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Compagnie Hofesh Shechter - Théâtre de la Ville (Paris)
04 juin 2016 : barbarians, de Hofesh Shechter, au Théâtre de la Ville (Paris)
barbarians (chor. Hofesh Shechter)
Début
Juin la compagnie de Hofesh Shechter était pour la
sixième fois l'hôte du Théâtre de la Ville
pour y présenter barbarians,
une création de 2015 pour les Berliner Festspiele. Ce n'est pas la
dernière œuvre en date du chorégraphe car il a récemment créé Clowns pour le Nederlands Dans Theater en mars de cette année, mais barbarians
était une commande du Théâtre de la Ville, il était donc logique
qu'elle y soit présentée au cours de la saison, d'autant qu'en 2017 La
Ville, délocalisée à la Villette, aura la primeur de sa création 2017.
Un b minuscule pour le titre de
cette pièce, mais une ambition majuscule tant dans l'intitulé,
connaissant le style du chorégraphe, que dans le découpage en trois
parties, lui permettant le sous-titrage Trilogie.
Ces trois morceaux sont bien différents stylistiquement et pourraient
même prétendre à une présentation autonome, mais d'une part le final en
mode "tous en scène" peu importe les divergences des costumes, un peu à
la Balanchine d'ailleurs, et surtout l'approche analytique de chaque
passage confère à l'ensemble toute sa cohérence. En effet les trois
temps de la pièce correspondent aux trois pans de la topique freudienne
moi / surmoi / inconscient, sauf qu'en se mettant lui-même en scène à la
première personne du singulier au lieu d'invoquer un personnage objet de
transfert, Hofesh Shechter renversera totalement notre perception de
spectateur.
barbarians (chor. Hofesh Shechter)
Tout avait pourtant commencé de manière attendue dans la lignée de la
marque Shechter : musique tribale très amplifiée à base de percussions
composée par le chorégraphe, scénographie dépouillée reposant sur des
effets quasi stroboscopiques de l'éclairage, alternant noir total et
lumière aveuglante, et gestuelle chorale intense. Cette partie intitulée
the barbarians in love
induisait déjà des éléments de surprise, comme un très rapide passage de
neuf à six danseurs, telle une volonté d'épurer le propos, ou
l'adjonction d'extraits de musiques médiévales de Jordi Savall ou de
François Couperin pour quelques moments de danse abandonnant les chocs
pour la fluidité. De même les costumes des danseurs prenaient d'emblée
le contre-pied de la barbarie attendue : uniformément blancs, de type
vêtements de toile légère dont la largeur distillait les prémices d'une
certaine flottaison. Comme les chaussettes blanches glissant sur le
tapis noir, lui même constellé de points fluorescents, et qui donnait à
la scène une sensation d'apesanteur, et de froid sidéral ou quasi
clinique, qui loin de nous plonger dans les chaleurs d'un rituel tribal
espéré (avouons-le) amenait déjà une distanciation. Celle-ci deviendra
effective lorsque les danseurs s'arrêteront face au public dans une
demi-pénombre et qu'une voix mi maternelle mi robotique commencera à
interroger "Hofesh" qui, en bon patient désormais anglais, fera de son
mieux pour répondre à ses questions psychanalytiques basiques. Ce long
passage enregistré, surtitré pour les francophones, introduisant le
"moi" de l'auteur, et l'interrogeant sur ses motivations créatives,
trouvera sa chute dans une nouvelle ligne des danseurs, qui se
présenteront pour un long moment immobile entièrement nus dans une fort
chaste pénombre quasi absolue. Les spectateurs, ces vrais "barbares
amoureux" de la danse, des émotions et des corps, prennent évidemment de
plein fouet ce contre-pied du renoncement de l'auteur à nous servir la
violence du sommet attendu.
barbarians (chor. Hofesh Shechter)
L'entracte permet de
laisser diffuser ce message, et nous voilà en piste pour le
deuxième acte, clairement dénommé tHE bAD.
Et ici point de second degré, cette partie écrite uniquement de nuit
est une projection tous azimuts des pulsions inconscientes de l'auteur.
