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critiques et comptes rendus
Ballet National de Bordeaux

22 et 26 décembre 2015 : La Belle au bois dormant au Grand Théâtre de Bordeaux


belle au bois dormant
Diane Le Floc'h (Aurore) et Neven Ritmanic (Désiré)



Représentation du 22 décembre 2015

Les lignes de Perceforest posent déjà au Moyen-Âge les bases d’un conte qui sera retravaillé successivement par Charles Perrault et les frères Grimm pour donner naissance à La Belle au bois dormant telle que nous la connaissons aujourd’hui. Eveillant l’imaginaire et laissant place aux interprétations les plus variées, la belle endormie inspirera les plus grands chorégraphes : d’abord solaire pour Marius Petitpa puis psychologique pour Jean-Christophe Maillot ou anxiogène pour Mats Ek. En 2000, Charles Jude reprend la trame des frères Grimm et s’inscrit dans la lignée directe de Petitpa en proposant au Ballet de l’Opéra National de Bordeaux un grand ballet symphonique. Bien connue du public bordelais, cette nouvelle reprise se doit d’innover après une récente programmation en décembre 2012.

Alors que Roman Mikhalev est associé à Sara Renda et Oleg Rogachev à deux étoiles invitées - Liudmila Konovalova (Staatsoper de Vienne) et Natalia de Froberville (Ballet de Perm) - ce renouveau passe par une distribution qui fait place à deux jeunes espoirs du ballet : Diane Le Floc’h, tout juste nommée soliste l’an dernier dans Casse-Noisette et Neven Ritmanic encore dans le corps de Ballet. Ce pari s’avère gagnant ; cette série a vu la promotion de Diane Le Floc’h et Oleg Rogachev au rang de premiers danseurs et la nomination de Sara Renda comme nouvelle Etoile bordelaise. Cette recrudescence de talents au sein de la compagnie interroge sur la nécessité de recourir à des artistes invités pour sept représentations sur les quatorze données…

belle au bois dormant

La Belle au bois dormant (chor. Charles Jude)

Monter un ballet de plus de deux heures où le faste du Grand Siècle est souvent source de longueurs et lourdeurs scéniques devient chaque année plus difficile. Les décors de Giulio Achilli et les costumes de Philippe Binot ont su éviter le surencombrement pompier en refusant perruques et tapisseries malgré quelques choix parfois douteux (une cour vêtue tout de rose et coiffée de tulle…). La Fée Lilas de Marie-Lys Navarro est une bonne illustration de cette épuration. Avec une danse tout en légèreté, elle a su exprimer avec justesse la bienveillance de son personnage, rendant ainsi un caractère très lisible à ce véritable fil conducteur de la narration. Elle tisse habilement le prologue avec un corps de ballet qui présente de très beaux ensembles, en particulier le corps de ballet masculin toujours très homogène. Seule l’intervention de la Fée Carabosse vient interrompre cette harmonie. L’interprétation de Stéphanie Roublot fait oublier la stature imposante que requiert ce rôle généralement travesti en envoûtant l’auditoire par des pas aussi assurés que dangereusement séducteurs, le magnifique costume de ce personnage aidant.

Les ensembles du premier acte sont plus aléatoires avec des valses pas toujours très bien réglées. C’est assurément Diane Le Floc’h qui domine cet acte au travers d’une Aurore des plus verveuse. Avec une amplitude de mouvement modérée mais juste, elle a montré une technique sûre dans un adage à la rose aux équilibres infaillibles (ostentation que pourraient presque reprocher certains). Cette aisance dans un adage aussi complexe justifie et confirme ce statut de soliste dans un rôle noble qui ne lui était pas forcement dévolu. Bravo!

belle au bois dormant

Stéphanie Roublot (Carabosse)

La scène des chasseurs permet au corps de ballet d’occuper pleinement la scène et introduit de manière dynamique l’entrée du Prince Désiré. Ce dernier est campé par Neven Ritmanic, remarqué par la fougue de son Oiseau Bleu lors de la dernière série. Bien qu’il présente une variation d’entrée réussie, le manque de précision dénote une technique non aboutie pour ce rôle exigeant. L’envie de ce danseur, sa prestance baroque et l’efficacité dans ses portés permettent au couple de fonctionner et laissent présager une belle évolution pour ce jeune danseur. Aurore reste toujours aussi convaincante dans l’adage de la vision en présentant de belles attitudes et une descente de pointes tout en finesse.

