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Compagnie 3e Etage - Samuel Murez
14 juin 2015 : Tchaïkovski (J. Hoffalt) au Théâtre André Malraux de Rueil-Malmaison
François Alu (Rothbart)
Josua Hoffalt réalise, avec Tchaïkovski : Récits
du Royaume des Songes, son premier spectacle d’envergure, visiblement
longuement pensé. Un spectacle généreux, vivant et drôle, qui tire son
originalité d’une théâtralité débordante et juste à la fois.
Un programme sobre et élégant - gratuit - expose l’intrigue de manière
très détaillée, et explique la naissance de la pièce. L’accent est mis
sur la volonté de Josua Hoffalt d’adapter les ballets classiques aux
qualités des danseurs eux-mêmes, et au public d’aujourd’hui. La
construction du ballet est pour le moins inattendue : deux actes, trois
tableaux (plus un prologue et un intermède) dans le premier, un seul
dans le second, et 53 scènes au total. L’ensemble n’est pourtant pas
bancal et les nombreuses entrées et sorties des personnages laissent le
spectateur en alerte. L’histoire est relativement compliquée, les
modifications de caractère des personnages ne facilitant pas la tâche.
Toutefois, comme dit dans l’entretien avec Samuel Murez et Josua
Hoffalt, la caractérisation des personnages est la composante la plus
captivante et l’emporte sur le déroulé précis des évènements. Les décors
sont relativement simples (des colonnes, un trône) mais très bien mis
en valeur par un superbe travail de lumières, assez sombre, ainsi que
l’utilisation de la fumée, qui donnent à tout le ballet un aspect de
conte de fées.
Sofia Rosolini (Le Cygne blanc)
L’histoire se déroule ainsi : à la cour de la
terrifiante et violente fée Carabosse (Muriel Zusperreguy), un monstre
Melchior (Simon Le Borgne), des Seigneurs des Ténèbres aux visages
cadavériques, un Bouffon plein d’entrain (Hugo Vigliotti) et le fils de
Carabosse, Rothbart (François Alu), meilleur ami du Bouffon, qui n’a
aucune envie de se marier ni de monter sur le trône. Chassés du royaume,
le Bouffon et Rothbart ne peuvent y revenir qu’avec une épouse pour ce
dernier, sans quoi le Bouffon sera décapité. Rothbart se lamente sur son
sort. Surgit alors l’Oiseau bleu, chassé par le Chat botté. Rothbart et
le Bouffon sauvent l’Oiseau bleu, qui, reconnaissant, les emmène au lac
des cygnes. Là, deux Cygnes jumelles, un "beau gosse" à mèche,
Siegfried, qu’Odette - Cygne blanc - ne supporte plus, mais qu’Odile -
Cygne noir - essaie sans relâche de séduire, en vain. Pour se
débarrasser d’elle, Siegfried propose à Rothbart le Cygne noir. Tous
arrivent au château de Carabosse. Rothbart en pince en fait pour le
Cygne blanc, tandis que le Cygne noir découvre le monstre Melchior qui,
comme elle, a besoin d’affection. Le chat botté Moustache, qui attaquait
tous les oiseaux, est assagi par la jolie Mistrigi. Rothbart et le
Cygne blanc dansent l’un pour l’autre, et le Cygne noir tente à nouveau
de séduire Siegfried, malgré les efforts du Bouffon pour remettre tout
dans l’ordre. Finalement, Carabosse perd ses pouvoirs magiques, Rothbart
prend le pouvoir et le confie au Bouffon ; il quitte le château avec le
Cygne blanc, le monstre Melchior devenu homme tombe amoureux du Cygne
noir et l’Oiseau bleu prend les Cygnes jumelles sous son aile, laissant
Siegfried seul.
Clémence Gross (Le Cygne noir)
Mistigri apparaît d’abord devant le rideau et
entre peu à peu dans l’intrigue jusqu’à devenir la compagne de
Moustache, faisant comme un lien entre le spectateur et la scène. Lydie
Vareilhes, qui a dû être chat dans une autre vie, rend à la perfection
les coups de patte et de langue distillés dans ses variations, avec une
grande vivacité et une mine étonnée-mais-pas-trop plus vraie que nature.
Takeru Coste est lui aussi très à son aise.
Le Siegfried de Yann Chailloux, outre le comique de la mèche de cheveux,
n’est pas inoubliable techniquement. En revanche, le jeune (et encore
inconnu) Paul Marque en Oiseau bleu m’a paru très solide techniquement
et doté d'une belle souplesse du haut du corps.
