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Ballet du Mariinsky
30 octobre 2016 : Le Corsaire au Mariinsky II (Saint-Pétersbourg)
Vitaly Amelishko (Conrad)
Une
tournée du Mariinsky – en Chine, donc –, cela permet certes de
voir beaucoup Olessia Novikova à la maison (après Chopiniana et Giselle en octobre, on pourra la voir dans La Sylphide et La Fontaine de Bakhchissarai début novembre, avant qu'elle ne reprenne Anna Karénine et à nouveau Giselle
un peu plus tard dans le mois), mais c'est aussi la garantie de
représentations beaucoup plus «plan-plan», pour ne pas dire médiocres,
avec des distributions résolument inégales. Preuve en est en tout cas Le Corsaire
de la matinée du 30, qui attirait du reste non pas tant les
balletomanes (ils se remettaient sans doute de la merveilleuse Giselle de l'avant-veille...) que des familles, venues passer l'après-midi du dimanche «au ballet».
Tous les balletomanes ont rêvé, à une époque
où les ballets filmés n'étaient pas si nombreux,
devant Le Corsaire
de Vinogradov, sublimé par une distribution comme on n'en fait plus –
l'incarnation pour l'Occident du glorieux Kirov des années 90 : Altinay
Assylmouratova dans le rôle de Médora, Faroukh Rouzimatov dans celui
d'Ali, Evgueny Neff dans celui de Conrad, Elena Pankova en Gulnare,
Konstantin Zaklinsky en Lankedem, sans oublier les trois Odalisques de
rêve de Margarita Kullik, Zhanna Ayupova et Veronika Ivanova. Tout cela
était tellement beau – tellement Kirov – qu'on en oubliait les lacunes
de la production d'Oleg Vinogradov, un avatar de la version, quasi princeps,
montée par Piotr Gusev et Youri Slonimsky au Théâtre Maly de Léningrad
dans les années 50, laquelle faisait fi d'une bonne partie de la musique
originale d'Adolphe Adam. On en oubliait... mais à vrai dire, on ne
connaissait rien d'autre, sinon la version d'Anna-Marie Holmes pour
l'ABT – cast de folie aussi,
mais plus circassienne tu meurs. Les temps changent pourtant. Repris
sérieusement en main en 2007 par Alexei Ratmansky et Youri Bourlaka au
Bolchoi, ou encore par Ivan Liska et Doug Fullington à Munich, Le Corsaire,
à défaut d'être ressuscité dans son texte original – une tâche de toute
façon impossible – a pu retrouver, grâce à leur travail philologique,
un certain parfum d'authenticité, que ce soit sur le plan musical,
chorégraphique ou même scénographique. Le ballet de Marius Petipa n'est
certes pas devenu, par la grâce des notations Stépanov, un ballet
«intelligent» – ce n'est de toute façon pas le propos du ballet à grand spectacle
du XIXe siècle –, mais plus intelligible et articulé dans sa narration
sans doute, ne serait-ce que par l'attention portée à la pantomime et le
refus conjoint de ne le considérer que comme une suite épuisante de
variations bravouresques ou pyrotechniques.
Oksana Bondareva (Gulnare)
Dès lors, il devient
difficile de regarder – et d'écouter – aujourd'hui ce Corsaire
«d'avant» sans tiquer. Le ballet décline bien
entendu les grands moments de la chorégraphie, correspondant
à différentes strates de son évolution : le
Pas d'esclave dansé par Gulnare et Lankedem, le fameux Pas de
deux «à trois» réunissant Médora,
Conrad et l'esclave Ali, le trio des Odalisques et le Jardin
Animé. Ces passages obligés se retrouvent
néanmoins enchâssés dans une mise en scène
qui apparaît, rétrospectivement (si l'on peut dire),
passablement désordonnée. La chorégraphie, si elle
n'a pas la trivialité de celle de Holmes, est
délestée de ses danses de caractère,
remplacées par des danses orientalisantes (dites palestinienne
et algérienne) plus soviétiques que petipesques.
L'histoire, appuyée sur une pantomime réduite et
outrancière, demeure, si l'on n'est pas bien au fait de l'action
et des personnages, difficilement lisible. La musique, trafiquée
et réorchestrée à la sauvage, est parfois à
peine reconnaissable. Les costumes, soviétiques en diable, sont,
en-dehors de ceux, charmants, du Jardin Animé, d'une laideur
assez impayable. Les décors, avec notamment des toiles peintes
outrageusement stylisées et des masses de chiffons –
censés symboliser un bazar oriental? – qui
pendouillent tristement des cintres, tranchent enfin singulièrement avec
l'élégance et la sobriété attachées ordinairement aux productions
classiques du Mariinsky. Faut-il encore en rajouter? L'arrivée du Jardin
Animé est un plaisir tardif, mais dans l'écrin confortable et d'une
modernité rutilante du Mariinsky-II, le ballet, dans l'ensemble,
apparaît bel et bien comme un anachronisme.
