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Le Nederlands Dans Theater au Théâtre National de Chaillot
20 juin 2014 : Kylián / Pite / León & Lightfoot par le NDT au Théâtre de Chaillot (Paris)
Mémoires d'oubliettes (chor. Jiří Kylián)
En France, on aime bien les étiquettes.
«Classique» ou «contemporain», Opéra ou Théâtre de la Ville, il faut
choisir son camp et si, par malheur, l'on ne se soumet pas à
l'impératif catégorique, la réalité du spectacle, foncièrement
cloisonnée, se charge bien vite de nous y ramener. Avec le NDT, on est
loin de ce genre de questionnement. La modernité n'est jamais ici une
posture, pas plus que la beauté – cette «vieillerie» - n'y est un vain
mot. L'excellence des danseurs – tous dotés d'une personnalité unique
-, la qualité du répertoire – d'une qualité et d'une profondeur que l'on
cherche bien vainement par chez nous –, le raffinement des mises en
scène – belles à couper le souffle - viennent nous rappeler que c'est la
danse seule, sortie enfin de ses catégories sclérosantes, qui importe
et que l'on aime. Une fois n'est pas coutume, le NDT unit les amateurs,
au lieu de les séparer.
La
venue du NDT à Paris était à coup sûr
l'«événement» – comme aiment à
dire les médias - «à ne pas manquer» de ce
printemps chorégraphique. La compagnie n'avait pas mis les pieds
à Paris depuis 2006, année où elle avait
été l'invitée de la saison de l'Opéra. Le
programme faisait alors la part belle à l'oeuvre de Jiří
Kylián, chorégraphe et directeur indissociable de
l'identité de la compagnie, tout en donnant un petit
aperçu des créations de Sol León et Paul
Lightfoot, à présent en charge de la troupe. Une
magnifique saison de retransmissions cinématographiques,
hélas avortée faute de succès public, avait permis
l'an dernier de découvrir les nouveaux chemins pris par la
troupe, désormais libérée du maître
Kylián.
Mémoires d'oubliettes (chor. Jiří Kylián)
Le programme de Chaillot 2014, en trois volets,
séduit à la fois par son équilibre et par son sens aigu de la tension et
de la progression émotionnelle. Tout en gardant un pied dans la
tradition, il s'ancre dans le présent et esquisse le futur. D'une pièce à
l'autre, on retrouve l'une des marques fondamentales du NDT, à savoir
le soin extrême apporté aux éclairages et à la mise en scène, qui
participent au moins autant que la musique et la danse à la beauté du
spectacle. Ici, la diversité des danseurs, dont les corps, autant que
les noms, reflètent les horizons variés d'où ils sont issus, n'est pas
une idéologie produite par l'air du temps, elle participe d'une
esthétique et d'une éthique, dans laquelle les individualités se fondent
harmonieusement, sans pourtant jamais s'oublier. Il est du reste très
rare de voir des danseurs «contemporains» dégager une telle puissance
tellurienne et en même temps une telle légèreté, au point qu'ils en
paraissent presque irréels. Oui, il y a quelque chose de profondément
romantique dans cette compagnie.
Comme pour boucler la bouche, et ouvrir sur autre chose, c'est Mémoires d'oubliettes,
une pièce surprenante chorégraphiée par
Kylián pour dire adieu au NDT, qui ouvre la soirée. Mémoires d'oubliettes
semble évoquer, de façon métaphorique, les obsessions qui travaillent
la danse : la décomposition et la recomposition, l'oubli et la mémoire,
la perte et la survie. Les lettres qui composent le titre, étalées sur
le sombre rideau de scène inaugural, se dissolvent d'entrée pour former
sous nos yeux d'autres mots. De l'ombre d'un second rideau, constitué de
fils métalliques souples, surgissent, puis disparaissent, six créatures
étranges, qui se lancent dans des solos ou des duos, aux allures
d'esquisses interrompues. Le mouvement est à deux visages : tantôt
métallique et tranchant, sinon grinçant, en plein accord avec les
sonorités électroniques de Dirk Haubrich, tantôt souple et fluide, pris
dans des effets de ralentis qu'on dirait presque orientaux. Mémoires d'oubliettes
s'achève – dans la dérision? - par une projection de canettes vides,
comme venues des cieux, qui viennent s'écraser bruyamment au sol.
