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Ballet Nice Méditerranée
14 avril 2016 : Oceana (Childs) - Voluntaries (Tetley) - Oktett (Scholz) au Ballet de Nice
Oceana (chor. Lucinda Childs)
Le mois d'Avril rime désormais avec les ballets
du même nom, programme de printemps donné par le Ballet Nice
Méditerranée d'Eric Vu-An. Depuis quelques années les saisons du ballet
de l'Opéra de Nice Cote d'Azur sont rythmées par deux programmes mixtes,
Ballets d'Octobre et Ballets d'Avril
et un spectacle événementiel pour les fêtes de fin
d'année avec la reprise d'un grand ballet narratif (Coppélia
cette année). A noter que pour ouvrir sa présente saison la compagnie
avait été invitée au Théâtre Mikhaïlovsky et qu'une tournée de plein air
viendra clôturer. La constance des efforts de son directeur artistique
tant dans la composition de sa compagnie que le choix de sa
programmation semble porter ses fruits et redonner au Ballet de Nice le
goût de l'ambition. En tout cas la troupe conquiert petit à petit une
réputation enviable, et l'occasion d'un déplacement à Nice était belle
de pousser les portes de l'Opéra de Nice pour la redécouvrir.
Le théâtre justement est situé promenade des Anglais, mais sa façade
donne côté (vieille) ville et non côté mer, comme les plus anciens
palaces d'ailleurs. La salle est à l'italienne, en fer à cheval, aux
dimensions généreuses (un millier de places, quasiment toutes remplies
pour la dernière) et la décoration or et sang des loges traditionnelle
mais s'agrémente de miroirs achevant profondeur et éclat de l'ensemble.
Son acoustique est un peu surprenante, du moins en fond de parterre,
très sonore mais avec un écho naturel important (les claquements des
pointes s'entendent très distinctement mais avec un effet retard parfois
troublant).
Et de pointes il en sera souvent question dans ce programme qui
entremêle langage classique et esprit contemporain, et qui débute par la
reprise d'Oceana, pièce créée
en 2011 par Lucinda Childs pour le Ballet de Nice. Est-ce un hommage de
la chorégraphe à la Côte d'Azur ? en tout cas tout dans ce ballet évoque
la mer, la couleur générale, les projections vidéos à l'arrière plan
mais surtout l'adéquation entre le mouvement minimaliste et répétitif,
signature typique de la chorégraphe avec celui des vagues. Ou plutôt de
LA vague, celle qui va et vient et s'étire dans le ressac, celle que
rien ne semble différencier tout en évoluant sans cesse par
d'insignifiants détails, celle de la vision continue qui finit par
troubler car elle n'offre jamais aucun équilibre, aucune pose, aucun
silence.
Avec sa véritable science de l'épure, la chorégraphe dessine un
mouvement originel qui s'articule autour de quelques figures très
simples et purement classiques (deux tours, deux pirouettes, un jeté...)
et tisse un déplacement qui avance puis recule (ou plutôt monte et
descend pour marier le langage marin avec celui de la danse !)
entrecoupés de deux courtes pauses, ou étales, et qui évoluera
imperceptiblement. Comme se transformeront subrepticement les images
projetées partant des vagues filmés sous la surface puis par dessus,
pour devenir un ciel en mouvement, des étoiles dans un crépuscule
progressif, une aurore boréale, pour enfin atteindre un noir absolu que
viendra troubler une corolle évoquant quelque anneau de poussière
galactique. Dans cet univers zen surprenant (on pensera même à Pneuma
pour le style océanique), les danseurs évoluent sur un tapis de danse
aux reflets bleutés et dans des costumes contemporains, chemises
volantes sur débardeur et shorts sur pointes pour les filles, chemises
fermées et pantalons pour les garçons, pour un évident camaïeu de bleus.
La composition musicale d'Osvaldo Golijov est la seule notion
d'éclectisme introduite dans ce ballet, mais la chorégraphe parvient à
harmoniser chaque mouvement musical dont la diversité des styles évoque
les différentes racines du compositeur, avec sa propre gestuelle
simplifiée. Si bien que chaque tableau de la partition semble ainsi
glisser sur les flots de la danse, comme un passager éphémère d'un
navire transporté par l'océan. Le renversement induit (c'est la danse
qui semble parfois sous tendre la musique) provoque même une perte des
repères spatiaux ou temporels.
