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Ballet du Capitole de Toulouse
22 octobre 2014 : Soirée Lifar (Les Mirages) - Petit (Les Forains) au Théâtre du Capitole
Julie Loria (La Lune) dans Les Mirages
Lifar
et Petit font leur entrée au répertoire du Ballet du
Capitole. Etant donné la stature majeure de ces deux
chorégraphe, c’est en soi un événement.
Leur empreinte laissée dans le monde de la danse est comparable,
mais pourtant pas identique. La période créatrice de
Serge Lifar succéda immédiatement aux Ballets russes de
Diaghilev pour s’épanouir durant le quart de siècle
où il dirigea l’Opéra de Paris. Roland Petit
commença à créer très jeune à partir
des années 1940 jusqu’à une période
très proche de nous. Prolongeant une sorte de tradition
instituée par Diaghilev, ils ont suscité musique,
décors et costumes chez les meilleurs créateurs de leur
temps, dans l’esprit d’une conjugaison des arts.
Si ces deux figures ont fait rayonner la danse dans le monde culturel
au-delà de nos frontières, leurs traces respectives sont
difficiles à déceler de nos jours hors des
bibliothèques. Roland Petit a laissé quelques ballets
à différentes compagnies à travers le monde. Sa
version facétieuse de Coppélia est très appréciée. Le Jeune Homme et la Mort
est un chef-d’œuvre intemporel. Mais il y a du bon et du
moins bon dans son œuvre foisonnante. Pour leur part, les ballets
de Lifar ne se sont guère imposés en-dehors de
l’Opéra de Paris, hormis peut-être sa Suite en blanc.
Certaines reprises récentes n’ont pas été
unanimement saluées. Et parmi les jeunes
générations, l’oubli fait son travail de sape. La
danse, art éphémère s’il en est, est souvent
ingrate envers ceux qui l’ont glorifiée. Les
témoignages en vidéos sont rares, sinon inexistants.
Alors peut-on espérer connaître un jour Les Animaux modèles, Istar, Le Chevalier et la damoiselle, Les Noces fantastiques, toutes des créations qui ont marqué leur époque, autrement que par des écrits et quelques photos?
Davit Galstyan (Le Jeune Homme) et Julie Charlet (L’Ombre) dans Les Mirages
Depuis sa prise de fonction à la tête du Ballet du
Capitole, Kader Belarbi fait en sorte d’élargir le
répertoire de la compagnie toulousaine en explorant les
directions les plus diverses. Il est on ne peut plus légitime
d’y faire entrer les chorégraphes français majeurs
du 20ème siècle. Et ce d’autant plus que
lui-même en tant que danseur étoile a
façonné pour partie son développement artistique
auprès de ces chorégraphes.
Les deux ballets choisis par Kader Belarbi sont réunis par la
musique d’Henri Sauguet. Musique d’une stupéfiante
beauté, d’une constante élévation de
pensée, et qui pourtant semble couler de source. Voilà
encore un musicien injustement délaissé par les salles de
concerts. Sur un thème similaire à celui de La Nuit de décembre d’Alfred de Musset, Les Mirages
développe en plusieurs épisodes poétiques la
condition de l’homme affronté à son ombre, son
éternelle solitude. Ce thème, assez proche en fait du
romantisme allemand, se prête magnifiquement à la danse.
Les climats variés évoluent à mi-chemin entre
héroïsme et surréalisme, chaque apparition de
l’Ombre agissant comme un implacable refrain. Les décors
et costumes de Cassandre (splendide palais de la lune ennuagé)
concourent à une unité de ton et une force
d’expression qui sont la marque des chefs-d’œuvre.
Paradoxalement, le propos intimiste du ballet réclame une troupe
fort nombreuse. Mais en réduisant le nombre de Filles de la nuit
à 14 au lieu de 24, il peut s’adapter à une
compagnie et à une scène de dimensions plus modestes. Les
danseurs du Capitole se sont passionnés pour cet univers
qu’ils découvraient et en ont appris les secrets
auprès des meilleures sources. Claude Bessy, créatrice de
nombre de ballets de Lifar, en a assuré la supervision. Monique
Loudières, qui fut une Ombre incomparable, et Fabrice Bourgeois,
maître de ballet à L’Opéra de Paris, en ont
suivi les répétitions.
