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critiques et comptes rendus
Sylvie Guillem, tournée d'adieux

17 septembre 2015 : Life in progress au Théâtre des Champs-Élysées (Paris)


life in progress
Sylvie Guillem et Emanuela Montanari dans Here & After (chor. Russel Maliphant)


Pour sa dernière – ou présumée dernière, tant on peine à croire que la date fatidique est réellement arrivée – apparition parisienne, Sylvie Guillem a présenté au Théâtre des Champs-Élysées un programme déjà rôdé, et en fait très éloigné du genre de grand-messe qu'on attendrait en pareille circonstance. Aucun pas de deux classique, aucun solo véritablement flamboyant, non, une affiche presque banale, routinière, qui aurait pu s'intégrer dans n'importe quelle saison du Sadler's Wells Theatre, où le spectacle a été précédemment présenté.

Le titre de la production – Life in progress -, que l'on pourrait traduire par « Et la vie continue », est légèrement désabusé, et n'évoque pas non plus une sortie de scène grandiose. Rien en tout cas qui mette en exergue ce fameux cou-de-pied, qui a fait saliver d'envie des générations de ballerines de par le monde ou qui pétrisse ce corps à l'extrême malléabilité, autant admiré que décrié : Guillem ne laissait personne indifférent, zélateurs ou contempteurs.

L’entrée en matière se fait dans la pénombre, avec Technê, d’Akram Khan, devenu, aux côtés de Russell Maliphant, l’un des créateurs fétiches de Sylvie Guillem ces dernières années. Le titre de la pièce est emprunté au grec et souligne le caractère « artisanal », le savoir-faire très « terre-à-terre » acquis au fil du temps par le chorégraphe et la danseuse. On ne peut manquer de tracer un parallèle avec Maurice Béjart, qui, dans une interview accordée au quotidien Libération peu avant sa mort, déclarait :

« Même si mon père ­ le philosophe Gaston Berger ­ a inventé la prospective, je suis un artisan du jour le jour. René Char, que j’aimais beaucoup, a employé l’expression d’«artisanat furieux», cela me convient. »

La référence au Marteau sans maître est évidemment aussi un clin d’œil à Pierre Boulez et au ballet que Béjart en a tiré, mais elle s’applique parfaitement à la rage, à l'instinct qui a toujours guidé Sylvie Guillem, en l'absence d'une logique carriériste et d'une planification savante de son parcours artistique.

life in progress
Sylvie Guillem dans Technê (chor. Akram Khan)


Une direction, c'est un peu ce qui manque à Technê, justement. La pièce commence par intriguer, Sylvie Guillem joue les papillons de nuit autour d'un étrange arbre en treillis métallique, mais très vite, on se demande où elle et Akram Khan veulent nous mener. Et vingt minutes plus tard, le spectateur en est toujours à chercher sa route. Paradoxalement, c'est la musique, interprétée sur scène par trois instrumentistes, qui contribue malgré tout à capter l'attention, à rythmer les pas de la danseuse et à organiser un tant soit peu une chorégraphie savante, mais décousue. La partition signée de la violoniste Alies Sluiter anticipe d'ailleurs un peu sur la fin de soirée, en nous plongeant dans un univers sonore que n'aurait sans doute pas dédaigné un Mats Ek.

Duo 2015, un pas de deux masculin dû à Willam Forsythe, faisait suite à Technê. La musique, fournie par son éternel complice Thom Willems, est plutôt atypique et s'écarte quelque peu de la rythmique brutale caractéristique du compositeur américain. Si Duo 2015 ne figure pas au nombre des plus grands chefs-d’œuvre de Forsythe – ce n'était sans doute pas non plus l'ambition de son auteur, compte-tenu de ses dimensions et de ses prétentions modestes - mais elle était bien servie par deux danseurs venus de la propre compagnie du chorégraphe américain, Brijel Gojka et Riley Watts, justes sur le plan du style et efficacement coordonnés.