Chaos gestuel, lumières crues, chaleur des corps affublés de
combinaisons intégrales en latex jaune poussin semi transparentes
accentuant les mouvements des bassins ou des épaules, débordant
d'énergie et de rythme mais sans référence à un écoulement rationnel du
temps, cette mise en scène du "ça" freudien semble n'avoir de fin que
par l'épuisement des cinq interprètes. Cette partie, qui aurait elle
aussi pu constituer une pièce indépendante, n'aboutit pas malgré tout à
la sublimation totale, la faute à la première partie qui aura agi comme
un rappel à l'ordre moral et nous empêche de nous abandonner au plaisir
diffusé par les interprètes. Ce que le chorégraphe a d'ailleurs anticipé
car il a interrompt sa sarabande électrique pour une nouvelle séance
d'apostrophe verbale, cette fois portée "live" par un danseur, dont le
message s'apparente à une invitation à la jouissance du plaisir sans
frein. On profitera dès lors mécaniquement un peu plus aisément de la
deuxième moitié de cette partie, et ses nouvelles parties ondoyantes sur
fond de luth et de violes tudoriennes, entrecoupant les transes
explosives ou lascives, mais sans atteindre finalement le niveau que
l'on aura pu lui accorder si, par exemple, l'œuvre globale avait débuté
par cette séquence.
barbarians (chor. Hofesh Shechter)
La troisième et dernière partie sera double et intitulée (presque) logiquement Two completely different angles of the same fucking thing.
Elle débutera par un pas traditionnel porté par deux interprètes en
tenue folklorique renvoyant aux parents, ou ascendants en général, du
créateur. Pas léger sur une musique légère, en décalage complet avec le
propos du titre, ce second degré introduit astucieusement la séquence du
"surmoi" de l'auteur. Cette danse glissera progressivement vers un pas
de deux romantique et gracieux, puis de plus en plus tendu et
douloureux, pour un passage qui mêle complexe œdipien et volonté de tuer
le père. Retour des échanges en voix off jusqu'au final ou le père est
devenu le fils en se mettant à nu, au milieu des interprètes réunis, les
blancs et les jaunes, pour des tableaux chorals basé sur la dualité
plus que sur l'unisson.
barbarians (chor. Hofesh Shechter)
L'interprétation des douze danseurs est grandiose : la pièce est longue,
virtuose, physiquement exigeante, l'écriture chorégraphique impose un
grand engagement, mais ce qui marque le plus est l'homogénéité de
langage gestuel partagée par tous les interprètes, révélée, bizarrement
d'ailleurs, plus par la première partie et ces costumes qui ne collaient
pas aux membres mais amplifiaient les éventuelles divergences de
mouvements. La pièce laissera en revanche une impression plus mitigée.
Marquante comme souvent chez l'auteur, elle dévoile de lui de nouveaux
horizons créatifs, plus orientés vers la mise en situation théâtrale ou
l'intimité émotionnelle. Cependant chaque trait présenté n'évite pas
l'écueil de son corollaire négatif : la longueur induit des longueurs,
la complexité apporte des complications inutiles, le concept paraît
parfois conceptuel, et surtout l'intimité mise en scène n'épargne pas
d'un certain égocentrisme.
Mais la dose d'humour, la finesse du découpage global, l'impact visuel
si attendu et qui sera finalement réellement présent, et surtout la
qualité de cette danse, abstraite, exacerbée mais combien touchante,
donnent envie d'assumer cette sauvagerie maîtrisée.
Xavier Troisille © 2016, Dansomanie
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barbarians (chor. Hofesh Shechter)
barbarians
1ère partie - The barbarians in love
Musique : Hofesh Shechter, Victoria / Natascha McElhone, François Couperin
Chorégraphie : Hofesh Shechter
Lumières : Lawrie McLennan
2ème partie - tHE bAD
Musique : Hofesh Shechter, Mystikal, Johann Friedrich Alberti
Chorégraphie : Hofesh Shechter
Costumes : Amanda Barrow
Lumières : Lawrie McLennan
3ème partie - Two completely different angles of the same fucking thing
Musique : Hofesh Shechter, Abdullah Ibrahim, Robert White, Breden & MC Swift
Chorégraphie : Hofesh Shechter
Lumières : Lawrie McLennan
Avec : Paula Alons Gomez, Winifred Burnet-Smith, Chien-Ming Chang
Frédéric Despierre, Phil Hulford, Yeji Kim, Kim Kohlmann, Erion Kruja
Merel Lammers, Attila Ronai, Hannah Shepherd, Diego Sousa
Hofesh Shechter Company
Musique enregistrée
Samedi 04 juin 2016, 15h00 , Théâtre de la Ville, Paris
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