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Ballet de l'Opéra National de Bordeaux
07 novembre 2016 : La Tempête, de Mauricio Wainrot, au Grand Théâtre de
Bordeaux
La Tempête (chor. Mauricio Wainrot)
Macbeth, Othello…, user du répertoire lyrique aurait été chose
aisée pour commémorer les quatre cents ans de la mort de William
Shakespeare. C’est toutefois à la compagnie de ballet que
revient, à Bordeaux, cette prérogative. Celle-ci inaugure ainsi la saison
chorégraphique avec La Tempête, nouvelle collaboration avec le chorégraphe argentin Mauricio
Wainrot, qui venait tout juste de clore la saison
précédente avec Le Messie.
Sa composition autour de l’œuvre shakespearienne a
été créée en 2006 pour le ballet
contemporain du théâtre San Martin qu’il dirigeait alors,
avant de faire une première incursion en France, en 2012,
invité par le ballet du Capitole. C’est d’ailleurs
des ateliers toulousains que sont venus les décors, costumes
et accessoires utilisés lors de ces représentations.
Encore un bel exemple de la coopération entre les deux
théâtres.

La Tempête (chor. Mauricio Wainrot)
La Tempête,
souvent considérée comme l'œuvre testamentaire du
dramaturge anglais, est une réflexion, riche
d’interprétations, sur les limites du pouvoir et de la
liberté. Sous la forme d’une songerie tragi-comique, la
pièce raconte comment Prospero, duc de Milan, exilé sur
une
île, parvient à asservir les présences
indigènes, avant de provoquer une tempête attirant son
frère parjure dans une série d’épreuves
expiatoires, un frère à qui, finalement, il pardonnera.
Rappeler ces quelques éléments n’est pas superflu car la narration du ballet manque de
lisibilité. Le choix musical de Mauricio Wainrot n’y est
pas étranger. L’ensemble du ballet est
ainsi chorégraphié sur une multitude d’œuvres de
Philip Glass (extraits de The Hours, Dracula, Anima Mundi,
etc.). Le minimalisme et le caractère répétitif
des compositions bouleversent les certitudes et nous immergent dans cette féérie. Néanmoins,
l’absence de thèmes rend l’identification des
personnages difficile et ne concourt pas à dépeindre aisément le
cadre de l’action. Certains morceaux, comme Anthem Part 2 (The Truman Show),
l’esquissent, mais de manière trop ponctuelle.
L’ensemble
manque de cohésion. En effet, chaque morceau musical renvoie
à un
tableau chorégraphique, qui fige un temps de la narration, mais
aucun lien véritable n'est jamais tissé entre eux.
L’accumulation
de rythmes variés vient également brouiller le
développement de l’intrigue : tempo de la musique,
cadence des mouvements, rotation métronomique en fond de
scène. Ils apparaissent discordants et ne parviennent à
mener vers une seule
direction. Il en résulte un détachement de
l’action qui en vient à faire passer le déferlement
de la tempête pour une discrète houle
chorégraphique.
La Tempête (chor. Mauricio Wainrot)
Inhibitrices des péripéties, les immenses hélices
sont le fruit du travail de Carlos, qui a signé les décors,
les costumes et les vidéos, ce qui lui a valu un Prix Benois de
la danse en 2007. Elles prennent place dans trois immenses ventilations
industrielles qui hypnotisent. Elles dessinent non pas les vents chauds
soufflant aux abords d’une île exotique, mais les tourments
de Prospero. Dans un lieu froid et claustral, les projections semblent
faire écho à l’errance de ses pensées, comme
si la farce toute entière prenait place dans son esprit. Alors
que, dans l’œuvre théâtrale, Prospero est un
savant en pleine maturité, Oleg Rogachev incarne un enchanteur
reclus, expulsé de l’humanité en raison
d’une méconnaissance des réalités. Seul,
perdu dans l’innocence irrationnelle de ses livres, il doit
parcourir un chemin initiatique et traverser la noirceur de la nature
humaine pour finalement comprendre qu’au-delà des arts et
des sciences, seuls le pardon et l’amour peuvent le ramener
à son humanité. La jeunesse du danseur sert
l’interprétation et donne une vision neuve du personnage.
Sa danse émane d’un corps élevé, gracile
mais assuré. Le mage nous guide. Ses déplacements
enveloppent la scène et recentrent l’intrigue. C’est
indéniablement le rôle clé de l’œuvre
et c'est lui, finalement, qui apporte une part du liant manquant à
l’ensemble.