Roulement continuel, cette chorégraphie qui magnifie le mouvement de la
vague est interprétée avec beaucoup de justesse par les danseurs, qui
s'attellent méticuleusement à l'esprit de la proposition qui tend à
gommer tout geste superflu, quitte à interrompre des pas juste amorcés,
esquisser plus qu'engager, intérioriser les expressions individuelles
pour mieux les diffuser ensemble, et surtout ralentir pour mieux
intensifier. Le résultat est parfaitement maîtrisé, par Veronica Colombo
notamment, ou encore Celine Marcinno et Alessio Passaquindici, et les
rares fautes d'ensemble ou accidents de pointes passent autant inaperçus
qu'une vague qui ne se brise pas et laisse un souvenir si éphémère car
immédiatement remplacé par une autre vague, similaire au point qu'on se
demande si la précédente a bien existé. Ce principe de superposition se
déploie aussi dans la gestion des entrées/sorties souvent inversée : les
interprètes entrent en dansant dans la lumière et sortent en marchant
très lentement pour gagner la coulisse la plus lointaine, dans
l'obscurité mais à l'avant scène, montrant ainsi que le retrait est
aussi important que l'apport. Initiée par un couple, passée par un
septuor en canon, la pièce s'achève sur l'ensemble des douze danseurs à
l'unisson pour un final en forme de marée montante progressive dont la
soustraction brusque et le silence soudain nous laissent à sec. Comme si
cette pièce prenait son sens dans une forme d'entropie négative, et à
force d'épure et d'empreinte qui s'estompe, nous avait imprégnés de la
plaisante mélancolie d'un simple souvenir du mouvement.
Voluntaries (chor. Glen Tetley)
Après l'entracte place à un véritable bijou, Voluntaries
de l'américain Glen Tetley. Créée en 1973 pour le Ballet de Stuttgart
juste après la disparition brutale de son emblématique directeur John
Cranko, cette pièce remontée par Bronwen Curry valait à elle seule le
déplacement à Nice !
Elle suit toutefois assez logiquement Oceana
dans le programme car on y retrouve plusieurs codes, à commencer par
l'éloge de la lenteur, comme les sorties au pas alors que les entrées
sont bondissantes, malgré l'intensité du concerto pour Orgue, Cordes et
Timbales en Sol mineur composé par Francis Poulenc (le titre Voluntaries
jouant sur la volonté, mais aussi la pièce pour orgue nommée
"voluntary" et jouée dans les églises). Sans être expressément
religieuse, cette composition ne dénature pas l'esprit sacré qui
parcourt l'oeuvre, qui débute dans un long silence, et un pas de deux
emmené Claude Gamba et une irradiante Zaloa Fabbrini, qui nous projette
d'emblée dans un mysticisme absolu qui ne nous lâchera plus. La
scénographie est encore une fois dominée par les projections à l'arrière
scène, cette fois-ci d'un soleil déjà considérablement obscurci et qui
s'éteindra peu à peu, laissant la scène faiblement éclairée. Les
danseurs sont vêtus de surprenantes combinaisons en lycra argenté
particulièrement réfléchissantes, mais qui lors des portés les
danseuses, capteront l'éclairage vertical et projetteront des éclats de
lumière vifs qui trancheront grandement avec l'atmosphère assombrie pour
un résultat tantôt astral tantôt lunaire.
Voluntaries (chor. Glen Tetley)
Ici encore les gestes chorégraphiques sont constitués de répétitions de
gestes simples pour générer en revanche plusieurs séquences de
mouvements : on retrouve pirouettes sur pointes et grands jetés,
quelques arabesques, mais surtout d'innombrables portés pour des jeux de
lumière évoqués, mais aussi d'élévation ou de direction, marquant la
quête du sens de la pièce. Tour à tour extatiques ou lyriques, parfois
poignants quand ils sont menés au sol et parviennent à se relever, puis
de plus en plus puissants, pour dessiner une géométrie virtuose, pour
finir dynamiques et acrobatiques avec des "lancers" de danseuses qui
magnifient l'élan de vie retrouvé par la force de la volonté. Ces portés
seront surtout bouleversants lorsque l'interprète du pas de trois,
Gaëla Pujol, glissera en apesanteur dans un halo de lumière, soutenue
par Zhani Lucaj et Cesar Rubio Sancho. Les pas de deux ou les ensembles
s'élèveront à l'unisson, émouvants corps fragiles et silhouettes
éthérées dans des éclairages indirects, qui parviennent à engendrer
l'harmonie et l'apaisement dans un climat qui flirte en permanence avec
le tragique et le douloureux.
