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critiques et comptes rendus
Staatsballett Berlin

07 octobre 2016 : Casse-Noisette (Nacho Duato) à la Deutsche Oper de Berlin


Casse-Noisette (chor. Nacho Duato)

Première nouvelle pièce de la saison pour le Staatsballett de Berlin, un peu en avance en ce début d'octobre : Casse-Noisette, dans la chorégraphie de Nacho Duato, créé au Théâtre Mikhailovsky en décembre 2013. Le public présent le soir de la première a reçu très chaleureusement cette entrée au répertoire, version épurée d'une œuvre incontournable.

Avant de commenter le spectacle, arrêtons-nous sur la mobilisation d'une partie du public contre la nomination du duo Sasha Waltz / Johannes Öhman à la direction artistique du Staatsballett, à partir de la saison 2019 / 2020. Le maire de Berlin, Michael Müller, à l'origine de cette décision et présent ce soir-là, a été, par deux fois, copieusement hué et sifflé, avant la représentation et pendant l'entracte. Un tel engagement des spectateurs pour la compagnie mérite d'être souligné.

Une fois encore, la compagnie du Staatsballett a offert une prestation de très belle qualité dans ce Casse-Noisette poétique. Nacho Duato dit avoir eu la volonté de donner un visage actuel au ballet et à ses personnages, tout en respectant livret et musique, et en utilisant un langage académique. Il a en quelque sorte élagué : les longueurs habituelles, notamment pendant et à la fin de la fête au premier acte, ou lors de la présentation du royaume des friandises au début du second, sont ainsi évitées. Les tempi sont par ailleurs souvent accélérés. C'est presque déroutant, quand on connaît bien le ballet, mais c'est finalement assez appréciable. L'histoire, très lisible, est quasi intégralement racontée par la danse, la pantomime est réduite au minimum. Les décors et les costumes de Jérôme Kaplan accompagnent parfaitement cette intention. Le décor n'empiète jamais inutilement sur l'espace de la scène, les costumes mettent en valeur les danseurs. Nacho Duato situe son Casse-Noisette en 1918, ce qui lui permet notamment d'habiller ses danseurs de costumes plus légers que les habituelles crinolines ou costumes masculins du XIXème siècle.


casse-noisetteCasse-Noisette (chor. Nacho Duato)

La réception de Noël prend place dans la maison des Stahlbaum, dans un intérieur élégant et sobre. Les danses des enfants (en l'occurrence des danseurs de la compagnie, pas des enfants comme c'est souvent le cas) autant que celles des parents sont divertissantes, énergiques et drôles pour les enfants, fluides et sophistiquées pour les parents. Drosselmeier est au centre de l'intrigue, Rishat Yulbarisov l'incarne avec bonne humeur et intelligence. Les trois poupées qu'il présente pour divertir l'assemblée d'enfants – Colombine, Pierrot et le Danseur Moresque [Moriskentänzer] – prennent vie dans une chorégraphie aussi difficile que gracieuse, magistralement dansée par Krasina Pavlova, Alexander Shpak et Arshak Ghalumyan.


casse-noisetteCasse-Noisette (chor. Nacho Duato)

Iana Salenko est Clara. La danseuse compte parmi les plus talentueuses de sa génération, et Berlin peut se réjouir de pouvoir admirer si souvent une artiste d'une telle envergure. Sa technique est bien sûr époustouflante, mais sa prestation va pourtant bien au-delà : on s'amuse de la voir virevolter, jouer comme une enfant, se défendre face à son frère Fritz (Dominic Whitbrook, insolent à souhait), elle nous émeut quand elle reçoit en cadeau le joli Casse-Noisette, quand plus tard elle tombe amoureuse de ce jouet devenu un prince. La scène, durant laquelle Drosselmeier offre justement à sa filleule le Casse-Noisette, est toute de douceur et de poésie. Le jouet a des bras articulés, ce qui donne presque l'impression d'un pas de trois. Quand Clara et Drosselmeier le tiennent chacun par une main, il prend déjà un peu vie.


casse-noisetteCasse-Noisette (chor. Nacho Duato)

La transition de la fête au début du rêve de Clara à la bataille des souris et des soldats est simple et rapide. Clara ne s'endort pas dans un fauteuil, elle passe simplement à l'avant-scène avec un gros oreiller sous le bras : pas besoin de plus, l'histoire demeure tout à fait compréhensible. Les souris, plutôt de gros rats en l'occurrence, sont les personnages préférés du chorégraphe, de son propre aveu. Ils sont drôles, leur danse est athlétique, loufoque. Leur roi, l'excellent Nikolay Korypaev, est aussi laid et fat qu'attendrissant. On regrette presque que les soldats gagnent finalement la bataille, on voudrait voir les rats un peu plus longtemps! Marian Walter interprète le Casse-Noisette du rêve de Clara, son Prince. Il est gai, rassurant, attentif, charmeur, impeccable. L'entente sur scène des deux protagonistes est évidente.

Un regret : le pas de deux, dansé par Clara et son Prince, qui précède la Valse des flocons, et ce, malgré l'excellence des interprètes. Alors que tout était jusque là d'une musicalité irréprochable, la vitesse imposée ici par le chorégraphe, à l'orchestre et aux danseurs, rend l'exercice périlleux. Les pas ne semblent même pas être posés sur la musique, et le pas de deux en devient parfois maladroit, peu intéressant, peu organique, car pas assez musical.


casse-noisetteCasse-Noisette (chor. Nacho Duato)

La scène de la neige (dans un ciel étoilé en fond de scène, et sous d'impressionnantes stalactites) est simple et efficace, sans rien d'exceptionnel à signaler cependant, si ce n'est les costumes, originaux et réussis.