La Tempête (chor. Mauricio Wainrot)
Pour cette
traversée des affres de l’âme humaine, il ne fallait
pas moins de quatre esprits de l’air en soutien. Mauricio Wainrot
a brillamment composé le personnage d’Ariel en associant
quatre interprètes. Cet artifice permet au chorégraphe
argentin d’exprimer son sens du mouvement. Immatérielle et
diaphane, Sara Renda déclame une poésie aérienne.
Quant au trio Austin Lui, Jérémie Neveu et Neven
Ritmanic, il est indissociable. Ils forment un même être
vaporeux, jaillissant de toutes parts, incarnant ainsi
l’omniscience de l’esprit de l’air. La prise de
rôle la plus forte reste cependant celle de Marc-Emmanuel Zanoli.
Caliban,
cet être fascinant! A la fois objet d’un fantasme
désuet et allégorie des excès colonialistes,
l’image de Caliban ne peut vivre que dans l’emphase. Le
corps anfractueux frappe par son animalité primitive. Son
impudence choque. L’engagement de Marc-Emmanuel Zanoli va
au-delà de la danse, il est total et souligne une
interprétation aboutie. Il est d’ailleurs le seul
interprète du rôle et assure l’ensemble des huit
représentations. Malgré les qualités reconnues de
danseurs comme Oksana Kucheruk, Stéphanie Roublot
ou Ashley Whittle, le reste de la distribution peine à exister,
sans doute évanoui dans ces brumes narratives. On retient
néanmoins l’interprétation de Kase Craig, qui
assure,
avec authenticité, une danse en miroir de
l’interprétation d’Oleg Rogachev. Les lignes souples
de Claire Teisseyre permettent, elles, de donner du relief à une
apparition trop furtive.
La pièce
reçoit les faveurs d’un public acquis à ce
répertoire néo-classique taillé pour la compagnie.
La Tempête, en tant que ballet narratif, n’en laisse pas
moins un sentiment d’inachevé. C’est la richesse
d’une œuvre équivoque, la complexité de ses
personnages et la qualité de l' interprétation qui
en soutiennent la structure inégale. Avec sa quatrième
collaboration, Mauricio Wainrot montre son attachement pour la
compagnie bordelaise. Il est dès lors certain, qu’en dépit de
ses nouvelles fonctions de Directeur des Affaires culturelles du
Ministère des Affaires Etrangères argentin, le
chorégraphe présentera de nouveau son vaste
répertoire au Grand Théâtre. Nous lui faisons
confiance pour pallier ce décousu et exprimer
l’émotion baroque que nous lui connaissons.
Fabien Soulié © 2016, Dansomanie

La Tempête (chor. Mauricio Wainrot)
La Tempête
Chorégraphie : Mauricio Wainrot
Musique : Philip Glass
Décors, costumes et vidéo : Carlos Gallardo
Lumières : Patrick Méeüs
Prospero, duc de Milan – Oleg Rogatchev
Miranda, fille de Prospero – Oksana Kucheruk
Susana, mère de Miranda – Claire Teisseyre
Caliban – Marc-Emmanuel Zanoli
Alonso, roi de Naples – Ashley Whittle
Ferdinand, fils d'Alonso – Pierre Devaux
Antonio, frère de Prospero – Kaise Craig
Ariel (fille) – Sara Renda
Ariel (3 garçons) – Austin Lui, Jérémie Neveu, Neven Ritmanic
Sycorax, sorcière et mère de Caliban – Pascaline Di Fazio
Trinculo, un bouffon – Guillaume Debut
Stefano – Alexandre Gontcharouk
Ballet de l'Opéra National de Bordeaux
Musique enregistrée
Lundi 07 novembre 2016, Grand Théâtre de
Bordeaux
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