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critiques et comptes rendus
Stuttgarter Ballett

18 juillet 2016 : Skizzen (Esquisses) - Vingt ans de créations au Ballet de Stuttgart


Robert Robinson dans The Boy (chor. Louis Stiens)


Peut-on résumer en une soirée vingt ans de création au Ballet de Stuttgart? C’est ce qu’ose Reid Anderson pour fêter les vingt ans de sa direction. Le saint fondateur John Cranko a laissé à sa troupe trois grands ballets narratifs, qu’on reverra plus tard dans cette semaine festivalière, et toute une série de pièces les plus diverses ; mais ce qui reste de lui, c’est tout autant la génération de chorégraphes qu’il a contribué à faire émerger à partir de Stuttgart, dont les plus éminents sont certainement John Neumeier, William Forsythe et Jiři Kylián. La programmation de cette soirée ouverte à la création entre ainsi en pleine communion avec l’héritage prestigieux de la troupe de Stuttgart.

Vingt ans de nouvelles pièces, cela veut dire, en danse, que beaucoup des créateurs ne sont plus sur scène pour défendre leur rôle. La soirée n’est pas qualifiée de «gala», mais cela y ressemble bien, d’autant que la quasi-totalité des premiers solistes et des solistes de la troupe sont impliqués dans la soirée : beaucoup ont dû apprendre des pièces nouvelles pour les trois représentations de ce spectacle. L’une des douze pièces prévues étant supprimée ce soir, il reste donc onze visions différentes d’une politique de création sans laquelle la troupe la plus classique ne peut plus vivre.
 
Mais rien ici ne vient marquer la fixation sur un style chorégraphique immuable que l’ombre de Cranko pourrait entraîner, à la façon du NYCB qui n’a pas encore appris la mort de Balanchine. Cranko a été l’un des protagonistes de la réinvention du ballet narratif dans l’après-guerre : ici, seuls deux ballets apparaissent clairement narratifs, le petit extrait d’Orlando de Marco Goecke et la Lulu de Christian Spuck qui terminent chacune des deux parties de la soirée. Le premier est l’occasion d’admirer Friedemann Vogel, en un solo qui fait admirer ses capacités expressives plus que sa virtuosité technique ; dans Lulu, au contraire, Alice Amatriain s’en donne à cœur joie dans cette petite scène d’amour bohème : il y aurait un inventaire à faire de toutes les positions que prennent ses jambes dans ces quelques minutes. Mais la virtuosité pure n’est pas la tonalité dominante de la soirée : certaines pièces, sans doute, exigent beaucoup des danseurs, mais sans la moindre ivresse démonstrative. On le voit bien avec le duo de Kevin O’Day dansé par Anna Osadcenko et Jason Reilly : la musculature impressionnante de Reilly est certainement sollicitée, avec beaucoup de vitesse au début, mais avec surtout une atmosphère en demi-teinte qui demande des qualités beaucoup plus subtiles que la simple énergie musculaire.

L’ensemble de la soirée n’est cependant pas d’une tonalité très lumineuse : Sirs, de Bridget Breiner, qui met en scène une ballade un peu nostalgique chantée par Nina Simone, est un peu un éclair de lumière après les trois premières pièces très sombres : plutôt que The Boy de Louis Stiens ou l’extrait de Big Blur de Demis Volpi, on retiendra surtout le très beau R. A. M. de Martino Müller (1997) : on aurait aimé voir toute la pièce pour mieux en saisir les enjeux, mais cette danse anguleuse et souple, cette atmosphère sombre et tendue suffisent à fasciner, et on y admire particulièrement Adam Russell-Jones qui irradie ce moment. Dans une esthétique contemporaine finalement assez proche, mais un peu plus convenue, Marc Spradling montre qu’il a été l’élève de Forsythe : c’est très agréable, mais un peu plus convenu que le maître. 