Le deuxième acte est peut-être encore plus allégé (parfois même un peu sec) que les versions habituelles de Casse-Noisette, tant au niveau des décors que de l'histoire. Pas de Fée Dragée, pas de Roi des Bonbons, pas de monstres, pas de cavaliers, pas de pâtisseries ni de friandises dans tous les coins, etc. Le décor est le même ciel étoilé qu'à la fin du premier acte, nous flottons toujours avec Clara dans son rêve nocturne. Chaque danse du second acte est illustrée par un élément de décor disproportionné : là réside la féerie proposée par Jérôme Kaplan. Pour la danse espagnole, un immense éventail rouge est suspendu au-dessus du couple de danseurs, Sarah Mestrovic et Cameron Hunter. 

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Casse-Noisette (chor. Nacho Duato)

La danse arabe est accompagnée d'un long et large serpent, articulé et illuminé de l'intérieur, qui s'enroule et se déroule lentement sur le plateau pendant toute la danse. La sensualité de Julia Golitsina en danseuse arabe contraste avec la drôlerie de ses deux acolytes ventrus, Alexander Abdukarimov et Dominic Whitbrook. 

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Casse-Noisette (chor. Nacho Duato)

La danse chinoise manque un peu de précision d'exécution, mais là encore la cadence est telle qu'on ne peut en vouloir aux danseurs. On regarde en revanche avec des yeux d'enfant émerveillé la gigantesque ombrelle chinoise qui tourne au milieu du plateau. La danse russe, ici interprétée par quatre marins, remporte comme toujours avec énergie les suffrages du public. La danse française (Mirlitons) présente un couple d'amoureux, les talentueux Luciana Voltolini et Kévin Pouzou. Ce pas de deux, très académique, est vif et attendrissant.


casse-noisetteCasse-Noisette (chor. Nacho Duato)

La Valse des fleurs s'ouvre avec deux couples en avant-scène devant le rideau, fermé le temps d'un changement de décor. Si le rêve de Clara se poursuit, le procédé interrompt malheureusement la rêverie du spectateur. La Valse des fleurs est malgré tout très belle, un peu simpliste dans sa construction peut-être. Les costumes des danseuses, et cela étonne d'autant plus que tous étaient jusque là très réussis, ne les mettent pas en valeur, coupant et élargissant les silhouettes, c'est dommage pour cette scène d'ensemble.

Autre déception notable de la soirée, pour les mêmes raisons qu'au premier acte : le grand pas de deux, où l'on retrouve pourtant Iana Salenko et Marian Walter. La musique est tellement accélérée qu'elle en perd sa majesté, et à nouveau rien n'est vraiment musical. J'avoue m'être même ennuyée. Les variations sont plus réussies, on savoure enfin à nouveau le brio, les nuances, la musicalité des deux danseurs.

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Casse-Noisette (chor. Nacho Duato)

Après le final, le Prince redevient en quelques instants un Casse-Noisette, le rêve se déconstruit et s'achève, Clara retrouve son jouet, et le rideau tombe sous des applaudissements longs et enthousiastes.

Pas de faste ni d'abondance, donc, dans ce Casse-Noisette, mais de la rêverie, de la douceur et des rires. Pour Nacho Duato, la danse – classique ou non, là n'est pas la question – doit être moderne, adaptée à son époque, vivante. Et alors que nombre de chorégraphes utilisent pléthore d'artifices, souvent pour remplir le vide, et au détriment de la danse, Nacho Duato, lui, remet toujours, obstinément, la danse et les danseurs au centre.




Éléonore Turri © 2016, Dansomanie

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Casse-Noisette (chor. Nacho Duato)



Casse-Noisette (Der Nußknacker)
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski
Chorégraphie et mise en scène : Nacho Duato
Décors et costumes : Jérôme Kaplan
Lumières : Brad Fields

Clara –  Iana Salenko
Le Prince / Casse-Noisette – Marian Walter

Drosselmeier – Rishat Yulbarisov
Madame StahlbaumElena Pris
Monsieur Stahlbaum – Michael Banzhaf
Fritz – Dominic Withbrook
Pierrot – Alexander Shpak
Colombine – Krasina Pavlova
Danseur moresque (Moriskentänzer) Arshak Ghalumyan
Le Roi des rats – Nikolay Korypaev

Danse espagnole – Sarah Mestrovic, Cameron Hunter
Danse arabe – Julia Golitsina, Alexander Abdukarimov, Dominic Withbrook
Danse chinoise – Marina Kanno, Patricia Zhou, Vladislav Marinov, Wei Wang
Danse russe – Alexander Akulov, Arshak Ghalumyan, Konstantin Lorenz, Alexej Orlenko
Danse française (Mirlitons) – Lucia Voltolini, Kévin Pouzou


Staatsballett Berlin
Chœur de  jeunes filles de la Sing-Akademie de Berlin
Orchestre de la Deutsche Oper de Berlin, dir. Robert Reimer

Vendredi 07 octobre 2016,  Deutsche Oper Berlin


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