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critiques et comptes rendus
Bayerisches Staatsballett (Munich)

03 avril 2016 : Für die Kinder von gestern, heute und morgen (Pina Bausch)



Für die Kinder von gestern, heute und morgen
Nicholas Losada, Daria Sukhorukova, Séverine Ferrolier


Plusieurs dizaines de spectateurs avaient fui à l’entracte, désarçonnés par un art que le public munichois n’avait pas souvent rencontré ; mais à la fin du spectacle, c’est une ovation monstre qui accueille les quinze danseurs du Staatsballett, une de ces ovations presque animales comme seules quelques stars du chant en reçoivent à Munich. Que s’est-il passé, en cette soirée d’ouverture des Semaines du Ballet de Munich 2016, pour justifier ce triomphe qui n’avait rien à voir avec les rituels annuels du Théâtre de la Ville?
 

Für die Kinder von gestern, heute und morgen
Joana de Andrade

La comparaison de ce qu’a livré la troupe de Munich avec ce qu’on a pu voir année après année chez les danseurs de Wuppertal est nécessairement un peu cruelle, mais inévitable. Pas de Dominique Mercy, de Ruth Amarante, de Ditta Miranda Jasifi et alii ici, mais des danseurs pour beaucoup en début de carrière, qui n’ont pas encore la personnalité affirmée de leurs aînés. Pour ces danseurs pour la plupart très jeunes, et pour ce qui est la toute première transmission d’une pièce de la maturité de Pina Bausch à une troupe autre que le Tanztheater, c’est une pièce qui porte l’enfance dans son titre qui a été choisie, une pièce où le jeu est particulièrement présent, le jeu enfantin à la fois ludique et sérieux. Les danseurs de Munich ne sont pas ceux de Wuppertal, certes : mais d’où vient, alors, que l’émotion du spectateur ne cesse de croître tout au long de la soirée?

Für die Kinder von gestern, heute und morgen
Alexa Tuzil, Leonard Engel

Il ne faudrait d’abord pas les oublier trop vite, ces jeunes danseurs qui ont pour la plupart pu travailler avec les créateurs de leurs rôles : si le souvenir de l’ogresse Nazareth Panadero empêche Marta Navarrete Villalba de trouver sa place, d’autres danseurs développent déjà un profil beaucoup plus affirmé. La jeune danseuse américaine Alexa Tuzil impressionne par une présence à la fois puissante et fragile très éloignée des stéréotypes de la danseuse classique ; Joana de Andrade prend la suite de Ditta Miranda Jasifi avec un naturel confondant ; chez les danseurs plus confirmés de la troupe, c’est surtout Daria Sukhorukova, par son éducation un pur produit du Mariinsky, qui brille, dans quelques-uns des magnifiques costumes de Marion Cito (autre chose que les platitudes à la mode d’un Christian Lacroix !). Il est plus difficile de choisir quelques noms dans la partie masculine de la troupe, très homogène : Nicholas Losada ou Jonah Cook, peut-être, mais tous se lancent dans l’aventure à corps perdu ; que ce soit dans le défilé des solos ou dans le bouleversant finale, on sent chez eux – qui n’ont jamais travaillé directement avec Pina Bausch – à quel point la rencontre de cet art si éloigné de leur formation les a révélés à eux-mêmes.


Für die Kinder von gestern, heute und morgen
Für die Kinder von gestern, heute und morgen (ensemble)

Mais d’où vient, si la juvénile troupe de Munich n’a pas la fascination magnétique que seul le poids de l’expérience personnelle donnait aux danseurs de Pina Bausch, l’émotion si forte qui croît tout au long du spectacle? Peut-être, justement, de ce que ces jeunes danseurs nous forcent à revoir, au sens fort, à reconsidérer cet art d’un œil neuf, à nous défaire de cette familière empathie que la longue lignée des créations annuelles avait créée entre le public et l’art de Pina Bausch – on savait, en quelque sorte, ce qu’on venait voir, sans plus tellement savoir en quoi ce qu’on venait voir était essentiel. Il fallait ce changement de regard pour redécouvrir le monde de Pina Bausch dans sa nouveauté. Le comique n’est plus tout à fait le même, parce qu’on ne revient pas à son enfance de la même manière selon qu’on est un jeune danseur classique de vingt-cinq ans ou un artiste en pleine maturité et en dialogue constant avec la créatrice ; ce qui reste, c’est le monde de Pina Bausch, non pas statue écrasante de la sainte patronne de la danse contemporaine, mais créatrice malicieuse et aimante.

Für die Kinder von gestern, heute und morgen
Marta Navarrete Villalba

On aime aujourd’hui exalter le regard désillusionné, sans complaisance, des artistes à la mode sur le monde contemporain : sans doute y a-t-il chez Pina Bausch un peu de cette désillusion, un peu de distance, un peu d’ironie. Mais il y a aussi tellement de tendresse dans ce regard sur ceux qui parlent trop pour se donner une contenance, sur ceux qui se taisent, sur les infinies complexités des relations entre les sexes et entre les individus, sur le besoin de beauté qui les unit tous et qui nous unit à eux. Nous n’oublierons pas Lutz Förster ou Julie Anne Stanzak, et il faut continuer à aller les voir tant qu’ils seront sur scène, mais le Ballet de Bavière a ouvert une nouvelle voie indispensable, celle d’une transmission qui est aussi une redécouverte.



Dominique Adrian © 2016, Dansomanie

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Für die Kinder von gestern, heute und morgen
Für die Kinder von gestern, heute und morgen (ensemble)




Für die Kinder von gestern, heute und morgen
Musique : Félix Lajkó, Nana Vasconcelos, Caetano Veloso, Bugge Wesseltoft
Amon Tobin, Mari Boine, Shirley Horn, Nina Simone, Lisa Ekdahl, Gerry Mulligan
Uhuhboo Project (Corée), Cinematic Orchestra, Goldfrapp, Gotan Project, Guem
Hughscore, Koop, Labradford, T.O.M., Prince, Marc Ribot

Chorégraphie : Pina Bausch
Décors : Peter Pabst
Costumes : Marion Cito

Avec: Joana de Andrade, Jonah Cook, Matteo Dilaghi, Léonard Engel, Séverine Ferrolier
Nicholas Losada, Marta Navarrete Villalba, Gianmarco Romano, Nicola Strada, Robin Strona
 Daria Sukhorukova, Shawn Throop, Alexa Tuzil, Matej Urban, Zuzana Zahradniková


Bayerisches Staatsballett
Musique enregistrée


Dimanche 03 avril 2016,  National Theater, Munich


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