Les cygnes sont bien différents du Lac traditionnel. Ici, pas d’êtres
éthérés, fragiles ou désincarnés, mais des femmes plutôt séductrices :
pour preuve, la variation "du cygne noir" est dansée par le Cygne blanc.
Le Cygne noir est presque le plus fragile des quatre cygnes, toujours
rejeté par Siegfried, d’autant que son interprète, Clémence Gross, est
aussi la plus menue - Sofia Rossolini, interprète du Cygne blanc, est
une danseuse très grande. Si ces personnages nouveaux sont intéressants à
voir évoluer, les danseuses ne m’ont pas paru idéales. Il manque une
aura, une perfection du mouvement. La lassitude du Cygne blanc, par
exemple, se retrouvait un peu trop dans la danse elle-même, qui avait
une certaine lourdeur. Chez les femmes, Muriel Zusperreguy est
finalement la plus convaincante ; sa Carabosse est autoritaire, brusque
et tourmentée.
Hugo Vigliotti (Le Bouffon), François Alu (Rothbart)
Mais le tandem Alu-Vigliotti offre les moments
dansés les plus jubilatoires. On le sait, François Alu est un vrai
phénomène - il dévore la scène du Théâtre André-Malraux. Le rôle semble
chorégraphié exclusivement pour lui tant les enchaînements de sauts et
de pirouettes lui ressemblent. Il est de surcroît crédible en Rothbart
un peu blasé, fuyant les engagements. Pourtant sa virtuosité éclatante
se trouve poussée un peu trop loin à mon sens : au bout du cinquième,
sixième saut extraordinaire, on finit par s’attendre à la suite...
Certes, c'est impressionnant et plaisant, mais la chorégraphie aurait
gagné à ne pas multiplier autant les prouesses techniques, qui perdent
leur dimension superlative dès lors qu’elles sont trop répétées.
L’équilibre entre technique et théâtralité est parfaitement tenu chez le
Bouffon d’Hugo Vigliotti, en tous points excellent. Débordant d’énergie
et très drôle dans ses chaussons à gros pompons, il possède lui aussi
des sauts d’une magnifique élévation et réussit fort bien à "exister"
aux côtés de François Alu. Ses variations sont aussi moins convenues et
classiques que celles des autres personnages, et l’on se dit que Josua
Hoffalt aurait pu réduire encore plus les emprunts. Hugo Vigliotti
parvient aisément à transmettre au public une riche palette d'émotions
(inquiétude, joie, sollicitude, etc.) et, s'il en fait des tonnes, on ne
se dit jamais qu'il en fait trop. Cette originalité dans le jeu de
scène me semble être la grande réussite de ce spectacle fort bien
enlevé.
Gabrielle Tallon © 2015, Dansomanie
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Tchaïkovski
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski
Chorégraphie : Josua Hoffalt
Décors : Sophie Charpin, José Sciuto
Costumes : ateliers de l'Opéra National de Paris, Selma Delabrière, Mathilde Lebrun
Lumières : Eric Toxé, Eric Valentin, Samuel Murez
Rothbart – François Alu
Carabosse – Muriel Zusperreguy
Le Bouffon – Hugo Vigliotti
Le Cygne blanc – Sofia Rosolini
Le Cygne noir – Clémence Gross
Siegfried – Yann Chailloux
Moustache, le Chat botté – Takeru Coste
Mistigri, la Chatte blanche – Lydie Vareilhes
L'Oiseau bleu – Paul Marque
Ode et Oda, les Cygnes "jumelles" – Sophie Mayoux, Marion de Charnacé
Melchior le Monstrueux – Simon Le Borgne
Les Seigneurs des ténèbres (Acte I) – Marion de Charnacé, Takeru Coste, Clémence Gross
Alizée Sicre, Paul Marque, Sophie Mayoux, Sofia Rosolini
Les Seigneurs des ténèbres (Acte II) – Antonio Conforti, Antonin Monié
Alizée Sicre, Francesco Vantaggio
Les Gardes – Olivier Ducaillou, Michel Pasternak, Vincent Pineau, Davit Trapani
Compagnie 3e Etage (Samuel Murez / Opéra National de Paris)
Musique enregistrée
Dimanche 14 juin 2015, Théâtre André Malraux, Rueil-Malmaison
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