Yekaterina Chebykina (Médora), Andreï Batalov (Ali)
Il faut dire, pour nuancer la charge, qu'en cette matinée, le roi est à
peu près nu côté distributions. Cette version allégée, au ton légèrement
décalé – une version de son temps en ce qu'elle ne se soucie pas d'une
quelconque authenticité –, serait sans aucun doute encore acceptable, et
même tout à fait plaisante, dansée avec esprit et une once d'humour. Or, ces
qualités font, complètement ou partiellement, défaut aux deux
interprètes féminines principales, Ekaterina Chebykina et Oksana
Bondareva. Deuxièmes solistes l'une et l'autre – la première venue de
Kiev, la seconde du Mikhailovsky (mais pourquoi donc engager à
l'extérieur des danseuses qui n'ont vraiment rien d'exceptionnel quand
la compagnie a pléthore de talents laissés dans l'anonymat?) –, ce sont
peut-être deux «belles plantes», aux poses photogéniques, mais elles
ne possèdent, en vrai, ni la présence ni la technique brillante que
requièrent les rôles de Médora et Gulnare.
Andreï Batalov (Ali)
Curieusement, les
satisfactions sont venues ici des interprètes masculins. Le rôle de
Conrad n'est certes pas le plus passionnant du monde et il tend de
surcroît à être éclipsé par celui d'Ali, plus bref mais plus valorisant
chorégraphiquement parlant. Pour autant, le jeune (et très grand) Vitaly
Amelishko y affirme une présence scénique certaine et y fait montre,
outre d'une saltation puissante, de belles qualités de danseur noble. Le
voir évoluer aux côtés d'Andrei Batalov – Ali ressorti des placards
parce que les autres n'étaient pas disponibles? – paraît néanmoins quelque
peu cocasse. Ce danseur de génie – une sorte de mythe local, perdant
magnifique à la Emmanuel Thibault – n'a certes plus toute la fougue et toute la souplesse de
sa jeunesse, mais sa classe académique et sa légèreté féline demeurent
intactes. Maxim Zyuzin, enfin, sait, en Lankedem, mener le train avec
énergie et brio dans la scène du Bazar et dans le Pas d'Esclave, aux
côtés d'une Oksana Bondareva bien scolaire. Petite curiosité pour
balletomanes initiés, cette représentation voyait les débuts de Laura
Fernandez, lauréate du Prix de Lausanne et récente diplômée de
l'Académie Vaganova, en première Odalisque. Un joli début et
l'impression, à confirmer toutefois, que la jeune danseuse trouve sa
place, aux côtés de ses congénères plus expérimentées, sur la scène du
Mariinsky. Le trio n'en reste pas moins un tantinet hétérogène, dominé,
sans surprise, par Sofia Ivanova-Skoblikova, troisième Odalisque à la
danse musicale et superbement coordonnée, qui nous fait renouer,
l'espace d'un instant, avec la grandeur d'une école et d'un théâtre.
Bénédicte Jarrasse © 2016, Dansomanie
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Yekaterina Chebykina (Médora), Vitaly Amelishko (Conrad)
Le Corsaire
Musique : Adolphe Adan, Cesare Pugni, Léo Delibes, Riccardo Drigo, Piotr Oldenburgsky
Chorégraphie : Piotr Gusev (1987), d'après Marius Petipa
Argument : Jules-Henry Vernoy de Saint-Georges et Joseph Mazilier
Adapté par Youri Slonimsky et Pyotr Gusev
Décors : Teymuraz Murvanidzé
Costumes : Galina Solovyova
Conrad – Vitaly Amelishko
Médora – Yekaterina Chebykina
Gulnare – Oksana Bondareva
Lankedem – Maxim Zyuzin
Birbanto – Alexeï Tyutyunnik
Ali – Andreï Batalov
Saïd Pacha – Andreï Yakovlev
Trois Odalisques – Laura Fernandez, Anastasia Lukina, Sofia Ivanova-Skoblikova
Danse des Forbans – Elena Bazhenova, Alisa Rusina, Anastasia Konstantinova
Boris Zhurilov, Naïl Khaïrnasov
Danse Algérienne – Irina Prokofieva
Danse Palestinienne – Polina Rassadina
Ballet du Mariinsky
Orchestre du Mariinsky, dir. Vladislav Karklin
Dimanche 30 octobre 2016 (14h00), Théâtre du Mariinsky (Mariinsky II)
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