L’ouverture de l’acte III sous le rythme d’un bâton de direction donne immédiatement la majesté de l’ancien régime à ce mariage royal. Les divertissements de cet acte sont toujours un régal en permettant la mise en avant de nombreux rôles secondaires. Les pierres précieuses donnent la note avec un ensemble léger et homogène bien que le rubis de Mika Yoneyama se distingue quelque peu avec des extensions plus abouties. Le Diamant de Take Okuda est bien facetté mais manque tant soit peu d’éclat en restant trop timide dans la prise de risque. Vient ensuite la Chatte Blanche avec un costume et une chorégraphie qui fonctionnent toujours. Cependant, qu’en est-il de la félinité gershwinienne tant attendue ? Malheureusement l’alchimie n’aura pas fonctionné ce soir-là avec une Alice Leloup trop en retenue. Parmi toutes ces variations, s’il y en a une qui attise l’impatience d’un public averti, c’est bien celle de l’Oiseau bleu. Celle-ci tend à éclipser le reste du pas de deux malgré une Princesse Florine (Marina Kudryashova) convaincante. Cette variation, particulièrement ardue, fut confiée à Austin Lui qui a eu du mal à relever le défi technique de l’oiseau bondissant et aérien en achevant difficilement ses batteries. Le Grand méchant loup tout droit venu de la MGM fait rapidement passer le public à une traque cartoonesque en poursuivant un Chaperon Rouge incarné par une Marina Guizien pétillante.

belle au bois dormant

Marie-Lys Navarro (La Fée des lilas)

Les interprétations d’Aurore et de son prince dans le pas de deux final restent dans la continuité du deuxième acte bien que la fatigue semble quelque peu laisser ses marques. L’apothéose voit le couple royal s’élever sur un piédestal (qui remplace avantageusement le nuage utilisé dans les précédentes séries) pendant que résonne un Vive le Roi magnifiant ce tableau final sous la baguette de Nathan Fifield.

Les saluts sont couverts par l’acclamation d’un public conquis par une féérie toujours bienvenue en cette fin d’année. En coulisse, la promotion de Diane Le Floc’h au rang de première danseuse fait écho à la volonté de la direction de faire émerger une nouvelle génération de danseurs à laquelle on a permis de s’exprimer au travers de prises de rôles majeures. Sa maturité technique a été démontrée lors de cette représentation. Il reste désormais à présenter un travail dramatique plus profond, ce que permet idéalement la programmation de Giselle en mai prochain




Fabien Soulié © 2016, Dansomanie

Représentation du 26 décembre 2015

L'écrin de l'Opéra national de Bordeaux, théâtre à l'italienne bleu et or de taille raisonnable, est particulièrement propice à une production comme celle de La Belle au bois dormant ; la proximité avec la scène vient rompre la distance que l'on peut ressentir envers un récit et des personnages trop connus, en inscrivant le spectateur, bien plus que sur la scène d'un Opéra Bastille démesuré, dans l'histoire. 

Si la difficile chorégraphie de Charles Jude, qui ne dévie que très peu de celle de Petipa (et Noureev), met bien en valeur les danseurs, les décors et costumes ne sont pas des plus réussis. Du rose un peu trop marqué sur les tutus, des décors un peu trop kitschs, comme ce nuage sur lequel prennent place le roi et la reine au 3e acte et qui s'élève vers les cintres, accrochent parfois trop le regard et font retomber le propos. Il faut dire que, dans le registre fastueux, la version de l'Opéra de Paris est d'une harmonie exemplaire. 


belle au bois dormantMarc-Emmanuel Zanoli (Carabosse)

Au prologue, les variations solo des fées sont supprimées à l'exception de celle de la fée Lilas, interprétée ce soir-là par Marie-Lys Navarro, à l'assurance douce et calme. Marc-Emmanuel Zanoli campe une Carabosse (sur pointes !) sournoise et dominatrice - une très belle performance d'acteur.

