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La São Paulo Companhia de Dança à la Maison de la Danse de Lyon
02 avril 2016 : Edouard Lock / Nacho Duato par la São Paulo Companhia de Dança
The Seasons (chor. Edouard Lock)
Etape à Lyon pour découvrir la São Paulo Compahnia de Dança,
à la Maison de la Danse, pour un programme mixte Edouard Lock / Nacho
Duato. Cette compagnie brésilienne créée en 2008 seulement se fait
rapidement une place dans le giron international sous la houlette de sa
directrice Inês Bogéa (ancienne danseuse de Grupo Corpo),
au travers d'un répertoire varié porté par des créations de
chorégraphes brésiliens et des reprises de standards de Kylián, Forsythe
ou Balanchine. Elle s'aventure aussi vers le pur académisme, même s'il
s'agit principalement de pas de deux, du fait de sa modeste taille
d'environ 25 danseurs, qui sont d'ailleurs quasi exclusivement
brésiliens.
Pour débuter la soirée, la compagnie présente une création propre de
2014, la dernière en date d'Edouard Lock (si l'on excepte ses parties du
Casse-Noisette de Tcherniakov de ce début d'année), intitulée The Seasons.
La composition musicale est signée Gavin Bryars, basée sur les Quatre saisons de Vivaldi, dont il emprunte 10 mouvements et auquel il ajoute
deux extraits du Concerto en sol, pour recréer une suite déstructurée
qui décline les 12 mois de l'année. Un quintette à cordes interprétait
cette partition lors de la création au Brésil à l'arrière scène. La
scénographie, justement, ne désorientera pas ceux qui ont vu AndréAuria :
même scène noire, mêmes ronds de lumières verticaux dans lesquels, ou
autour desquels, se meuvent les danseurs en habits noirs sur chemises
noires ou torses nu, et les danseuses en justaucorps joliment brodés et
bas noirs sur pointes blanches. L'ambiance générale reste assez sombre,
et les quelques traits de lumière plus intenses accentueront surtout les
ombres plus qu'ils n'éclaireront la gestuelle. Cette dernière emprunte
également à AndréAuria, et alterne entre vocabulaire académique et
mouvements contemporains. Pour la partie "classique" des hommes les
doubles tours en l'air sont ici principalement remplacés par deux autres
figures : les tours au sol (sur place ou en ligne droite) et les sauts
avec batterie d'entrechats. La virtuosité féminine se traduit, elle,
comme souvent chez Lock par des tours sur pointes extrêmement rapides,
encore une fois en ligne ou sur place, tenus (ou plutôt lancés) par leur
partenaire. A ce jeu-là les pirouettes des ballerines brésiliennes ne
partent pas toujours bien droit et ne finissent que rarement dans l'axe,
mais le plaisir de ces tourbillons est résolument communicatif.
Quelques positions et mouvements académiques agrémentent le tout, mais
tout cela ne constitue que la moitié de la proposition chorégraphique,
dont l'autre pan est porté par la gestuelle des bras désormais
caractéristique du chorégraphe, avec ses mouvements secs, nerveux,
incisifs et répétés, tant pour les hommes que pour les femmes. Sauf que
le rendu est ici bien différent du Casse-Noisette : d'une part la mise
en scène en clair-obscur modifie la perception de ce type de gestuelle,
et d'autre part, elle vient compléter les mouvements des jambes et les
déplacements des danseurs, et dépasse ainsi le caractère très statique,
robotique et parfois irritant qu'elle avait pu donner à Garnier.
D'autant plus qu'elle sert ici magnifiquement le propos : difficile de
ne pas percevoir l'animalité qui se déploie au fil de ces saisons, par
ces quelques mouvements de bras très félins ou ces petits sauts jambes
pliées sur pointes qui évoquent les bonds de l'oisillon sorti du nid. Et
plus encore, la richesse de cette gestuelle de bras et de mains, autant
que la coloration générale de la pièce, transforme les danseurs en
délicats insectes noirs qui se frottent les mandibules, fourmillent avec
leurs pattes ou agitent frénétiquement leurs ailes, au rythme de la vie
de la partition. Cette foison de mouvements, leurs enchaînements et
interactions, mettent également en exergue les relations sociales, pour
figurer les rencontres ou les fuites, les séductions ou les
affrontements. A ce jeu les femmes dominent assez nettement leurs débats
et imposent naturellement les images de mantes religieuses ou de reines
de l'essaim. La mélancolie de l'automne, le sommeil de l'hiver, le
salut du printemps ou l'embrasement de l'été, les sentiments majeurs se
succèdent. Mais on déplorera parfois quelques baisses de rythme dues à
des transitions un peu lentes, ou à quelques courses inutiles.
Si la vitesse générale d'exécution est remarquable, l'ensemble est d'une
surprenante musicalité et les danseurs de São Paulo s'expriment à
merveille dans la virtuosité et la précision de Lock, et cet alliage
entre haut niveau classique et dextérité contemporaine, mais ce qui ne
les empêche pas de mettre en valeur leur qualité d'interprétation avant
tout.
Pour l'anecdote Edouard Lock a travaillé dans les années 90 avec Frank
Zappa, virtuose de la guitare électrique, mais obligé de recruter plus
virtuose que lui pour jouer ce qu'il concevait comme partition. Le
parallèle est amusant avec ce chorégraphe qui impose à chaque fois une
nouvelle virtuosité à ses interprètes et sa propre vision des limites
physiques. Et avec une troupe qui relève si bien le défi et s'engage
avec une telle fougue au point de frôler en permanence la rupture, le
résultat est passionnant.
