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Stuttgarter Ballett
18 et 20 juin 2015 : Alles Cranko! Quatre ballets de John Cranko à l'Opéra de Stuttgart
Le Ballet de Stuttgart dans Konzert für Flöte und Harfe
Dans le monde entier, les ballets de John Cranko
continuent à être dansés – ou plutôt non : ses grands ballets narratifs
sont restés au répertoire des grandes compagnies, les pièces plus
courtes et plus abstraites, elles, ne sont guère visibles en dehors de
Stuttgart. La manière dont Cranko parvient à utiliser les portés les
plus acrobatiques au service de la narration et de l’expressivité paraît
tellement liée à son style qu’on peut s’interroger sur l’intérêt que
peuvent conserver aujourd’hui ses pièces abstraites.
A voir la première pièce de la soirée, à vrai dire, on peut douter de la
pertinence de cette fidélité. Le choix d’une œuvre qui ne compte pas
vraiment parmi les meilleures de Mozart se traduit sur scène par une
sorte de volonté de classicisme marqué par des costumes blancs qui font
irrésistiblement penser à Balanchine, et pas forcément au meilleur
Balanchine. L’originalité de la pièce est que les deux couples sont
entourés par un corps de ballet – dix danseurs – entièrement masculin :
c’est que ces dames, quand Cranko a créé la pièce, étaient occupées avec
Peter Wright pour le second acte de Giselle. Une autre caractéristique
importante de la pièce et du style de Cranko est qu’il ne se résigne pas
aux claires hiérarchies que Balanchine avait hérité du ballet impérial :
il ne semble pas très soucieux de mettre en avant les deux couples, en
multipliant les interactions entre les deux solistes femmes et les
membres du corps de ballet, et l’entrée de ces dames n’a rien de
l’apparition d’une reine. Le ballet tire sa force des exigences
héroïques de virtuosité qu’il pose à chacun des 14 danseurs ; mais
l’absence d’une ligne directrice forte, qui limite la chorégraphie à une
illustration fidèle de la musique, n’en fait pas le plus actuel des
ballets de Cranko.
Anna Osadcenko et Daniel Camargo dans Konzert für Flöte und Harfe
La deuxième partie du programme est consacrée à
deux pièces d’une dizaine de minutes chacune, presque la durée idéale
pour des pièces de gala. Le duo créé par Cranko sur la musique de Grieg
en est une, et de celles qu’on aimerait voir plus souvent dans les galas
: aucune démonstration de virtuosité, mais une infinie légèreté qui
masque toute trace d’effort, malgré les portés ébouriffants qui sont la
marque de ces années soixante où les chorégraphes du monde entier
tentaient de réinventer une danse classique au goût du jour. Alicia
Amatriain et David Moore ne laissent jamais transparaître l’effort et
donne à cette petite pièce pétillante tout le brio qu’on en attend ; le
ballet de Stuttgart a bien raison de ne pas laisser cette pièce de gala
aux galas!
C’est cependant la pièce suivante, sur la dramatique Passacaille de
Webern, qui constitue le chef-d’œuvre de la soirée. Ce n’est certes pas
une pièce de gala : non seulement Cranko recourt à un corps de ballet,
mais la tonalité de la pièce est beaucoup trop sombre pour ce genre de
divertissement. Deux solistes se partagent l’affiche, mais c’est le
destin du soliste masculin, en l’occurrence Alexander Jones, qui est
raconté là, d’une sorte de Genèse jusqu’à une fin déchirante – le
soliste est à nouveau en position fœtale, mais cette fois il est seul,
et conscient. La pièce a été créée le même soir que Le Chant de la terre
de Kenneth McMillan : la parenté est d’autant plus marquante que les
deux chorégraphes avaient choisi d’ignorer ce que faisait l’autre.
La dernière pièce est le clou attendu du spectacle, et la seule à
comporter décors et costumes, de délicates aquarelles abstraites de
Jürgen Rose : non seulement elle dure autant que les trois autres
réunies, mais elle constitue une célébration rayonnante du «miracle de
Stuttgart», dix-huit mois avant la mort de Cranko. Initialen R.B.M.E. : les
initiales du titre sont celles de Richard Cragun, Birgit Keil, Marcia
Haydée et Egon Madsen, les quatre danseurs emblématiques qui, autant que
l’œuvre de Cranko, ont marqué le public international des années
soixante, et Cranko a choisi pour cela le second concerto de Brahms,
dont il mettait en avant le sens chaleureux de l’amitié. Quatre
mouvements, un par soliste donc, et les danseurs d’aujourd’hui sont
naturellement soumis au poids écrasant que constitue la mémoire de leurs
aînés. Les solistes ne sont pas seuls sur scène : Elisa Badenes (B) est
entourée par un quintette de solistes entre lesquels elle se glisse,
clairement soliste mais jamais seule, Daniel Camargo (E) se détache d’un
quatuor lui-même par moments fondus dans un corps de ballet d’une bonne
dizaine de danseurs, Alexander Jones (R) est le vrai héros du long
premier mouvement, tandis que Myriam Simon (M) danse d’abord seule au
milieu du corps de ballet avant d’être rejointe dans un beau pas de deux
par Constantine Allen, qui reprend le rôle créé par Heinz Clauss,
recrue plus récente de la compagnie, que ses collègues ont pourtant
qualifié pour ce ballet de «cinquième initiale». Pour autant, les
cloisons entre mouvements ne sont pas étanches : chacun vient rendre
visite, à des moments choisis, au collègue qui est au centre de
l’attention.
Le Ballet de Stuttgart dans Initialen R.B.M.E.
On peut trouver que cette dernière pièce sur le
thème de l’amitié manque un peu de colonne vertébrale ; elle n’en est
pas moins un magnifique écrin pour les danseurs d’hier et d’aujourd’hui.
La puissance et la poésie vont ensemble chez Alexander Jones, et Daniel
Camargo impressionne toujours ; mais c’est Myriam Simon, dans le rôle
créé pour Marcia Haydée, qui laisse le souvenir le plus vif : la
danseuse canadienne, qui n’a pas été formée à Stuttgart, délivre
pourtant ici un leçon de style qui montre que l’esprit de Cranko reste
bien vivant à Stuttgart. Chez les solistes comme chez le moindre membre
du corps de ballet, la lassitude et l’indifférence qui gangrène d’autres
compagnies européennes ne sont pas de mise ; il serait dommage de s’en
priver, d’autant que la compagnie reste rétive à transmettre par la
vidéo les preuves de son talent.
Dominique Adrian © 2015, Dansomanie
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Alles Cranko! (Tout Cranko!)
Konzert für Flöte und Harfe (Concerto pour flûte et harpe)
Musique : Wolfgang Amadeus Mozart
Chorégraphie : John Cranko
Avec : Alicia Amatriain, Anna Osadcenko, Constantine Allen, Daniel Camargo
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Aus Holbergs Zeit (Du temps de Holberg)
Musique : Edvard Grieg
Chorégraphie : John Cranko
Avec : Alicia Amatriain, David Moore
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Opus 1
Musique : Anton Webern
Chorégraphie : John Cranko
Avec : Anna Osadcenko, Alexander Jones
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Initialen R. B. M. E. (Initiales R. B. M. E.)
Musique : Johannes Brahms
Chorégraphie : John Cranko
Décors et costumes : Jürgen Rose
R. – Roland Havlica
B. – David Moore
M. – Elizabeth Wisenberg
E. – Özkan Ayik
Stuttgarter Ballett
Staatsorchester Stuttgart, dir. Wolfgang Heinz
Jeudi 18 et samedi 20 juin 2015, Opernhaus Stuttgart
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