Princesse toujours radieuse et d'une grande fraîcheur, Diane Le Floc'h est aussi une redoutable technicienne ; elle "passe" aisément les trois pirouettes et possède une belle élévation dans les sauts. Elle gagnerait toutefois à faire évoluer davantage son personnage au fil des actes et à lui donner plus de nuances - Aurore reste quelque peu figée dans l'état de la jeune fille émerveillée.
Neven Ritmanic est à ses côtés un prince crédible, touchant, dont la jeunesse et la sincérité contrebalancent une danse très virile et énergique. Dès son entrée pendant la scène de la chasse, sa distance avec ses pairs est sensible, et prépare la scène de la vision qui suit. Sa longue et terrible variation lente du 2e acte n'est peut-être pas irréprochable, mais il y fait preuve de beaucoup de douceur et de mélancolie. Dans les pas de deux, son assurance est surprenante ; chose rare, on ne frémit pas un instant lors des portés-poisson et autres difficultés, et surtout l'on ressent avec lui le plaisir de danser à deux.

belle au bois dormant

Diane Le Floc'h (Aurore) et Neven Ritmanic (Désiré)

L'aplomb et la qualité de la danse des hommes de la compagnie en général laisse deviner le travail exemplaire que fournit Charles Jude en coulisses. Les ensembles féminins n'avaient - ce soir-là - pas le même éclat.

Au chapitre des jolies découvertes toutefois, citons d'abord Claire Teysseire qui, en fée comme en pierre précieuse au 3e acte, rayonne d'une aura toute particulière. Confondante de naturel, elle possède une danse ciselée et donne à ses immenses jambes une très belle amplitude. Alice Leloup est quant à elle un adorable et idéal Chaperon rouge, qui réussit à n'être ni niaise ni fade.

Ni trop, ni trop peu : c'est cette satisfaction qui domine à l'issue du spectacle, qui ne manque pas d'afficher avec éclat le grand professionnalisme, le sens du jeu et la richesse des personnalités de la troupe.





Gabrielle Tallon © 2016, Dansomanie

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La Belle au bois dormant
Musique : Piotr Illiytch Tchaïkovski
Chorégraphie : Charles Jude, d'après Marius Petipa
Décors : Giulio Achilli
Costumes : Philippe Binot
Lumières : François Saint-Cyr

Aurore –  Diane Le Floch
Désiré – Neven Ritmanic
Fée des Lilas – Marie-Lys Navarro
Fée Carabosse – Stéphanie Roublot (22/12) / Marc-Emmanuel Zanolli (26/12)
Fée Candide – Coralie Aulas (22/12) / Claire Teisseyre (26/12)
Fée Fleur de farine – Marina Kudryashova
Fée Miettes qui tombent – Alice Leloup (22/12) / Dara Tombroff (26/12)
Fée Canari – Marina Guizien
Fée Violente – Pascaline di Fazio (22/12) / Aline Bellardi (26/12)

L’Adage à la rose – Marc-Emmanuel Zanoli (22/12) / Alvaro Rodriguez Piñera (26/12) [Prince allemand]
Samuele Ninci [Prince italien]
Pierre Devaux (22/12) / Davit Gevorgyan (26/12) [Prince anglais
Take Okuda [Prince indien]
Les Pierres Précieuses – Take Okuda (22/12) / 
Marc-Emmanuel Zanoli (26/12) [Diamant]
Dara Tombroff [Emeraude], Claire Teisseyre [Saphir]
Mika Yoneyama (22/12) / Marina Kudryashova (26/12) [Rubis]
L’Oiseau bleu –  Marina Kudryashova, Austin Lui (22/12) / Marina Guizien, Ashley Whittle (26/12)
Le Chat botté –  Alice Leloup (22/12) / Natalia Butragueño (26/12) [La Chatte blanche]
Alexandre Gontcharouk (22/12) / Take Okuda (26/12) [Le Chat botté]
Ashley Whittle [Le Chat blanc]
Le Chaperon rouge – Marina Guizien, Guillaume Debut (22/12) / Alice Leloup, Léo Lecarpentier (26/12)

Ballet National de Bordeaux
Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine, dir.  Nathan Fifield

Mardi 22 et samedi 26 décembre 2015,  Grand Théâtre de Bordeaux


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