Histoire de brouiller un peu les pistes, Here & After, le pas de deux – féminin celui là – qui concluait la première partie d'une soirée étonnamment brève pour des adieux de star, faisait appel à une bande-son réalisée par Andy Cowton, et dont la pulsation nerveuse semblait, elle, une réminiscence des choix esthétiques habituels du couple Forsythe / Willems. La chorégraphie de Russell Maliphant met aux prises Sylvie Guillem et Emanuela Montanari – venue du ballet de la Scala de Milan – dans une sorte de « dialogue de l'ombre double », pour reprendre nos références béjartiennes et bouléziennes du début. Emanuela Montanari avait la lourde tache d'affronter la « prima ballerina assoluta » pour laquelle seule le public s'était déplacé, en un duel quasiment perdu d'avance. La rousse transalpine, même si elle ne possède pas la présence scénique de LA Guillem, s'est pourtant vaillamment battue, et l'extravagant « jodel » au fumet helvétique qui fait irruption à la fin de la pièce aura tout de même donné lieu à quelques passes d'anthologie.

Life in progress
Sylvie Guillem dans Bye (chor. Mats Ek)

La seconde partie de la représentation était entièrement dévolue à Bye, solo de Mats Ek au titre prémonitoire, écrit en 2012 pour Sylvie Guillem et déjà présenté au Théâtre des Champs-Élysées cette même année. Le choix de Bye se justifie naturellement par les circonstances – la tournée d'adieux de la danseuse – mais on peut aussi le comprendre comme l'annonce – avant l'heure - de la retraite professionnelle du grand chorégraphe suédois, nouvelle confirmée par l'artiste il y a quelques mois.

Après les trois pièces précédentes, relativement mineures il faut bien l'avouer, Bye faisait figure de « Wunderwerk ». Mats Ek utilise avec habileté la poésie toute schubertienne qui se dégage de l'Arietta de la Sonate pour piano Opus 111 de... Beethoven. Par goût du contre-pied sans doute, Ek aura préféré cette trente-deuxième et ultime sonate du Maître de Bonn, à l'attendu Opus 81, passé à la postérité sous le nom des Adieux.

Bye, entièrement construite autour de et pour Sylvie Guillem, séduit aussi par une installation vidéo spectaculaire et sophistiquée, qui a dû nécessiter un effarant travail de coordination entre le réalisateur, Elias Benxon, le chorégraphe et la danseuse. Le plus infime décalage aurait pu ruiner entièrement l'effet escompté. Faut-il y voir un clin d’œil à sa Suède natale, Mats Ek fait évoluer la danseuse – devenue rousse - dans une tenue décalée (haut vert, jupe jaune, chaussette mauves et souliers plats) qui évoque irrésistiblement Pippi Långstrump, la petite peste scandinave née de l'imagination d'Astrid Lindgren et connue des jeunes (et moins jeunes) français sous le nom de Fifi Brindacier.

La gamine boudeuse, bravache, incontrôlable mais foncièrement sympathique, reflète finalement assez bien le caractère de la danseuse dont on célébrait le départ. Célébration modeste, qui s'est achevée, à la demande de Mademoiselle Guillem, sans un bouquet de fleurs.


Romain Feist © 2015, Dansomanie



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la fontaine de bakhchisaraï
Sylvie Guillem



Technê
Musique : Alies Sluiter
Chorégraphie
: Akram Khan
Lumières : Lucy Carter
Costumes :  Kimie Nakano

Avec : Sylvie Guillem (danse), Prathap Ramachandra, Grace Savage, Emma Smith (musiciens)

Duo 2015
Musique : Thom Willems
Chorégraphie
: William Forsythe
Lumières : Tanja Rühl

Avec : Brigel Gjoka, Riley Watts (The Forsythe Company)

Here & After
Musique : Andy Cowton
Chorégraphie
: Russell Maliphant
Lumières : Michael Hulls
Costumes :  Stevie Stewart

Avec : Sylvie Guillem, Emanuela Montanari (Balletto Teatro alla Scala)

Bye
Musique : Ludwig van Beethoven
Chorégraphie
: Mats Ek
Lumières : Erik Berglund
Décors et costumes :  Katrin Brännström
Vidéo : Elias Benxon


Jeudi 17 septembre 2015, Théâtre des Champs-Élysées, Paris


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