The Seasons (chor. Nacho Duato)
Après un copieux entracte (la gastronomie
lyonnaise s'invitant jusqu'au bar de la Maison de la Danse !), place à
la deuxième pièce de la soirée, qui navigue dans les eaux plus
habituelles du néo-classicisme, mais mâtiné ici de danse tribale.
Le ballet Gnawa de Nacho Duato a
été créé en 2005 pour la Hubbard Street Dance de Chicago et a été
transmis à la compagnie brésilienne par Hilde Koch et Tony Fabre, deux
assistants du chorégraphe espagnol, dès l'année 2009, ce qui en fait
l'une des premières pièces entrées à son répertoire. Le thème de ce
ballet est inspiré par la culture "gnaoua", associant culte animiste et
islam, et issue d'une communauté mêlant primo-habitants des oasis
sahéliens et descendants d'esclaves subsahariens déportés vers le
Maghreb et l'Espagne mauresque. La musique Gnaoui, principale
caractéristique de cette culture mystique est utilisée dans le premier
tiers du ballet avec Ma'bud Allah d'Hassan Hakmoun et Adam Rudolph. Mais pour multiplier encore plus les horizons, c'est Window
de "l'oudiste de jazz" libanais Rabih Abou-Khalil, composition
polyrythmique marquée par les percussions, qui porte le troisième tiers
du ballet. Quant au deuxième tiers il s'agit du morceau Carauari de l'espagnol Juan Alberto Arteche Guel, publié sur un album intitulé Finis Africae
contant un voyage d'Afrique en ...Amazonie, et Carauari n'étant ni plus
ni moins qu'une ville du Brésil! Ouf, la boucle est bouclée avec notre
compagnie, et le choix de cette pièce apparaît bien naturel.
Trois tiers donc pour cette aventure qui s'inspire des quatre éléments :
l'air et la terre (qui a ici le goût du sable), l'eau et enfin le feu.
Le premier tableau allie danseurs en pantalon beige et torse nu et
danseuses en robes noires très aériennes pour une chorégraphie mêlant
gestuelle ondoyante typique du néo-classicisme à la Kilián et mouvements
tribaux avec force contorsions des épaules. Les arabesques des bras
accentués jusqu'aux spasmes ne sont d'ailleurs pas sans poser les bases
de ce qu'en fait Lock aujourd'hui. Les sensations évoquées nous emmènent
en plein désert et le souffle du Harmattan se fait présent. La deuxième
acte dans un environnement bleuté évoquant le crépuscule ou la
traversée d'une mer ou d'un océan, se concentre sur un pas de deux entre
un danseur et une danseuse en combinaison intégrale couleur chair,
créature surprenante de prime abord, mais rapidement hypnotique. La
gestuelle traditionnelle est complétée par quelques postures innovantes
comme ces portés en position fœtale ou des déroulés acrobatiques de la
danseuse qui fait la roue autour de son partenaire. Enfin la dernière
partie du ballet voit la scène tout juste éclairée par douze flammes
posées dans des récipients à l'avant-scène et le retour des ensembles
pour des mouvements de plus en plus portés par la transe sur les rythme
complexes et trépidants évoqués.
L'intérêt majeur de la pièce, au-delà d'être un standard du style, par
sa structure, sa fluidité et son inventivité, réside dans
l'interprétation proposée par la compagnie brésilienne : aucune
accentuation d'un orientalisme lancinant mais au contraire une danse
très serrée "à l'européenne" qui tend vers des racines africaines
particulièrement justes. C'est envoûtant, même si un léger manque de
chaleur dans le final et un rendu un peu trop "propre" viennent
toutefois atténuer l'impression générale. Intuition confirmée par la
vision des extraits présents sur la toile sur la capacité manifestement
supérieure de la troupe, peut-être simplement un peu trop sollicitée
dans le Lock? Mais globalement c'est une nouvelle adéquation réussie
entre la chorégraphie et les danseurs pour ce creuset ô combien
multi-culturel.
Aucun bémol en revanche à l'acclamation du public de la Maison de la
Danse pour ce programme de la compagnie de São Paulo, qui nous régale
d'un bien joli syncrétisme de très diverses influences de la danse
actuelle.
Xavier Troisille © 2016, Dansomanie
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The Seasons (chor. Edouard Lock)
Gnawa
Musique : Hassan Hakmoun, Adam Rudolph, Juan Alberto Arteche
Javier Paxariño, Rabih Abou-Khalil, Velez, Kusur, Sarkissian
Chorégraphie : Nacho Duato
Costumes : Luis Devota, Modesto Lomba
Lumières : Nicolás Fischtel
Avec : Amanda Rosa, Ana Paula Camargo, André Grippi, Artemis Bastos, Beatriz Hack
Ana Roberta Teixeira, Bruno Veloso, Diego de Paula, Geivison Moreira, Joca Antunes
Morgana Cappellari, Nielson Souza, Roberta Bussoni, Letícia Martins, Thamiris Prata
Michelle Molina, Yoshi Suzuki
The Seasons
Musique : Gavin Bryars
Chorégraphie : Edouard Lock
Scénographie : Armand Vaillancourt
Costumes : Liz Vandal, Edouard Lock
Avec : Ana Paula Camargo, Ana Roberta Teixeira, Daniel Reca, Joca Antunes
Leony Boni, Lucas Axel, Lucas Valente, Morgana Cappellari, Pamela Valim
Renata Alencar, Vinícius Vieira, Yoshi Suzuki
São Paulo Companhia de Dança
Musique enregistrée
Samedi 2 avril 2016 , Maison de la Danse, Lyon
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