menu - sommaire



critiques et comptes rendus
Théâtre des Champs-Élysées (Paris)

06 novembre 2015 : Mirror and Music (S. Teshigawara) au Théâtre des Champs-Élysées


mirror and music
Mirror and Music (chor. Saburo Teshigawara)


Le Théâtre des Champs-Élysées accueille Saburo Teshigawara et sa compagnie Karas pour trois soirs, dans le cadre de la programmation Transcendanses, où il présente la pièce Mirror and Music, créée il y a six ans.

D'emblée, la scène initiale plante le décor : une lumière stroboscopique qui se déplace en rond ou en ligne donne l’illusion des fenêtres défilant d’un TGV passant à toute allure dans la nuit. L'éclairage devient alors difficile pour les yeux, tout comme la bande-son bruitiste qui n’épargnera pas toujours les oreilles des spectateurs. La pièce se construit sur une alternance de différents tableaux et d'images fortes, dans une continuité non narrative, marquée par des ruptures lumineuses et musicales abruptes qui surprennent le spectateur, quand elle ne le font pas sursauter. Les bruits rappellent la violence de la vie urbaine et d’un monde industriel où l’humanité semble malmenée. Ainsi, les tout premiers visages que l’on voit - deux personnes accroupies se tenant par les bras - arborent de grands sourires étranges, comme des clowns maléfiques.

mirror and music
Mirror and Music
(chor. Saburo Teshigawara)

Angoisse encore lorsqu'une fenêtre blanche, découpée dans l’espace par la lumière, présente des visages éclairés à contre-jour, à la manière d’un film d’horreur ou d’un mime d’épouvante, entre le butôh et l’expressionisme en noir et blanc. En ce mois de novembre, où Halloween n’est pas loin, plusieurs moments de surprise ou d’effroi viennent secouer le spectateur qui commençait à s’installer dans une atmosphère. Pas de pitié pour le confort!

Dans cette scénographie parfois futuriste, aux figures de vortex par exemple, la lumière est un personnage à part entière et structure la trame de la chorégraphie. A des mouvements désordonnés s’oppose la simplicité de certains solos, dont le premier dansé par Teshigawara lui même, simplement vêtu d’un pantalon et d’un tee-shirt noirs. Première fois que l’on voit la peau, rappel de l’incarnation humaine, par opposition aux évocations de mannequins en plastique. Ainsi, les danseurs, dans des vêtements de ville quotidiens, se retrouvent parfois derrière des masques blancs ou cachés sous des capuches - autant de façons d’illustrer l’impersonnel, la masse, ou le sort commun. On les retrouve d’ailleurs plus tard allongés sur des pans inclinés de bois, comme foudroyés au sol dans une immobilité d’apocalypse.

La danse elle-même est plutôt verticale, presque tout le temps en transformation. La fluidité continue évoque la manière dont un pinceau dessinerait dans l’espace des caractères de calligraphie. Une gestuelle très articulée joue à se désarticuler dans tous les sens, oscillant entre une esthétique qui se rapprocherait du smurf ou du boogaloo en hip-hop et un taï-chi accéléré. Certains jeux de jambes et combinaisons de pas rappellent les danses irlandaises, quand des passages plus ancrés dans le sol seraient une forme de Gaga asiatique. Le visage n’est presque pas affecté par la danse qui traverse le corps, ce qui donne l’impression d’un mouvement qui se produit malgré le danseur, simple vecteur d’une énergie qui passe. Cela crée autrement une forme de distance, comme si le mouvement avait été reproduit mille et une fois, et au fond se faisait automatique, indépendamment de la conscience du danseur à l’instant présent.

mirror and music
Mirror and Music (chor. Saburo Teshigawara)

Les courses virevoltantes dans l’espace sur de la musique baroque sont de grandes bouffées d’air frais. Les bottines de cuir glissent sur le sol et les imperméables flottent en l’air, parallèlement à de grands ports de bras dirigés vers le ciel, comme si une bourrasque de vent emportait le bras. Les parcours lyriques à petits pas très rapides effleurant le sol semblent y dessiner des motifs baroques, en écho à la musique qui défile et brode. Rapidement cependant, les danseurs s’agitent dans toutes les directions, et marquent la lutte et la débâcle comme pour échapper à une certaine souffrance.

La chorégraphie, qui fait se succéder solos, duos, trios et mouvements de groupe, est très prolixe et parfois s’exprime comme quelqu’un qui parle très vite, sans jamais s’arrêter, sans virgule ni point. Il est dommage que certaines répétitions ou certains tableaux soient un peu trop longs. Le moment devient un peu bavard, et l’esprit divague, là où la concision ferait sans doute mieux ressortir la poésie sous-jacente. Ce n’est pas le cas de l’avant-dernière scène, répétitive, où les danseurs sautillent d’un pied sur l’autre de manière hypnotique, et qui fonctionne vraiment bien au niveau de l’illusion visuelle. Changeant subrepticement de place, ils tombent et se relèvent, avant de disparaître les uns après les autres pour laisser place au dernier tableau, à la manière d’un portrait de famille. Sur la galerie des visages, un son monte de plus en plus haut, que, par jeu visuel, la main de Teshigawara attrape en l’air, achevant ainsi la pièce.

Proposant une vision abstraite et dichotomique du monde, il faut saluer le travail du chorégraphe, qui danse aussi dans sa pièce et en règle la scénographie, les lumières, les costumes et la musique.

.


Lilacem Strademes © 2015, Dansomanie



Le contenu des articles publiés sur www.dansomanie.net et www.forum-dansomanie.net est la propriété exclusive de Dansomanie et de ses rédacteurs respectifs.Toute reproduction intégrale ou partielle non autrorisée par Dansomanie ou ne relevant pas des exceptions prévues par la loi (droit de citation notamment dans le cadre de revues de presse, copie à usage privé), par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. 


mirror and music
Mirror and Music (chor. Saburo Teshigawara)



Mirror and Music
Sélection musicale : Saburo Teshigawara, Izumi Nakano (Dietrich Buxtehude,
Johann Adam Reincken)
Chorégraphie
: Saburo Teshigawara
Scénographie, lumières et costumes : 
Saburo Teshigawara
Son : Tim Wright

Avec : Saburo Teshigawara, Rihoko Sato, Eri Wanikawa, Rika Kato
Mie Kawamura, Yasuyuki Endo, Quentin Roger, Chinami Matsuda





Vendredi 6 novembre 2015, Théâtre des Champs-Élysées, Paris


http://www.forum-dansomanie.net
haut de page