Mais la force de cette oeuvre dépasse toute description narrative, car
finalement les éléments présentés sont d'une grande simplicité, et seul
l'agencement rigoureux et l'intensité insufflée par les interprètes nous
transportent et créent une âme qui prend vie dès le lever de rideau et
nous accompagne longtemps après. Pour cela la chorégraphie est d'une
exigence totale pour les danseurs, ne serait-ce que dans la précision et
la maîtrise du mouvement qui très souvent n'accompagne qu'une sur deux,
voire une sur quatre, notes de la partition. L'interprétation est ici
quasi uniquement centré vers la danse, mais cette passion qui semble
animer les dix-sept danseurs présents en scène leur permet de
s'imprégner à merveille de l'esprit de la chorégraphie et de nous le
transmettre avec une grâce étonnante.
Pour un rendu tout entier tendu vers la quête de sens et la catharsis du
questionnement de la poursuite de la vie après la mort, transcendée ici
par la danse qui établit par sa magie le lien ténu entre le défunt et
les vivants. Un chef d'oeuvre, et quelques amateurs debout dans la
salle.
Oktett (chor. Uwe Scholz)
Après un tel sommet, la tâche est ardue pour la dernière pièce de la soirée Oktett
de l'allemand Uwe Scholz. Créée en 1987 lorsqu'il avait quitté le
Ballet de Stuttgart pour prendre la direction du Ballet de Zurich. Le
lien de cette entrée au répertoire avec la précédente pièce ne s'établit
plus ici par des réminiscences stylistiques, mais par la mémoire de
John Cranko auprès duquel se sont formés à Stuttgart les deux
chorégraphes. Loin des ballets symphoniques qui constituent sa marque de
fabrique, il s'empare ici de l'octuor (d'où le titre) à cordes de Felix
Mendelssohn pour une composition intimiste mais joyeuse qui lorgne
définitivement vers le pur néo-classicisme de George Balanchine. Point
de projection ici, le mur du fond étant intégralement occupé par un
immense rideau aux draperies dorées, et les éclairages seront habituels
pour donner l'éclat au jaune poussin des longues robes des danseuses ou
au blanc des collants des danseurs dessinés pour l'anecdote par Karl
Lagerfeld.
Dans cet univers classique, Uwe Scholz semble vouloir prendre au mot le
principe lige de la philosophie de Balanchine. Long déploiement de la
jambe d'une danseuse pendant qu'un archer étire sa course, ou
tacatacatac du martèlement des pointes à l'unisson des doubles croches
de la partition : rarement on aura autant "vu la musique et entendu la
danse"! On retrouvera ainsi moult vocabulaire musical dans les éléments
chorégraphiques : accents, silences, touches, glissés, mais le résultat
loin d'être décousu par ces petites notes distillées à foison, reste
d'une élégante fluidité. Le rythme du premier mouvement est vif et
soutenu et la joie de danser s'épanouit sur les visages des interprètes
qui montrent lors de cette dernière pièce leur qualité d'expressivité,
Alba Cazorla ou Marini Vianna en tête. Le deuxième mouvement est occupé
en intégralité par un long pas de deux, bizarrement positionné dans le
découpage général et qui malgré son côté acéré et angulaire tranchant
avec un lyrisme un peu trop languissant peine à tenir la durée. Le
troisième mouvement en revanche constitue l'acmé du ballet au travers
d'un "pas de quatre" articulé en réalité entre trois danseurs qui
accompagnent dans des poses balanchiniennes une variation débordante de
virtuosité de Théodore Nelson. L'influence est manifeste mais si bien
digérée qu'on est dans la poursuite d'un style plus que dans le plagiat.
