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critiques et comptes rendus
Russell Maliphant Company

19 mai 2015 : Still Current (Russell Maliphant) au Théâtre des Champs-Élysées


Still Current


Les saisons parisiennes sont désormais ainsi faites que les spectacles présentés, à tort ou à raison, par une communication triomphante, comme des événements-à-ne-manquer-sous-aucun-prétexte, semblent tous se concentrer sur les mêmes périodes de l'année. De cette concurrence bien factice, Russell Maliphant a, semble-t-il, dû faire quelque peu les frais en ce mois de mai. Si la salle est à peu près remplie dans les niveaux inférieurs, elle n'est pourtant pas pleine – ce spectacle en valait pourtant bien d'autres donnés en parallèle. Still Current a par ailleurs joué de malchance, puisque le chorégraphe - et néanmoins danseur - est blessé depuis plusieurs mois (depuis le spectacle de Nicolas Le Riche, qu'il devait accompagner, joué en ces mêmes lieux en début d'année), ce qui a entraîné quelques modifications du programme initial.

Still Current a tourné un peu partout en Europe et nous arrive finalement à Paris dans le cadre de l'excellente série « TranscenDanses », qui se clôt cette année avec lui. Il comprend cinq courtes pièces, solos ou duos, emblématiques du style de Maliphant. La chorégraphie ne vaut pas tant pour elle-même, elle est indissociable de sa mise en scène, ou, pour être juste, de sa mise en lumières, œuvre de Michael Hulls, d'une sophistication extrême, qui confine au maniérisme. Avec leurs titres aussi laconiques qu'énigmatiques, les pièces de Maliphant sont des fragments de poésie visuelle, dépouillés de tout message politique, social ou simplement narratif, des féeries contemporaines, hypnotiques et instantanées, aussi éblouissantes qu'éphémères.


Cary Staton


Still, l'une des nouveautés du programme, commence par un solo et finit en duo. La pièce a été créée pour Dickson Mbi, spécialiste du popping, une danse dont le principe de base, dixit Wikipédia, est la contraction et la décontraction des muscles en rythme – on en apprend tous les jours. La réussite de Still tient dans le crescendo fascinant qu'elle parvient à instaurer, au rythme d'une musique aux sonorités vaguement tribales. Le danseur, puissant, comme mu par la lumière et les percussions, semble progressivement se démultiplier – et l'espace avec lui. Carys Stanton, surgie plus tard du fond de la scène, devient alors comme son prolongement naturel – son miroir au féminin. Les deux protagonistes réalisent ce prodige de « se fondre » sans jamais se toucher. Still n'est finalement pas tant un duo qu'une extension magique du solo, qui, à ce titre, eût peut-être mieux trouvé sa place en conclusion du programme.

Faut-il encore présenter Afterlight, fabuleux solo, chorégraphié sur les Gnossiennes d'Erik Satie, créé en 2010 à l'occasion d'une soirée hommage à Diaghilev? Afterlight est une série de variations autour du cercle et de la spirale, inspirées de dessins et de photographies de Nijinsky, qui empruntent autant à La Mort du Cygne qu'aux derviches tourneurs et au hip-hop. Thomasin Gulgec n'a certes pas la légèreté elfique de Daniel Proietto, son créateur, pour autant, la magie de ce moment, littéralement échappé à la pesanteur du réel, est préservée. Entre bras ondulants et travail au sol, verticalité et horizontalité, ce solo incandescent semble abolir le temps – synthèse bouleversante entre le passé et le présent de la danse.


Still Current


Two est paradoxalement un solo, rendu célèbre par Sylvie Guillem, qui l'a souvent dansé par le passé. Il donne à voir une femme, en quelque sorte prisonnière d'une cage de lumière dont elle cherche à s'échapper. Sa danse devient un combat avec et contre la lumière, protagoniste à part entière – d'où le titre curieux de la pièce. Ses bras, puis ses jambes, se déploient avec force, sculptant des formes dans cet espace duel, dans une tension véritablement hypnotisante. Seul regret, Carys Stanton, pour valeureuse qu'elle soit, y manque un tantinet de puissance et de tranchant.

Après l'entracte, la deuxième partie met le duo – au sens strict, ou plus traditionnel, du terme – à l'honneur. Critical Mass est un court duo d'hommes, fluide et puissant, qui déroule une gestuelle inspirée tout à la fois des arts martiaux et de la danse contact. Still Current nous développe une partition à peu près semblable, en version longue, pour un homme et pour une femme. C'est toujours aussi beau à regarder, mais cela n'apporte rien d'inédit, et après l'intensité presque aveuglante de la première partie, c'en est presque de trop.



Bénédicte Jarrasse © 2015, Dansomanie


Still Current




Still Current (titre général)
Chorégraphie : Russell Maliphant
Lumières : Michael Hulls
 
Still
Musique : Armand Amar
Chorégraphie : Russell Maliphant
Lumières : Michael Hulls

Avec : Dickson Mbi, Carys Staton

Afterlight (Part One)
Musique : Erik Satie, Andy Cowton
Chorégraphie : Russell Maliphant
Lumières : Michael Hulls

Avec : Thomasin Gülgec

Two
Musique : Andy Cowton
Chorégraphie : Russell Maliphant
Lumières : Michael Hulls

Avec : Carys Staton

Critical Mass
Musique : Richard English
Chorégraphie : Russell Maliphant
Lumières : Michael Hulls

Avec : Thomasin Gülgec, Dickson Mbi

Still Current
Musique : Mukul
Chorégraphie : Russell Maliphant
Lumières : Michael Hulls

Avec : Carys Staton, Alexander Varona

Musique enregistrée

Mardi 19 mai 2015, 20h00,  Théâtre des Champs-Élysées, Paris


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