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critiques et comptes rendus
Het Nationale Ballet (Amsterdam)

13 octobre 2015 : Giselle (Beaujean / Bustamente) au Het Nationale Ballet


Giselle
Sasha Mukhamedov (Myrtha)


Il est des années où l’on en vient à penser – par excès de productions sans âme - que Giselle est un ballet en un acte (mais quel acte!), dont les protagonistes les plus emblématiques sont Myrtha et Hilarion. La Giselle de Natalia Osipova et de Carlos Acosta, vue début 2014 au ROH, a pourtant prouvé le contraire. La production néerlandaise de Giselle, qui comporte des chorégraphies additionnelles de Rachel Beaujean et Ricardo Bustamante, s’inscrit elle aussi dans cette veine. Elle rappelle, par son coté cinématographique – accentué par une scène très large tout en « cinémascope » -, la Giselle de Sylvie Guillem présentée au Théâtre du Châtelet en 2001. Ce qui fait la force de la production du Het Nationale Ballet, qui date de 2009, c’est à la fois sa cohérence, l'envie de bien faire et le plaisir de raconter une histoire de vie, de mort et de rédemption qu'elle traduit, et surtout l’engagement de tout un corps de ballet dans un message fort. Même si Amsterdam n’est pas un temple historique de la danse au même titre que d’autres villes européennes, la capitale néerlandaise a su se faire une place au fil des années dans des registres allant du classique au contemporain.

 

Giselle
Josef Varga (Albrecht) et Anna Tsygankova (Giselle)


La version Beaujean-Bustamante de Giselle fait la part belle à une pantomime élégante qui s’inscrit parfaitement dans la chorégraphie du premier acte. Ces récitatifs, compréhensibles même par les spectateurs les plus néophytes, permettent de replacer l’histoire dans son contexte. Ils trouvent leur place naturellement dans la narration. Si Giselle et sa mère instaurent un dialogue gestuel extrêmement intelligible, le comte Albrecht (Graaf Albrecht dans la version néerlandaise) et son ami Wilfried ont plus de mal à faire vivre ce langage. Sont-ils de trop noble extraction pour communiquer par gestes? Le travail de production et de chorégraphie est principalement centré sur le premier acte au cours duquel Giselle apparaît comme une jeune fille comme les autres. Tout ce qui rappelle sa fragilité est traité sans insistance. Même la scène de la folie est loin d’être abordée sur un mode hystérique : Giselle est abattue, sans voix, sans geste, n’arrivant même plus à effeuiller la marguerite. Elle ne court pas de l’un à l’autre, elle est seule, préfigurant la Giselle du deuxième acte qu’Albrecht n’arrive pas à saisir. A ce moment là, Giselle n’est plus une jeune fille parmi les autres, elle est déjà une Wili.


Giselle
Anna Tsygankova (Giselle) et Josef Varga (Albrecht)

Le Dutch National Ballet a fait appel pour cette production à un unique concepteur des costumes et des décors : Toer van Schayk, ancien danseur et chorégraphe, qui travaille comme scénographe depuis la fin des années 90. Le contraste entre les décors, champêtres, fouillés, minutieux, hors du temps, du premier acte et ceux, résolument modernes et épurés, du deuxième acte est calqué sur le décalage chorégraphique entre ces deux « ballets » : l’un donnant l’occasion à chaque soliste d’être mis en lumière, l’autre privilégiant les ensembles. Les costumes sont tout en détails, comme on peut le voir dans le foyer où l’une des robes des paysannes est exposée. Le contraste entre les habits des paysans et ceux des nobles n’est pas si marqué, mais il évite le recours - un peu trop systématique – à des tissus trop brillants à défaut d’être luxueux. Le Pas de quatre des Vendangeurs en lederhose laissant apparaître leurs jambes nues est un moment inattendu. L’éclairage conçu par James F. Ingalls rappelle le travail photographique de William Egglestone, adepte des lumières crépusculaires qui subliment les couleurs.


