menu - sommaire



critiques et comptes rendus
Stuttgarter Ballett

20 juillet 2016 : Roméo et Juliette (John Cranko) au Ballet de Stuttgart


Friedemann Vogel (Roméo) et Alicia Amatriain (Juliette)


Il suffit de voir Alicia Amatriain aux saluts, et tout est dit : le spectacle est fini, mais le visage est marqué, comme figé dans l’ultime douleur de Juliette, et les larmes coulent encore cinq bonnes minutes après le début des applaudissements. On a beau avoir vu peut-être trop souvent ce Roméo et Juliette de Cranko, cette soirée estivale restera dans les mémoires du public. Peut-être, à vrai dire, cette Juliette ne serait pas du goût de tout le monde. C’est à peine si, dans la scène d’entrée avec la nourrice, elle joue la petite fille : cette Juliette n’est plus une enfant, elle ne se laisse pas prendre au piège de la belle robe de mariée qu’on lui montre ; tant qu’elle n’a pas rencontré Roméo, elle se laisse faire, certes, mais on la sent en attente, sur la réserve. La danse avec le comte Pâris, luxueusement distribué en la personne de David Moore, est d’une fluidité et d’une légèreté irréelle (il faut se faire violence, dans cette scène, pour constater quel raffinement de technique est mis en œuvre pour ralentir ainsi les pas et les portés) : pas même une illusion, plutôt un faux-semblant.

Roméo et Juliette  chor. John Cranko
Alicia Amatriain (Juliette) et Friedemann Vogel (Roméo)

Quand arrive Roméo, alias Friedemann Vogel, cette Juliette n’a pas la naïveté des amours adolescentes, mais elle sait qu’elle a trouvé ce qu’elle cherchait. Et elle sait que cela passera pour elle par la tragédie. Le pas de deux du balcon a encore un peu d’optimisme romantique, le duo de l’acte III plus du tout : a-t-on déjà vu ce matin d’une nuit d’amour aussi tragique, aussi dénué d’espoir et de lumière? Friedemann Vogel est le partenaire qu’il lui fallait, et il est naturellement à l’unisson de cette approche inhabituellement sombre. Sa séduction, dès le début, est un peu lunaire, et il ne participe qu’avec un peu de réserve aux assauts de virilité de ses camarades. Sa danse parfaitement dosée, privilégiant l’équilibre aux effets, tranche avec ce qu’on voit souvent sur les grandes scènes mondiales où les muscles se montrent - y compris à Stuttgart, si on pense à Jason Reilly. On a vu danse plus spectaculaire, mais rarement aussi intelligente ou aussi maîtrisée.  

Roméo et Juliette chor. John Cranko
Friedemann Vogel (Roméo), Pablo von Sternenfels (Mercutio), Rolando D'Alesio (Lord Capulet)
Robert Robinson (Tybalt), Martí Fernandez Paixa (Benvolio)


Dans ces conditions, la pièce de Cranko prend la forme d’un diptyque où tout son sens très efficace du comique est remplacé au beau milieu du second acte par la pure tragédie, dès les morts successives de Mercutio et de Tybalt. La comédie est incarnée avec entrain par le Mercutio de Pablo von Sternenfels : la manière dont il se joue des Capulet dans la scène de bal de l’acte I, avec un entrain franchement voyou, est un régal. Mais, avouons-le, si impliqués qu’aient été tous les protagonistes de ces scènes comiques, c’est bien le visage de douleur d’Alicia Amatriain et lui seul qu’on emporte dans la nuit estivale.



Dominique Adrian © 2016, Dansomanie

Le contenu des articles publiés sur www.dansomanie.net et www.forum-dansomanie.net est la propriété exclusive de Dansomanie et de ses rédacteurs respectifs.Toute reproduction intégrale ou partielle non autrorisée par Dansomanie ou ne relevant pas des exceptions prévues par la loi (droit de citation notamment dans le cadre de revues de presse, copie à usage privé), par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. 



Roméo et Juliette
Musique : Serge Prokofiev
Chorégraphie : John Cranko
Décors et costumes : Jürgen Rose

Juliette – Alicia Amatriain
Roméo – Friedemann Vogel
Tybalt – Robert Robinson
Paris – David Moore
Mercutio – Pablo von Sternenfels
Benvolio – Martí Fernandez Paixa
Lady Capulet – Birgit Keil
Lord Capulet – Rolando D'Alesio


Stuttgarter Ballett
Württembergische Staatsorchester, dir. James Tuggle

Mercredi 20 juillet 2016, Opernhaus Stuttgart


http://www.forum-dansomanie.net
haut de page