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Poetry (Maud Le Pladec)
25 mai 2016 : Poetry, de Maud Le Pladec au Théâtre de Chaillot (Paris)
Poetry (chor. Maud Le Pladec)
Quelques jours après l'annonce de sa saison
2016-2017, rendez-vous au Théâtre de Chaillot pour l'un des derniers
spectacles de la présente saison, Poetry
de Maud Le Pladec. Présentée dans le petit studio Maurice Béjart (85
personnes environ), la salle Firmin Gémier étant toujours en travaux,
cette pièce est la deuxième partie d'un diptyque consacrée au
compositeur Fausto Romitelli, créée en 2011, après Professor qui a fait connaître la chorégraphe un an auparavant.
La partition originale a pour titre Trash TV Trance
et est une composition pour guitare électrique seule. Durant
initialement 10 minutes, elle a été complétée par le guitariste belge
Tom Pauwels, de l'ensemble Ictus,
pour donner à la pièce la durée d'une petite heure. La partition sera
jouée intégralement en direct par ce même guitariste qui prend place au
centre du plateau sur une chaise derrière pupitre et pédaliers d'effets
et devant ses deux amplis. Cette occupation scénique prend d'autant plus
de place qu'il y en a peu en scène (60m2 environ), et que son jeu
réclame force gestes pour restituer la palette sonore prévue.
Heureusement l'interprète fait partie intégrante de la chorégraphie ce
qui altère quelque peu le décalage qu'il aurait pu créer avec les deux
danseurs.
Il n'en reste pas moins que la pièce est avant tout un concert mis en
danse, basé sur une partition accumulant riffs martelés et larsens
modulés. Romitelli se considérait comme un "forgeron du son", et la
guitare électrique est quasi exclusivement utilisée comme un outil
sonore et non comme un instrument mélodique. La plupart des mouvements
sont constitués d'un premier accord saturé, qui sera retravaillé ensuite
pour en moduler l'intensité ou la durée (avec des phénomènes de coupes
brutales), la hauteur (par des glissés) ou la continuité (par plusieurs
outils utilisés en guise de médiator, électroniques, éponge, câble
d'amplification...). Rien de révolutionnaire non plus, certains comme
Paul Gilbert ont utilisé des perceuses électriques pour jouer de la
guitare, quand ce n'était pas un archer (fi quel classicisme !) comme
Jimmy Page. Le résultat produit renvoie plus aux bruitages d'un La Monte
Young ou à la rythmique d'un Louis Dufort (auteur de la musique très
metal d'Henri Michaux Mouvements
de Marie Chouinard, Henri Michaux étant d'ailleurs une des sources
d'inspiration de Romitelli), mais avec l'intérêt irremplaçable que le
son soit produit en direct sur une sorte de thérémine en bois.

Poetry (chor. Maud Le Pladec)
Autour de cette focale sonore, le visuel sera
incarné par deux danseurs, la chorégraphe elle-même, qui se permet
toujours de danser, comme avec Boris Charmatz et sa création à Avignon Enfant
en 2011, et Julien Gallée-Ferré. Les dimensions de la salle imposent
une scénographie minimaliste, mais les éclairages pourtant assez
simplistes (une simple variation du spectre des couleurs primaires) nous
offrent un voyage à l'horizon bien plus lointain qu'imaginé. En
particulier grâce aux changements de couleurs qu'ils imprègnent sur les
costumes des interprètes, et notamment la robe à pois de la danseuse qui
prendra une dizaine de teintes différentes pendant le spectacle.
Initiée par la guitare de Tom Pauwels, la pièce débute par des
mouvements de bras des danseurs assis sur deux chaises pliantes. Et
surprise, ces mouvements semblent totalement dé-corrélés de la rythmique
qui nous est jouée ! Il s'avère que les danseurs disposent
d'oreillettes qui leur diffusent une partition différente (on ne
l'entendra jamais). Le seul lien entre les deux étant le temps, à
condition toutefois que le musicien le respecte à la lettre, car
l'ensemble de la pièce repose sur la dualité des désynchronisations puis
unissons des danseurs avec la partition live. Ce premier tableau
statique laissera place au tableau de plus mouvementé avec une course
des deux danseurs autour de l'instrumentiste. Avec un musicien d'Ictus
on pense évidemment à de Keersmaeker, mais le langage gestuel est propre
à la créatrice : plus ramassé et compact, puissant et tout aussi
exigeant physiquement, il se veut le prolongement des effluves
rythmiques qui proviennent de l'ampli central. Le danseur apporte lui
aussi son propre langage, plus délié, accompagnant sa gestuelle de
mouvements de doigts assez précis. Il fait prendre à l'ensemble une
autre dimension qui accentue encore le décalage proposé : plus qu'un
duo, il s'agit plutôt de deux solos sur deux musiques qui doivent
s'entrecroiser dans leurs oreilles, pour un résultat ainsi décuplé.
Poetry (chor. Maud Le Pladec)
Trois autres scènes plus statiques suivront (évidemment le travail
d'écriture sur l'occupation du plateau est assez restreint par sa
taille) : l'une où les trois interprètes seront debout de dos pour une
ligne de mouvements sonores dans un environnement clair obscur tirant
sur le rouge. Ce tableau sera sans doute le moment le plus abouti, tant
par son évolution qui gagne en intensité petit à petit, l'unisson
rythmique totale en forme de résolution des hiatus initiaux, ou par les
propositions gestuelles du danseur qui se démarque jusqu'à des quasi
pointes dans ses baskets. les danseurs s'approcheront ensuite du public
comme d'eux même pour le vrai moment de duo de la pièce où ils briseront
le face à face immobile par quelques sauts trépidants réveillant la
tectonique des décalages. Jusqu'à la scène finale, dans laquelle les
trois interprètes seront à nouveau en ligne, mais cette fois-ci face au
public et le plus proche possible, dans une lumière en contre-jour, pour
briser le silence par quelques marmonnements inaudibles devenant de
plus en plus incisifs et entomologiques.
Parfois un peu long du fait de certaines
répétitions de moments sans mouvements, la composition réussit à imposer
son minimalisme qui finalement délivre bien plus que sa simplicité
apparente. C'est vrai pour la lumière, mais aussi pour la gestuelle, qui
parvient à tisser une trame suffisante pour contrebalancer l'exubérance
musicale qui prend place en son centre. L'autre intérêt est l'idée de
danser sur une musique parallèle qui donne aux interprètes une
expression hagarde, comme s'ils étaient en dehors, d'eux-mêmes, du
rythme, ou de l'espace scénique. En défaut majeur, le manque d'amplitude
(des dimensions, de la gestuelle, des mouvements...) est un parti-pris
auquel il faut laisser le temps de diffuser, même s'il aurait sans doute
pu justifier de condenser la composition musicale pour un format plus
épuré. Mais dans cette atmosphère minimaliste, cette pièce qui prend
pour titre l'art de la composition rythmée, se déploie en ondes
concentriques, souvent distordues et parfois limpides, qui finissent par
captiver.
Xavier Troisille © 2016, Dansomanie
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Poetry (chor. Maud Le Pladec)
Poetry
Musique : Fauso Romitelli, Tom Pauwels
Chorégraphie : Maud Le Pladec
Costumes : Alexandra Bertaut
Lumières : Sylvie Mélis
Avec : Maud Le Pladec, Julien Gallée-Ferré
Tom Pauwels, guitare
Samedi 25 mai 2016 , Théâtre National de Chaillot, Paris
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