ou prou, perdu le fil,
hésitant entre doux ennui et légère consternation, attendant en vain que
quelque chose – enfin – advienne. On a ainsi aperçu, par
intermittences, deux cygnes – un blanc, l'autre noir –, bizarrement
costumés, mis en scène dans un duo façon « je t'aime, moi non plus »,
une cantatrice folle – forcément -, jetant un sèche-cheveux dans l'eau
et provoquant un court-circuit, des joueurs de trombone débarqués d'on
ne sait où, et puis, volant dans les airs ou traversant la scène, des
ballons, des bouées, des canards en plastique, des matelas pneumatiques,
et même – pensez donc! - une ballerine sur pointes (que diable
venait-elle faire dans cette galère?). Nous faut-il encore mentionner le
cosmonaute aux ailes de cygne, qui surgit - paroxysme de l'Absurdie
générale - lors de l'ultime scène surréalisto-loufoque, projetant le
spectateur « 437 ans plus tard » - dans une sorte de version sci-fi du Lac des cygnes?
Pour mémoire, on rappellera qu'en 2014, le ballet de Norvège avait
présenté au Théâtre des Champs-Élysées, dans le cadre de ce même
festival Transcendances, un superbe triple bill Kylian, dans lequel brillait notamment le diamant noir Gods and Dogs.
Ici, cette belle compagnie s'efface derrière le concept, derrière un
spectaculaire grandiloquent et pourtant désespérément vide. Déjanté,
vous avez dit déjanté? On aurait aimé au moins sourire.
Bénédicte Jarrasse © 2017, Dansomanie
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A Swan Lake (chor. Alexander Ekman)
A Swan Lake
Musique : Mikaël Karlsson, orchestration Michael Atkinson
Chorégraphie : Alexander Ekman
Scénographie : Ana Maria Lucaciu, Christopher Kettner
Vidéo : Todd Rives
Costumes : Henrik Vibskov
Lumières : Tom Visser
Le Cygne blanc – Camilla Spidsee
Le Cygne noir – Melissa Hough
L'Observateur – Antonello Mastrangelo
Le Futur cygne – Annalisa Cianci
La Chanteuse – Lina Johnson
Un Officier – Alessandro Rende
Les Musiciens – Giacomo Luci
Les Cygnes dansants – Lindsay Craig, Melissa Hough, Whitney Jensen, Emma Lloyd
Samantha Lynch, Miharu Maki, Lisa Nielsen, Grete Sofie Borud Nybakke, Caroline Roca
Georgie Rose, Camillia Spidsøe, Leyna Magbutay, Kristin Alm, Yaniv Cohen, Douwe Dekkers
Helge Freiberg, Silas Henriksen, Yoshifumi Inao, Marco Pagetti, Fançois Rousseau
Aarne Kristian Ruutu, Riccardo Ambrogi, Shane Urton
Lina Johnson, soprano
Catharina Chen, Satryo Aryombimo Yudomartono, violons
Elisabeth Vollet, alto
Mélanie Bradal, violoncelle
Zacharie Abraham, contrebasse
Ballet national de Norvège
Petits danseurs du LAAC (Atelier d'Art Chorégraphique du TCE / Nicolas Le Riche)
Musique enregistrée
Mercredi 29 mars 2017, Théâtre des Champs-Élysées, Paris
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