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Les Hivernales de la danse 2014 à Liège
16 novembre 2014 : Troisièmes Hivernales de la danse à la Caserne Fonck, Liège
Il faut sans doute beaucoup aimer la danse et les danseurs pour se lever
un dimanche de bon matin et partir ainsi, en plein cœur d'un mois de
novembre bien pluvieux, direction Liège et un lieu nommé... la caserne
Fonck! Cela fait trois ans que s'y déroule le gala des Hivernales de la
danse, fondé par Marie Doutrepont, une dynamique Liégeoise, ancienne
danseuse du Royal Ballet et du Ballet royal de Flandres (entre autres),
reconvertie dans l'organisation de stages de danse. Mine de rien, elle
réussit non seulement à réunir, une fois l'an et deux jours durant,
quelques-uns des meilleurs danseurs de la planète, mais aussi à créer,
autour du spectacle, une belle alchimie entre les artistes et le public –
où se croisent, en nombre, familles et ballerines en herbe. Lui sont
ainsi proposés, en plus du gala, un cours public, des séances de
dédicace avec les danseurs, une tombola ou encore une vente de produits
dérivés, autant de petites choses qui participent pleinement du succès
de cette manifestation - qu'il était temps de découvrir! Pour le reste,
le lieu, tout en briques rouges du Nord, réaménagé en salle de spectacle
pourvue de gradins, possède un charme brut qui se marie bien avec
l'ambiance très « night-club » qui encadre la représentation : salle
plongée dans le noir, éclairages tamisés, petites bougies design
disposées sur les tables du bar... Les organisateurs ont le sens du
détail et, ma foi, il n'y a pas lieu de regretter une seconde le voyage.
Raphaël Coumès-Marquet et Elena Vostrotina dans The Grey Area (chor. David Dawson)
Le cours public est un spectacle en soi, qui nous
offre une agréable mise en bouche. Il est donné par Howard Quintero, un
Cubain, et accompagné par une formidable pianiste, Natalya Chepurenko,
qui apporte un dynamisme bienvenu à un choix diversifié de musiques de
ballet. La barre laisse voir quelques regroupements nationaux : les
danseurs de Dresde d'un côté, les Anglais et les Cubains d'un autre,
tandis qu'à la barre centrale trônent nos quatre Français, présents en
force – une fois n'est pas coutume dans ce genre de contexte -, avec les
représentants de l'Opéra de Paris et du San Francisco Ballet. Au milieu
les choses s'animent naturellement avec une saine et enthousiasmante
compétition de sauts et de pirouettes entre les garçons – Isaac
Hernandez, un formidable danseur du Het Nationale Ballet qui semble ne
pas connaître l'existence du sol, François Alu, qu'on ne présente plus,
et le mythique Rolando - «Rolandito» - Sarabia, qui allie à une
extraordinaire virtuosité cette rareté, l'élégance du geste, jusque dans
ses épaulements et ses mains, tellement cubaines. A cette
démonstration, qui réchauffe l'assistance et emballe les
applaudissements, succède une coda endiablée de fouettés et de tours,
réclamée par les danseurs eux-mêmes. Bref, le «dédain de la prouesse»
peut aller se rhabiller et Louis XIV avec.
Le soin apporté dans l'organisation se retrouve
lors de la représentation. Nejma Ben Brahim, présentatrice à la diction
impeccable, introduit au fil du spectacle les danseurs et les morceaux
dansés. Le propos est pédagogique, parfois un brin emphatique, mais
néanmoins toujours éclairant. C'est surtout une belle marque de respect
envers les spectateurs et les danseurs, traités comme des artistes,
attachés à une maison ou à un répertoire, et non comme de simples
débiteurs de pirouettes en série – trois petits tours et puis s'en vont.
Côté mise en scène, le gala opte pour la sobriété, avec des éclairages
tempérés (presque trop parfois – ceux de Diamants m'ont paru bien trop sombres), nous évitant les diaporamas dégoulinants dans l'air du temps.
Venus Villa dans Diane et Actéon (chor. Agrippina Vaganova)
Le gala s'ouvre par une démonstration des élèves
de l'Académie Grétry, démonstration charmante et bien dosée qui, en un
petit ensemble, un solo et quelques révérences, semble nous dire à peu
près tout du ballet classique, avec son croquignolet haut comme trois
pommes débarqué au milieu d'une cour de mini-sylphides. Le programme
souligne ensuite, une fois de plus, une tendance générale constatée à
peu près partout : l'importance prise par le répertoire
«néo-classique» - au sens le plus large – dans la danse d'aujourd'hui,
au détriment du répertoire du XIXe siècle. Heureux sommes nous
toutefois que ce gala nous en propose à peu près le meilleur :
Balanchine et Lifar alternent ici avec MacMillan, Van Manen, et, pour
les chorégraphes plus récents, Dawson, Wheeldon et McGregor. Quant au
classique, il semble qu'il n'y ait quasiment plus que les Cubains ou les
Russes pour l'honorer au plus haut niveau et avec ce petit plus qui
s'appelle le style. De manière obligée, ce sont donc Vénus Villa et
Rolando Sarabia qui nous offrent, avec Coppélia et Diane et Actéon,
ces moments rares. On admire, malgré la bande-son désolante à la limite
du supportable, le sens qu'ils ont du détail et du style - style
désormais presque perdu qui n'est pas sans jeter sur leurs prestations
un léger voile de tristesse.