Le spectacle accorde naturellement une part importante à tous ceux qui, en tant que chorégraphes en résidence (Spuck, Goecke…) ou même en tant que danseurs de la troupe, ont créé pour la compagnie, souvent en passant par les fameuses soirées de la Société Noverre. C’est notamment le cas de Katarzyna Kozielska, ici avec un solo dansé par Adhonay Soares da Silva, qui évolue entre des cercles de lumière, une pièce assez mélancolique pour un danseur toujours en mouvement, d’un cercle à l’autre, entre les cercles, d’une émotion à une autre.

Orlando, chor. Marco Goecke
Friedeman Vogel dans Orlando (chor. Marco Goecke)

On regrettera seulement l’exiguïté des lieux, alors que le spectacle n’aurait pas eu de mal à remplir, par exemple, les quelques centaines de places du beau Schauspielhaus que le ballet utilise parfois, à un prix plus modique que les 55 € demandés pour la soirée. Il est vrai que la proximité entre les spectateurs et la scène est une expérience rare dans le monde de la danse «classique» ; cette intimité est souvent fascinante, même s’il faut bien avouer qu’on voit aussi de ce fait des détails pas nécessairement destinés à être vus. Dans ce cadre, les réactions du public sont en tout cas aussi enthousiastes que lors du plus classique des galas : la diversité des créations proposées, en même temps que la cohérence des choix de Reid Anderson, dessinent un portrait de la création contemporaine qui montre que les troupes classiques ont d’autres choix que la simple perpétuation d’un style ou les platitudes glamour d'un style international en vigueur de Londres à Moscou en passant par New York.




Dominique Adrian © 2016, Dansomanie

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Skizzen (Esquisses)

R.A.M. (Random Access Memory)
Bande-son : Jad McAdam
Chorégraphie : Martino Müller

Avec : Myriam Simon, Agnes Su, Louis Stiens, Adam Russell-Jones
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The Boy
Musique : Pancrace Royer
Chorégraphie : Louis Stiens

Avec : Robert Robinson
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Big Blur
Musique : Philippe Ohl
Chorégraphie : Demis Volpi

Avec : Elisa Badenes, Angelina Zuccarini, Matteo Miccini
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Sirs
Musique : Joseph Hathaway, Charles Kingsley
Chorégraphie : Bridget Breiner

Avec : Alice Amatriain, Alexander McGowan, Adhonay Soares da Silva, Fabio Adorisio
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Ssss…
Musique : Frédéric Chopin
Chorégraphie : Edward Clug

Avec : Anna Osadcenko, Hyo-Jung Kang, Agnes Su, David Moore
Pablo von Sternenfels, Adam Russell-Jones
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Orlando
Musique : Philip Glass d'après David Bowie
Chorégraphie : Marco Goecke

Avec : Friedemann Vogel
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Melodious gimmick to keep the boys in line
Musique : Boris Bell
Chorégraphie : Marc Spradling

Avec : Rocio Aleman, Constantine Allen, Ami Morita, Louis Stiens
Matteo Miccini, Roger Cabrera Cuadrado
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Orma
Musique : Bruno Moretti
Chorégraphie : Mauro Bigonzetti
(supprimé)
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Firebreather
Musique : Ludovico Einaudi
Chorégraphie : Katarzyna Kozielska

Avec : Adhonay Soares da Silva
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Miniatures
Musique : Dustin O’Halloran, Simeon ten Holt
Chorégraphie : Douglas Lee

Avec : Elisa Badenes, Martí Fernandez Paixa
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Delta inserts
Musique : John King
Chorégraphie : Kevin O’Day

Avec : Anna Osadcenko, Jason Reilly
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Lulu. Eine Monstertragödie
Musique : Dimitri Chostakhovitch
Chorégraphie : Christian Spuck

Avec : Alice Amatriain, David Moore


Stuttgarter Ballett
Musique enregistrée

Lundi 18 juillet 2016, Kammertheater Stuttgart


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