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Ballet du Capitole de Toulouse
15 décembre 2016 : soirée Maguy Marin / Kader Belarbi au Théâtre Garonne
Salle des pas-perdus (chor. Kader Belarbi)
C’est un spectacle de reprise que nous propose le
Ballet du Capitole en ce mois de décembre, mais ces reprises
s’inscrivent dans une conquête
délibérée de nouveaux lieux de
représentation. Après l’église Saint-Pierre
des Cuisines la saison dernière, nous dirigeons nos pas de
l'autre côté du fleuve vers le théâtre
Garonne. Installé dans une ancienne station de pompage des eaux
de la Garonne, en aval du centre-ville, ce théâtre dispose
dans ses différents bâtiments, vidés des vannes et
turbines, de plusieurs salles à scénographie modulable,
destinées aux arts de la scène, dans un esprit
d’avant-garde soigneusement cultivé. Cette reconversion
d'un site industriel en lieu de culture ne fut pas isolée
à Toulouse dans le dernier quart du vingtième
siècle puisqu’on a vu successivement se transformer dans
la même période le Château d'eau en galerie de
photographie, les abattoirs d'Urbain Vitry en musée d'art
moderne, pour ne citer que les plus éclatantes réussites
en bordure de Garonne. N'oublions pas bien sûr la Halle aux
Grains, fidèle lieu de résidence de l'Orchestre National
du Capitole.
Qui dit nouveau lieu dit aussi nouveau public. Et en effet c'est un
public singulièrement rajeuni qui remplit les gradins de ce
grand espace. Public d'habitués aussi bien puisque Maguy Marin
fut accueillie ici même avec sa compagnie ces dernières
années. Les relations entre Maguy Marin et Kader
Belarbi ne datent d'ailleurs pas non plus d'aujourd'hui. Alors jeune
danseur à l'Opéra de Paris, celui-ci participa à
la création du poignant Leçons de
Ténèbres créé sur la grande scène
nationale.
Eden (chor. Maguy Marin)
Les deux pièces de Maguy Marin mises au répertoire de la compagnie toulousaine, aussi bien Groosland qu'Eden, ont pour point commun de recouvrir les danseurs de costumes qui les camouflent presque entièrement. Dans le duo d'Eden,
le couple surgit de l'obscurité dans un académique chair
figurant la nudité originelle. La masse de cheveux en
étoupe et le masque sans expression achèvent de les
dépersonnaliser. Le défi pour les interprètes est
d'atteindre une dimension surhumaine, mythique, reflétée
aussi par la lenteur de leurs déplacements et la fluidité
de leurs évolutions complexes, au son immuable d'une pluie
d'orage. Il est probable qu'une nudité réelle, en
dépit d'un usage qui s'est banalisé sur les scènes
depuis l'époque de la création, aurait ôté
de la force au propos. Julie Charlet et Davit Galstyan
méconnaissables font preuve de qualités idéales
pour figurer le premier couple, en se jouant d'une chorégraphie
réclamant une endurance hors du commun. La plasticité de
la danseuse enroulée autour de son partenaire, pour sa part
d'une solidité impertubable, transforme la prouesse
physique en petit moment d'éternité.
Groosland (chor. Maguy Marin)
L'atmosphère change radicalement avec le drolatique Groosland.
Transportés tout d'abord en vrac sur des chariots comme des
mannequins de mousse, une vingtaine de personnages s'animent dès
que retentit la musique dansante des concertos brandebourgeois. Leurs
silhouettes hypertophiées, à l'opposé des canons
traditionnels du ballet, leur apparence sans séduction, ne les
empêchent nullement de se mouvoir avec
légèreté. Faisant preuve tour à tour de
timidité ou d'assurance, soulignant ici la caricature,
développant là une grâce inattendue, leurs
évolutions combinent une savante organisation d'ensemble avec
des réactions individuelles pleines de
spontanéité. L'humour est bien entendu de tous les
instants. Les danseurs du capitole, engoncés dans leur corps
postiche, n'en oublient pas pas pour autant la virtuosité quand
elle est nécessaire. Pour preuve l'acrobatique pas de quatre
central, ou bien l'irrésistible mouvement final.
En ouverture de programme, Salle des pas-perdus
nous plongeait dans un univers bien plus désolé. Au
milieu de l'obscurité totale, le pianiste Julien Le Pape
traverse la scène pour rejoindre son piano avec la faible
lumière de sa petite lampe. Puis un simple carré
d'ampoules électriques au sol délimite un espace non
fermé, sorte de no man's land comme peuvent l'être parfois
les halls de gare la nuit. Dans cet espace très flou, quatre
personnages, un homme et trois femmes, encombrés de valises, se
croisent et se recroisent sans se voir. Leurs tentatives de
rapprochement ne les sortiront guère de leur grisaille,
symbolisée par leurs valises vides qu'ils inspectent
régulièrement. La silhouette courbée et vieillie
de Juliette Thélin se distingue avec éloquence. Mais par
dessus tout, Ramiro Samón fait valoir ses superbes lignes et
envolées lyriques, ayant troqué depuis la dernière
reprise son ample manteau de voyageur contre un complet plus seyant.
Ces trois pièces chorégraphiques très
contrastées avaient pour point commun de s'adapter admirablement
à ce vaste espace dépouillé du
Théâtre Garonne.
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Jean-Marc Jacquin © 2016, Dansomanie
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Eden (chor. Maguy Marin)
Salle des pas-perdus
Musique : Serge Prokofiev
Chorégraphie et mise en scène : Kader Belarbi
Costumes : Michæla Bürger
Lumières : Patrick Méëus
Avec : Juliette Thélin, Solène Monnereau, Eukene Sagüés Abad, Ramiro Samón
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Eden (duo)
Musique : Jean-Sébastien Bach
Chorégraphie, scénographie et bande-son : Maguy Marin
Costumes : Montserrat Casanova
Lumières : Alexandre Béneteaud
Avec : Julie Charlet, Davit Galstyan
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Groosland
Musique : Jean-Sébastien Bach
Chorégraphie : Maguy Marin
Costumes : Montserrat Casanova
Lumières : Alexandre Béneteaud
Pas de deux – Solène Monnereau et Nicolas Rombaut
Pas de quatre – Matthew Astley, Norton Fantinel, Minoru Kaneko, Jérémy Leydier
Ballet du Capitole de Toulouse
Piano solo : Julien Le Pape
Musique enregistrée
Jeudi 15 décembre 2016, Théâtre Garonne, Toulouse
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