Melissa Hamilton et Eric Underwood dans Qualia (chor. Wayne McGregor)
Honneur pour le reste au vaste continent
néo-classique, avec un ensemble de pièces témoignant assez bien du
répertoire des compagnies, européennes ou américaine, dont sont issus
les danseurs. Les « macgrégoreries » sont notamment présentes en force,
déployant sans frein leur physicalité de l'extrême, sans crainte de
lasser. Chorégraphiées par McGregor (Qualia), par Wheeldon (Tryst) ou par Dawson (Grey Area),
on peine à vrai dire à saisir ce qui distingue tous ces duos qui, pour
reprendre les termes consacrés, ne cessent de « repousser les limites du
corps », ou à déceler ce qui peut rendre l'un meilleur – ou pire - que
l'autre. Elena Vostrotina et Raphaël Coumès-Marquet sont brillamment
incisifs dans la pièce de Dawson, qui les met sans doute plus en valeur
que l'extrait de Diamants
ouvrant le gala. Les bras et la plasticité très russes de Vostrotina
font merveille et se marient idéalement à l'élégance sombre et lointaine
de Raphaël Coumès-Marquet, mais l'élan romantique semble quelque peu
absent de leur prestation. Melissa Hamilton et Eric Underwood sont de
leur côté un couple consacré dans ce type de répertoire, qui a souvent
été créé sur eux par les deux chorégraphes attitrés du Royal Ballet, et
l'on comprend aisément pourquoi. Un couple en noir et blanc, deux
physiques athlétiques, hyper-laxes et hyper-sensuels - une sorte d'idéal
de la modernité urbaine, aux frontières de la déshumanisation. Les deux
pièces qu'ils proposent sont curieusement dans le même registre. On ne
doute pas que la présence de Xander Parish, qui devait danser avec
Melissa Hamilton (un extrait de Giselle?),
aurait apporté en contrepoint la touche à la fois dramatique et
classique que l'on attend aussi des artistes du Royal Ballet.
Isaac Hernandez et Jurgita Dronina dans Manon (chor. Kenneth MacMillan)
Jurgita Dronina et Isaac Hernandez, du Het Nationale Ballet, ont pu manifester davantage de versatilité avec Two Pieces for Het de Hans van Manen et le pas de deux de la chambre tiré de la Manon
de MacMillan, deux pièces qui exigent bien d'autres qualités que la
pure virtuosité que ces deux danseurs sont largement capables de
délivrer et dont on aurait peut-être aimé aussi profiter. Two Pieces for Het
offre un contraste intéressant au travers de ses deux tableaux, l'un
plus rapide et virtuose, l'autre plus dense et lyrique. Au milieu de
tant de faiseurs actuels de pièces, fonctionnant au seul effet, les
chorégraphies de Van Manen se distinguent toujours par leur sobriété et
la tension qu'elles parviennent à créer. La complicité des deux danseurs
est palpable dans Manon,
mais l'extrait arrive sans doute un peu trop brutalement, en ouverture
de la seconde partie, pour véritablement émouvoir.
Mathilde Froustey dans Who Cares? (chor. George Balanchine)
La défection (regrettable) de Xander Parish
profite directement aux danseurs du San Francisco Ballet, vus à trois
reprises dans ce gala. Curieusement, Mathilde Froustey nous propose pour
sa première apparition la variation de la Cigarette extraite de Suite en blanc,
ballet qui figure certes au répertoire du SFB, mais qui évoque
davantage de par chez nous le fameux concours de promotion interne, qui
ne lui a pas forcément très bien réussi par le passé. Le moins que l'on
puisse dire est qu'elle ne danse pas cette Cigarette façon concours de
l'Opéra -et c'est heureux! -, laissant voir des bras et des poses
étonnamment libérés et sensuels, qui se marient tout à fait bien à
l'esprit de la Namouna de Lalo. Who Cares?, dans l'esprit du musical
américain, n'est certes pas le Balanchine que l'on préfère, mais Pascal
Molat et Mathilde Froustey y sont comme des poissons dans l'eau,
rivalisant de vitesse, d'humour et de clins d'oeil coquins - au risque
de l'indigestion. Lambarena, de
Val Caniparoli, sur un drôle de mélange de Bach et de musique africaine,
est une sorte de remix - façon show télévisé – de l'histoire de Tarzan,
Jane et Cheetah... Bon. On n'a rien contre l'entertainment, mais on dira pudiquement que c'est là la pièce de trop – la pièce oubliable par excellence.
