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critiques et comptes rendus
Ballet du Capitole de Toulouse

22 février 2015 : La Reine morte (Kader Berlarbi) au Théâtre du Capitole


La Reine morte
Valerio Mangianti (Le roi Ferrante)


Cette reprise du premier grand ballet narratif composé par Kader Belarbi pour le Ballet du Capitole était très attendue. Sa création en 2011 signait alors la nouvelle orientation prise par la troupe de danse toulousaine, une des rares en France à proposer dans sa programmation des grands ballets d’une soirée.

L’argument de ce ballet s’inspire bien sûr de la pièce de Montherlant, mais davantage encore d’autres sources littéraires, ainsi que de la véritable histoire d’Inès de Castro, cette reine du Portugal couronnée après sa mort au milieu du quatorzième siècle. Cette histoire d’amour tragique et cruelle au centre d’enjeux politiques conflictuels a donné lieu à de multiples légendes et est bien ancrée dans l’imaginaire collectif au Portugal, notamment à Coimbra, où fut assassinée l’héroïne. L’aspect macabre, inventé ou non, de la fin de cette histoire a frappé les esprits : devenu roi deux ans après la mort d’Inès, Pierre de Portugal déclara alors l’avoir épousée secrètement, fit déterrer son cadavre, et obligea les courtisans et les grands du royaume à la saluer sur un trône, par un baise-main dit-on. Il poursuivit aussi ses assassins pour s’en venger d’une manière atroce.

La Reine morte
Artyom Maksakov (Le Conseiller), Valerio Mangianti (Le roi Ferrante)

Plus que la pureté de langage et la limpidité des caractères de la pièce, c’est visiblement cette violence qui a inspiré Kader Belarbi. Violence qui s’exprime dans les rapports père-fils du roi Ferrante et de Don Pedro, et qui s’exacerbe dans les sanglantes fins d’actes. A vrai dire Kader Belarbi n’est-il pas allé trop loin dans cette sauvagerie? Et même sur le plan de l’intrigue, à partir du moment où le roi et ses ministres vont jusqu’à assassiner un prêtre et emprisonner l’infant au premier acte, on ne distingue plus très bien où se situe le conflit durant le deuxième acte. Au chapitre des regrets, on se demande aussi pourquoi persister à placer ce trop long divertissement des bouffons au bal de cour du premier acte, avant même que tout drame ne se noue.

La Reine morte
Juliette Thélin (L’Infante)

Dominé à la création par la figure magnifique du roi Ferrante, le ballet est pour la reprise rééquilibré vers le couple d’amoureux. Il faut dire qu’il a trouvé en Maria Gutierrez et Davit Galstyan ses interprètes idéaux. Les nombreux pas de deux et duos qui rythment le déroulement de l’action les montrent évoluant dans toutes les facettes de leurs personnages et de leur amour jusqu’au magique dernier pas de deux sur la musique du récit de Francesca («Il n’est pas douleur plus grande que se souvenir des temps heureux dans la misère» selon Dante) où ils dansent entourés de créatures immatérielles (cette scène «blanche» semble avoir été travaillée pour mieux s’intégrer dans la narration). Maria Gutierrez, sur qui le rôle d’Inès fut conçu sur mesure, est tendre et aimante au premier acte, assez proche en fait du personnage de Montherlant. Elle se transforme au deuxième acte en fantôme irréel, à la manière d’une Giselle ou d’une Nikya. Ces deux danseurs trouvent à exprimer dans ce style héroïco-romantique toute la fougue et l’enthousiasme dont ils sont capables, et surtout leur entente si visible sur scène fait naître le même émerveillement que pour leur duo de Roméo et Juliette, naguère interprété sur cette même scène. Curieusement cette osmose n’a pas été acquise d’emblée par ces danseurs si brillants individuellement, qui sont parmi les plus anciens de la troupe. Pas si souvent associés par le passé (ils dansaient dans deux distributions différentes lors de la création), ils apportent la preuve que l’art au plus haut niveau est souvent le fruit d’un travail assidu, parfois de longue haleine.


La Reine morte
Maria Gutierrez (Doña Inès de Castro), Davit Galstyan (Don Pedro)

La furieuse variation de l’infante, toute en angles aigus, convient fort bien à la tonique Juliette Thélin, tandis que l’excellent Valerio Mangianti reprend le rôle de Ferrante. Le teint cireux, semblant encore plus usé que lors de la création, il se déploie dans des accès d’autorité d’autant plus spectaculaires qu’ils sont inattendus. Totalement investi dans son personnage, il n’esquive pas une violente chute du haut d’une chaise du conseil le soir de la première, après laquelle il continuera de danser, mais qui l’empêchera de venir saluer après le spectacle.

La Reine morte
Maria Gutierrez (Doña Inès de Castro), Davit Galstyan (Don Pedro), Valerio Mangianti (Le roi Ferrante)

Dans la structure du ballet, rien n’a fondamentalement changé pour cette reprise. Parmi les bonnes idées chorégraphiques, la danse avec le rideau d’Inès avant son assassinat est d’un magnifique effet. Kader Belarbi a aussi intégré la «belle danse» baroque au bal de cour sur la sarabande de la Belle au bois dormant. S’ouvrant sur l’éclatante fanfare du Capriccio italien, l’assemblage des musiques de Tchaïkovski, malgré un côté parfois hétéroclite, soutient efficacement la danse. Les beaux décors mobiles et fluides de Bruno de Lavenère, ainsi que les lumières à la fois douces et contrastées de Sylvain Chevallot, contribuent à dessiner l’action et les personnages à la manière des portraits d’intérieur de Vélasquez. Au final tout est réuni pour que, selon les vœux de Kader Belarbi, ce ballet devienne «une signature et l’une des  facettes de l’identité du Ballet du Capitole».



Jean-Marc Jacquin © 2015, Dansomanie

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noces
Maria Gutierrez (Doña Inès de Castro), Davit Galstyan (Don Pedro)



La Reine morte
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski
Chorégraphie :
Kader Belarbi
Décors : Bruno de Lavenère
Costumes : Olivier Bériot
Lumières : Sylvain Chevallot

Doña Inès de Castro 
Maria Gutierrez
L’Infante de Navarre 
Juliette Thélin
Le Roi Ferrante Valerio Mangianti
Don Pedro 
Davit Galstyan
Le Conseiller du roi Artyom Maksakov
Les Bouffons 
Caroline Betancourt, Kayo Nakasato
Matthew Astley, Takafumi Watanabe



Ballet du  Capitole de Toulouse
Orchestre du Capitole de Toulouse, dir. Koen Kessels

Dimanche 22 février 2015,  Théâtre du Capitole, Toulouse


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