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critiques et comptes rendus
L'Etranger (Jean-Claude Gallotta d'après Camus) au Théâtre des Abbesses

23 février 2016 : L'Etranger, de Jean-Claude Gallotta, au Théâtre des Abbesses (Paris)


L'Etranger
L'Etranger (chor. Jean-Claude Gallotta)


En ce début d'année, Jean-Claude Gallotta emmène ses anciens danseurs du CCN Grenoble au Théâtre des Abbesses (scène partenaire du Théâtre de la Ville) sous le nom originel de Groupe Emile Dubois pour interpréter sa dernière création, L'Etranger, d'après le roman d'Albert Camus.

Les notes d'intention du chorégraphe annoncent clairement d'emblée qu'il s'agit d'une œuvre de circonstances, au pluriel, car il s'agit à la fois de créer une pièce pour les danseurs avec il partage un long compagnonnage, mais aussi d'une création inspirée par son histoire personnelle récente, au travers du décès de sa mère, qui entre en résonnance avec la première phrase du roman de Camus. C'est avec curiosité que l'on se rend dans le petit théâtre de Montmartre à la façade "néoclassique", car la proposition est alléchante, et les chorégraphies de Gallotta restant abstraites, on se demande comment il va transposer en scène la galerie de personnages de l'œuvre initiale.

L'Etranger
L'Etranger (chor. Jean-Claude Gallotta)

La première scène est une introduction au sujet, évocation du lien entre les souvenirs de Gallotta et le roman, avec projection de photos familiales de la mère disparue. Elle fait immédiatement place aux trois danseurs prenant possession de la scène nue, noire, à l'éclairage blafard, et commençant à danser avec un accent inattendu sur le travail des bras, longs et ondoyants, évoquant ainsi, sur une mélopée orientale, des oiseaux de mer ou du désert. Cette première danse réussit à nous transporter dans cette Algérie en sépia qu'évoquent les souvenirs du roman, y compris physiquement : on en entend les odeurs, on en sent les couleurs.

Les scènes suivantes seront une alternance de lectures en voix off de passages marquants du roman sur un fond d'images vidéos alliant images d'archives ou bouts de films, et courtes scènes de danse illustrant le passage narré, mis en musiques par un patchwork de thèmes sans lien évident entre eux. Le tout colle à la trame narrative du roman, mais en privilégiant l'évolution de l'action au détriment de la réflexion. Et cette relecture dansée cumule malheureusement les défauts. Le premier d'entre eux étant le choix de cette restitution : s'attaquer à un monument et commencer par en lire des passages avant de les montrer en danse relève d'un pari impossible. D'autant que la danse de Gallotta, toujours aussi minimaliste et abstraite, sans recours à de quelconques moyens matériels, peine à figurer le caractère grandiose de l'œuvre. Et en faisant le choix de l'illustration narrative, elle laisse de côté tout le pan philosophique du livre, la réflexion sur l'arbitraire ou le parcours vers la conscience. Au final ne subsiste que l'histoire, basée sur un fait divers d'une sordide banalité.

L'Etranger
L'Etranger (chor. Jean-Claude Gallotta)

Ecrasée par la force verbale du roman, les scènes de danse apparaissent tout au plus des saynètes illustratives, voire des intermèdes, car elles manquent trop de substance par rapport à la force des mots prononcés. Cette opposition entre écriture blanche de l'un et scénographie sombre de l'autre ne parvient pas à créer un contraste symbiotique, mais souligne simplement la puissance de la première. On se perd d'ailleurs vite sur l'intention du chorégraphe, de restituer l'œuvre en danse ou d'en donner sa propre lecture? A force d'alterner entre le texte brut, des images projetées empruntées à d'autre (de Fellini à Fernandel...), et une danse qui figure l'action mais sans la raconter, on se perd dans une lecture où l'on se demande si l'on est dans la tête de Meursault, dans celle de Gallotta ou dans celle de l'interprète... En atteste l'hyper-sexualisation de la proposition, tant au niveau fantasmé (Œdipe, femme-objet) que visuel, avec moult passages suggestifs, dont l'un avec des chiens en peluche, accessoires aussi incongrus que le couteau en plastique utilisé pour la scène de la mort. La mise en scène de la prostitution au travers d'un pas de deux très physique entre les interprètes féminines, en petites robes noires et bâillon blanc, sur un fond vociférant de métal gothique, a un impact certain, mais ne convainc pas dans un tel contexte.


L'Etranger
L'Etranger (chor. Jean-Claude Gallotta)

Outre la scène initiale, dont le sens s'appuie sur une matière autobiographique, et tout en étant hors contexte de l'œuvre, lui donne un prolongement en scène, seule l'avant-dernière scène, figurant un couple qui se frôle, avec à nouveau un important travail des bras du danseur, qui ne parvient jamais qu'à frôler sa partenaire évasive, crée une certaine atmosphère onirique. Evoquant l'esprit du narrateur qui vagabonde dans ses rêves de liberté et leur matérialité (étoffe épousant le corps de la femme, volute de la cigarette...), elle parvient enfin à tisser le lien entre la danse et le texte, et en se glissant dans ses silences, en projeter l'émotion. 

S'il faut saluer la fidélité du chorégraphe à ses danseurs, qui lui rendent bien par leur investissement, même si je les avais trouvés plus à l'aise en dandy et groupies rock dans My Rock, la précédente pièce de Gallotta, leur composition (deux femmes et un homme) ne paraît pas adaptée au parti-pris choisi et l'ensemble pâti également de cette inadéquation, sauf dans les quelques scènes qui tendent vers l'abstraction et non l'illustration, seuls passages consistants de la pièce. Ne trouvant que trop rarement la bonne distance entre narration fidèle et relecture personnelle, cette pièce ne parvient globalement pas à toucher l'intime du «passager de tramway» venu y assister.



Xavier Troisille © 2016, Dansomanie

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L'Etranger
L'Etranger (chor. Jean-Claude Gallotta)


L'Etranger
Musique : Strigall
Chorégraphie : Jean-Claude Gallotta
Costumes : Jacques Schiotto
Scénographie et images : Jeanne Dard
Lumières : Dominique Zape

Avec : Ximena Figueroa, Thierry Verger, Béatrice Warrand


Groupe Émile Dubois / Centre Chorégraphique National de Grenoble
Musique enregistrée

Mercredi 23 février 2016 , Théâtre des Abbesses, Paris


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