François Alu dans Les Bourgeois (chor. Ben van Cauwenbergh)
In fine,
c'est bel et bien François Alu, plus jeune danseur de l'équipe
incidemment, qui aura réussi à se démarquer des numéros plus ou moins
attendus des vedettes frottées à l'exercice du gala, avec sa relecture
hip-hop de La Sylphide. Son interprétation des Bourgeois,
solo par trop rebattu, par trop marqué par certains interprètes bien
connus, si elle est soignée et séduit par son caractère compact et
nerveux, semble encore toutefois un peu retenue dans l'humour. En
revanche, le solo/duo revisité de La Sylphide
surprend agréablement par son mélange réussi de mouvements hip-hop et
contemporains, mis au service de l'intrigue la plus romantique qui
soit. François Alu aurait pu se contenter de délivrer seul, et
brillamment, de ces figures athlétiques qui n'ont pas de nom dans la
grammaire classique, mais le duo avec Léonore Baulac, solaire et
radieuse en créature éthérée des temps modernes, donne à la
démonstration simplement plaisante qui l'ouvre une véritable dimension
émotionnelle. Face à l'abus des poses chirurgicales pour humanoïdes
dansants, cette petite pièce est une respiration : ça
danse enfin! Si les créations de nos étoiles maison et autres danseurs
chorégraphes adoubés par la direction ont souvent laissé – au minimum –
sceptique, voilà incontestablement, de la part d'un jeune espoir, un ton
nouveau, réjouissant pour l’œil et pour l'esprit, rafraîchissant
surtout par son naturel. A suivre!
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Bénédicte Jarrasse © 2014, Dansomanie
Léonore Baulac dans La Sylphide (chor. François Alu)
Ouverture, chor. Marie Doutrepont, mus. Rodrigo Leão et Alexandre Desplat, d'après Benjamin Britten
Elèves de l'Académie Grétry (Liège)
Joyaux - Diamants, chor. George Balanchine, mus. Piotr Ilitch Tchaïkovski
Elena Vostrotina et Raphël Coumès-Marquet
Semperoperballett Dresden
Les Bourgeois, chor. Ben Van Cauwenbergh, mus. Jacques Brel
François Alu
Ballet de l'Opéra National de Paris
Suite en blanc - Variation de la Cigarette, chor. Serge Lifar, mus. Edouard Lalo
Mathilde Froustey
San Francisco Ballet
Two Pieces for HET, chor. Hans Van Manen, mus. Errkki Sven Tüür et Arvo Pärt
Jurgita Dronina et Isaac Hernandez
Het Nationale Ballet Amsterdam
Coppélia - Pas de deux, chor. Marius Petipa, mus. Léo Delibes
Venus Villa et Rolando Sarabia
Etoiles internationales (Cuba)
Tryst - Pas de deux, chor. Christopher Wheeldon, mus. Léo Delibes
Venus Villa et Rolando Sarabia
Etoiles internationales (Cuba)
Who Cares (extraits), chor. George Balanchine, mus. George Gershwin
Mathilde Froustey et Pascal Molat
San Francisco Ballet
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L'Histoire de Manon - Pas de deux, chor. Kenneth MacMillan, mus. Jules Massenet
Jurgita Dronina et Isaac Hernandez
Het Nationale Ballet Amsterdam
Grey Area - Pas de deux, chor. David Dawson, mus. Niels Lanz
Elena Vostrotina et Raphël Coumès-Marquet
Semperoperballett Dresden
La Sylphide - Pas de deux, chor. François Alu, mus. Franz Schubert
Léonore Baulac et François Alu
Ballet de l'Opéra National de Paris
Lambarena - Pas de deux, chor. Val Caniparoli, mus. Jean-Sébastien Bach / musique africaine traditionnelle
Mathilde Froustey et Pascal Molat
San Francisco Ballet
Qualia - Pas de deux, chor. Wayne McGregor, mus. "Scanner"
Melissa Hamilton et Eric Underwood
The Royal Ballet, Londres
Diane et Actéon - Pas de deux, chor. Marius Petipa, mus. Riccardo Drigo
Venus Villa et Rolando Sarabia
Etoiles internationales (Cuba)
Final : Stolen Dance de Milky Chance, chor. Marie Doutrepont
Tous les danseurs
Musique enregistrée
Dimanche16 novembre 2014, 15h00, Caserne Fonck, Liège
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