Davit Galstyan (Le Jeune Homme) et Lauren Kennedy (La Femme) dans Les Mirages
Si
les ensembles ne révèlent aucun défaut, les
rôles principaux demandent encore un peu de maturation. Davit
Galstyan met sa superbe technique au service du Jeune Homme, avec un
peu trop d’héroïsme cependant. Il faut louer la Femme
frémissante de Lauren Kennedy, le virevoltant Marchand de
Takafumi Watanabe, et surtout l’Ombre autoritaire et pourtant
pleine de douceur de Julie Charlet. Sa variation est
déclamée avec toute la fluidité nécessaire,
où chaque mouvement découle du précédent en
une logique du discours que la danse peut offrir en ses meilleurs
moments.
Valerio Mangianti (Le Prestidigitateur) dans Les Forains
Le propos des Forains
est moins ambitieux. L’argument minimaliste de Boris Kochno (des
saltimbanques qui préparent, puis présentent leurs
numéros, puis s’en vont, déçus par le manque
de générosité des spectateurs) est une sorte de
mise en abîme de la condition de l’artiste. Il faut en
respecter la naïveté en exprimant tour à tour
l’inquiétude, l’entrain, la joie de vivre puis
l’abattement avec la plus grande sincérité, tout en
différenciant les partie vécues (les
répétitions, l’arrivée et le départ),
et les parties jouées (le spectacle lui-même). Tout
l’art de Roland Petit est là, en rendant poétique
les gestes parfois les plus quotidiens, voire triviaux. C’est Jan
Broeckx, Etoile au Ballet National de Marseille, qui en a
réglé la chorégraphie pour le Capitole.
Shizen Kazama (Le Clown) dans Les Forains
Valerio Mangianti en prestidigitateur reprend le rôle
créé par le chorégraphe lui-même. Il danse
avec style et conviction et mène sa petite troupe avec une
tendresse bienvenue. Son partenariat avec l’adorable Belle
Endormie de Lauren Kennedy s’avère des plus accomplis.
Notons aussi la délicieuse évocation de Loïe Fuller
par Taisha Barton-Rowledge et le brillant clown du prometteur Shizen
Kazama. En applaudissant longuement, le public toulousain a su mesurer
sa chance de voir deux œuvres cardinales qui se maintiendront, on
l’espère, au répertoire. Et comble du
succès, le spectacle est déjà demandé pour
des tournées.
Jean-Marc Jacquin © 2014, Dansomanie
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Les Forains
Les Mirages
Musique : Henri Sauguet
Chorégraphie : Serge Lifar
Argument : Adolphe Mouron dit Cassandre, Serge Lifar
Décors et costumes : Adolphe Mouron dit Cassandre
Lumières : Yves Bernard
L’Ombre – Julie Charlet
Le Jeune homme – Davit Galstyan
La Femme – Lauren Kennedy
La Chimère – Juliette Thélin
Le Marchand – Takafumi Watanabe
La Lune – Julie Loria
Les Forains
Musique : Henri Sauguet
Chorégraphie : Roland Petit
Argument : Boris Kochno
Décors et costumes : Christian Bérard
Lumières : Jean-Michel Désiré
Le Prestidigitateur – Valerio Mangianti
La Belle Endormie – Lauren Kennedy
Le Clown – Shizen Kazama
La Petite fille – Lilou Coulaud
Visions d’art (Loïe Fuller) – Taisha Barton-Rowledge
Les Siamoises – Melissa Abel, Tiphaine Prévost
L’Acrobate – Matthew Astley
Le Machiniste – Demian Vargas
La Femme-tronc – Kusi Castro
Ballet du Capitole de Toulouse
Orchestre national du Capitole, dir. Philippe Béran
Mercredi 22 octobre 2014, Théâtre du Capitole, Toulouse
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