Solo Echo (chor. Crystal Pite)
A la pluie métallique clôturant Mémoires d'oubliettes succède la douce tempête de neige enveloppant Solo Echo.
La pièce de Crystal Pite, nocturne contemporain, se déroule dans une
espèce d'apesanteur, installant le spectateur dans une atmosphère
onirique et cotonneuse, bercée par la musique de Brahms – une sonate
pour piano et violoncelle. Dans les duos de la première partie, tout
comme dans les ensembles, peut-être plus intéressants, de la seconde,
les corps, à la fois souples et athlétiques, s'étirent à l'infini, entre
portés aériens et chutes contrôlées, formant dans l'espace des lignes
de toute beauté, qui privilégient souvent l'horizontalité. L'écriture se
déploie, telle un souffle, comme si elle voulait renouer avec des
forces élémentaires.
Shoot the Moon (chor. Sol León & Paul Lightfoot)
Après deux pièces plutôt impressionnistes et abstraites, Shoot the Moon
tranche par son caractère réaliste, sinon démonstratif. Le dispositif
scénique, conçu à partir d'un plateau tournant, donne à voir,
successivement, trois pièces à l'intérieur d'une maison fantasmatique.
Dans ces chambres ou ces salons pittoresquement bourgeois, aux murs
tapissés de motifs inspirés des azulejos,
c'est le drame du quotidien qui se joue et se rejoue, en une une espèce
de ronde fatale, signifiée par la mise en scène. Seuls ou à deux, les
êtres qu'ils abritent s'aiment et se déchirent, espèrent et souffrent,
se retrouvent et se quittent – et tout recommence. Des caméras qui
filment l'intimité des couples, d'élégants costumes de ville, une
gestuelle et une thématique proches de l'univers de Mats Ek, un certain
goût des portes et des fenêtres, et, pour couronner le tout, du Phil
Glass... il y a là, franchement, beaucoup de déjà-vu, de déjà-entendu.
Et pourtant, dans cette chorégraphie intense, tendue jusqu'au paroxysme
de la rupture, la banalité s'élève à la hauteur du sublime. Un classique
en somme.
B. Jarrasse © 2014, Dansomanie
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Solo Echo (chor. Crystal Pite)
Mémoires d'oubliettes
Musique : Dirk Haubrich
Chorégraphie : Jiří Kylián
Scénographie : Yoko Seyama
Costumes : Joke Visser
Lumières : Kees Tjebbes
Vidéo : Jason Akira Somma
Avec : Myrthe van Opstal, Medhi Walerski, Aram Jasler
Menghan Lou, Sarah Reynolds, Roger Van der Poel
Solo Echo
Musique : Johannes Brahms
Chorégraphie : Crystal Pite
Décor : Jay Gower Taylor
Costumes : Crystal Pite, Joke Visser
Lumières : Tom Visser
Avec : Menghan Lou, César Faria Fernandes, Jorge Nozal, Roger Van der Poel
Shoot the moon
Musique : Philip Glass
Chorégraphie : Sol León, Paul Lightfoot
Décor et costumes : Sol León, Paul Lightfoot
Lumières : Tom Bevoort
Vidéo en direct : Rupert Tookey, Bart Coenen
Avec : Danielle Rowe, Parvaneh Scharafali, Brett Conway
Roger Van der Poel, Medhi Walerski
Nederlands Dans Theater
Musique enregistrée
Vendredi 20 juin 2013 , Théâtre National de Chaillot, Paris
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