Giselle
Deux Wilis dans Giselle

L’entrée en scène d’Anna Tsygankova renvoie à une question récurrente : le rôle de Giselle exige-t-il une maturité des danseuses ? Et si c’est le cas, cette maturité – peut-être nécessaire pour la scène de la folie ou pour le deuxième acte – ne fait-elle pas perdre une certaine spontanéité à Giselle la jeune paysanne? Si Natalia Ossipova a su incarner avec autant de naturel des deux facettes de Giselle, est-ce parce qu’elle a pu s’approprier le rôle très vite dans sa carrière? Anna Tsygankova, comme Svetlana Zakharova, est plus une princesse qu’une paysanne. Il lui manque cette espièglerie, cette malice. Mais la légèreté de sa danse et son engagement font oublier ce défaut. Elle danse de façon très précise avec un beau travail de pieds. Son manège de piqués est réalisé avec une vitesse de rotation remarquable. Son sens dramatique est évident, même si elle sait rester dans le retenue. Jozef Varga est un prince et reste un prince. Jamais on ne voit en lui le paysan qu’il prétend être. Sa pantomime n’est pas aboutie et son jeu scénique est un peu limité même si les expressions qu’il offre sont intenses. Il fait preuve d’un beau ballon et a d’indéniables qualités de partenaire, mais on sent qu’il ne se donne pas entièrement dans ce premier acte. James Stout est un acteur autant qu’un danseur. Il donne à Hilarion une personnalité très attachante, mais peut-être est-ce un contre-sens? Avec cette approche du rôle, il nous offre un jeu de scène intense, qui apporte au récit une richesse de narration très moderne. Tout en élévation et en petite batterie, il instaure une complicité avec la salle, prenant les spectateurs à témoin de l’avancée de ses recherches sur la véritable identité d’Albrecht. Du Pas de quatre des Paysans, on retient avant tout Young Gyu Choi, soliste en devenir, qui se distingue par sa puissance et sa justesse.



Giselle
Josef Varga (Albrecht) et Anna Tsygankova (Giselle)

Le corps de ballet est tout à son avantage dans le deuxième acte. Les lignes sont tenues, les ensembles sont nets, les arabesques sont sûres, même pendant les croisements de lignes (qui ne sont pas applaudis à Amsterdam), et ce, dès le soir de la première, preuve que les maîtres de ballet – dont l’étoile néerlandaise Igone de Jongh – ont su insuffler un sentiment d’appartenance à la compagnie, essentiel aux danseuses de toutes origines qui forment le corps de ballet du Het Nationale Ballet. Sasha Mukhamedov est une Myrtha autoritaire qui sait se faire respecter de ses Willis. Ses grands jetés sont très puissants et ses petits pas stroboscopiques. Giselle apparaît dans cet acte comme une dame blanche irréelle et très légère. Son opposition à Myrtha n’est jamais frontale. Les entrechats six d’Albrecht étaient attendus après ceux que Serguei Polounine avait réalisés quatre jours avant, à l’occasion de la retransmission du Bolchoï. Il faut bien reconnaître que les seize entrechats de Jozef Varga sont un peu frustrants, même s’ils sont parfaitement réalisés. La mort d’Hilarion met mal à l’aise le public qui avait pris fait et cause pour lui. Albrecht, lui, semble avoir été sauvé plus par la fin de nuit que par ses efforts de rédemption.

Cette belle production s’achève par une standing ovation et une distribution de lys blancs au couple vedette de la soirée, les mêmes que ceux qu’Albrecht avait déposés sur la tombe de sa bien aimée.




Patrice Villalobos © 2015, Dansomanie

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Giselle
Josef Varga (Albrecht) et Anna Tsygankova (Giselle)




Giselle
Musique : Adolphe Adam
Chorégraphie : Rachel Beaujean et Ricardo Bustamente d'après Marius Petipa
Décors et costumes : Toer  van Schayk
Lumières : James F. Ingalls


Giselle Anna Tsygankova
Myrtha Sasha Mukhamedov
Moyna Suzanna Kaic
Zulmé Quian Liu
Berthe Aina Bilkins
Bathilde Pascalle Paerel
Albrecht Jozef Varga
Hilarion James Stout
Wifried
Dario Mealli
Le Duc de Courlande Francis Sinceretti

Pas de quatre (paysans)
Suzanna Kaic, Edo Wijnen, Jessica Xuan, Young Gyu Choi


Het Nationale Ballet
Het Balletorkest, dir.  Ermanno Florio

Mardi 13 octobre  2015,  Het Muziektheater Amsterdam


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