Quant à l'exécution par le demi-soliste, elle déclenchera une ovation
méritée qui aurait pu se finir debout si elle s'était terminée par, au
hasard, quelques doubles assemblés finaux. Loin de cela, la chorégraphie
privilégiera l'élégance classieuse au spectaculaire facile, et
s'achèvera lors du mouvement final par une reprise des thèmes de
l'ouverture, de jolies lignes de danseuses sur pointes et de nouvelles
poses enjouées.
Oktett (chor. Uwe Scholz)
Jolie entrée au répertoire donc, pour ce ballet qui aurait pu constituer
le sommet de nombreux programmes, mais qui se heurte ici au défaut
majeur d'être placé juste derrière Voluntaries,
même s'il parvient avec ses qualités intrinsèques et une interprétation
révélant l'homogénéité de la troupe, à apporter une conclusion élégante
et vive à la soirée.
En conclusion le si brillant Voluntaries
emporte tous les suffrages de cette soirée, mais ne fera pas oublier
l'intelligence de la construction de ce triptyque, et surtout le niveau
atteint par les danseurs de la compagnie, élément indispensable pour
magnifier une telle oeuvre. Avec un directeur qui agit comme un patient
architecte tant dans la composition de sa troupe que de ses programmes,
le Ballet Nice Méditerranée confirme effectivement qu'il a toute
capacité à s'inscrire durablement dans le paysage des compagnies
françaises de premier plan.
Xavier Troisille © 2016, Dansomanie
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Oktett (chor. Uwe Scholz)
Oceana
Musique : Osvaldo Golijov
Chorégraphie : Lucinda Childs
Scénographie et lumières : Dominique Drillot
Premier Pas de deux – Céline Marcinno, Zhani Lucaj
Deuxième Pas de deux – Veronica Colombo, Alessio Passaquindici
Quatre couples – Maëva Cotton / Andres Herras Fruttos, Alba Cazorla Luengo / Victor Escoffier
Daniela Mestanza / Chandra Costa, Marini Vianna / Giacomo Auletta
Pas de sept – Céline Marcinno, Marie-Astrid Casinelli, Yui Uwaha
Cesar Rubio Sancho, Guillaume Ferran, Baptiste Claudon, Zhani Lucaj
Six couples – Veronica Colombo / Cesar Rubio Sancho, Maëva Cotton / Victor Escoffier
Yui Uwaha / Alessio Passaquindici, Marini Vianna / Giacomo Auletta
Céline Marcinno / Andres Heras Frutos, Alba Cazorla Luengo / Baptiste Claudon
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Voluntaries
Musique : Francis Poulenc
Chorégraphie : Glen Tetley
Décors et costumes : Rouben Ter-Arutunian
Lumières : John B. Read
Pas de deux – Zaola Fabrini, Claude Gamba
Pas de trois – Gaëla Pujol, Zhani Lucaj, Cesar Rubio Sancho
Avec : Alba Cazorla Luengo, Maëva Cotton, Marini Vianna, Veronica Colombo
Daniela Mestanza, Melissa Mastroianni, Victor Escoffier, Alessio Passaquindici
Mikhaïl Soloviev, Baptiste Claudon, Théodore Nelson, Guillaume Ferran, Chandra Costa
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Oktett
Musique : Felix Mendelssohn-Bartholdi
Chorégraphie : Uwe Scholz
Permier mouvement – Gaëla Pujol / Claude Gamba
Daniela Mestanza / Alba Cazorla Luengo
Maëva Cotton / Marini Vianna / Yui Uwaha
Medhi Angot / Guillaume Ferran / Victor Escoffier
Cesar Rubio Sancho / Alessio Passaquindici
Deuxième mouvement – Veronica Colombo / Zhani Lucaj
Troisième mouvement – Alessio Passaquindici / Medhi Angot / Victor Escoffier
Quatrième mouvement – Gaëla Pujol / Claude Gamba
Daniela Mestanza / Alba Cazorla Luengo / Maëva Cotton
Marini Vianna / Yui Uwaha / Melissa Mastroianni
Medhi Angot / Victor Escoffier / Cesar Rubio Sancho
Alessio Passaquindici / Guillaume Ferran / Giacomo Auletta
Ballet de Nice Méditerranée
Musique enregistrée
Jeudi 14 avril 2016 , Opéra de Nice
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