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critiques et comptes rendus
Malandain Ballet Biarritz

13 avril 2014 : Cendrillon (Thierry Malandain) au Théâtre de Chaillot (Paris)


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Cendrillon, chor.  Thierry Malandain


Le ballet s'est toujours nourri du merveilleux et le merveilleux est à la mode. Mais la féerie du temps présent n'est plus tout à fait celle d'autrefois. Si les chorégraphes continuent de se plonger dans cet univers avec délectation, c'est pour mieux en revisiter les codes et les images, voire pour mieux détourner ceux-ci – entre pastiche sérieux, pochade rigolote ou dérision nihiliste.  

Avec Cendrillon, ballet du XXe siècle, né en Russie de la musique de Prokofiev, le décalage est, pourrait-on dire, presque fondateur. Dans la version classique - en principe au premier degré - d'Ashton, les fameuses «Ugly Sisters», véritables héroïnes du ballet, interprétées par deux danseurs travestis, introduisent d'emblée un rire burlesque, dans la bonne vieille tradition anglaise, en décalage avec le merveilleux traditionnel.

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Cendrillon, chor.  Thierry Malandain

La Cendrillon de Thierry Malandain s'apparente avant tout à un paysage mental. On retrouve sans peine l'histoire et les caractères du conte, mais débarrassés de leur dimension pittoresque, confinant presque à l'abstraction. La pantoufle de vair a été reléguée au placard des antiquailles et, avec elle, balai, citrouille, carrosse et palais. Le rêve, le désir d'idéal, est pourtant là, bien présent, décliné sous d'autres formes. Le ciel étoilé prend ainsi les allures d'un mur à trois faces parsemé d'escarpins en vernis noir, qui ont l'air de tomber des cieux. Sous une lumière violine, plus ou moins tamisée au fil des tableaux, le stiletto magique, doté d'un talon fuselé à la hauteur vertigineuse, est démultiplié à l'infini - la papier peint onirique de la chambre d'une jeune fille d'aujourd'hui. Les costumes, aux teintes monochromes – chair, bleu azur ou noirs –, sont naturellement épurés, pour mettre en valeur, plus que le drame, les corps, divers et puissants, et la danse, fluide et athlétique, des interprètes du Ballet Biarritz. Dans cet univers très « ligne claire », les sœurs et la marâtre, interprétées comme il se doit par des garçons, viennent apporter une note - une mécanique - grinçante, et même franchement inquiétante. Crâne rasé, carrure de déménageurs, musculature saillante, faux seins et... béquille quasi-militaire en bandoulière (laquelle tient lieu de barre de cours de danse à un moment), leur apparition tient d'un grotesque situé quelque part entre les films d'Almodovar et les ballets de Mats Ek.

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Cendrillon, chor.  Thierry Malandain

Ce n'est pas tant par sa chorégraphie, peut-être oubliable, que le ballet séduit que par l'inventivité et le brio de sa mise en scène, laquelle, sans avoir l'air d'y toucher, recèle quantité de – grandes ou petites - trouvailles spectaculaires. La grande scène du bal, où le faible effectif de la compagnie a contraint le chorégraphe à recourir à des mannequins sur roulettes pour accompagner les danseurs, est la plus réussie et la plus dense à cet égard, quand d'autres, notamment dans la première partie, tendent à s'étirer en longueur. Le bal féerique, qui tend parfois à sombrer dans le kitsch, se métamorphose ici en un bal d'ombres, presque un bal macabre, ressuscitant malgré lui l'image hoffmanienne de la poupée mécanique, à l'origine de la Coppélia de Saint-Léon et Nuitter. L'horloge fatale, reconstituée par le corps des danseurs placés en cercle, devient, par-delà l'intrigue du conte, un motif chorégraphique, qui ouvre et clôt le ballet de manière à la fois efficace et joliment poétique.

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Cendrillon, chor.  Thierry Malandain

L'autre plus du ballet est incontestablement son impeccable distribution. La Japonaise Miyuki Kanei prête ses traits juvéniles et son physique gracile au rôle principal, tandis que Claire Longchampt, avec sa blondeur et sa silhouette longiligne, s'impose comme une évidence dans le rôle de la fée bienveillante. Chez les garçons, c'est encore mieux. Daniel Vizcayo est un Prince charmant moderne, à la fois tendre et viril, mais peut-être est-il un tantinet concurrencé sur son propre terrain par Arnaud Mahouy, maître de ballet autant que maître du jeu, malin, précis, délicieusement vif et bondissant.




Bénédicte Jarrasse © 2014, Dansomanie

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Cendrillon
Musique : Serge Prokofiev
Chorégraphie : Thierry Malandain
Décors et costumes : Jorge Gallardo, Véronique Murat
Lumières : Jean-Claude Asquié

Cendrillon – Miyuki Kaneï
Le Prince – Daniel Vizcayo
La Fée – Claire Lonchampt
La Belle-mère  – Baptiste Fisson
Javotte et Anastasie (les deux soeurs)  – Frederik Deberdt, Jacob Hernandez Martin
Le Père – Raphaël Canet
Le Maître de danse / Le Surintendant des plaisirs – Arnaud Mahouy
Les Couturières – Aureline Guillot, Irma Hoffrend, Mathilde Labé


Malandain Ballet Biarritz
Orchestre symphonique du Pays-Basque - San Sebastian, dir. Josep Caballé Domenech

Dimanche 09 juin 2013,  Opéra royal, Versailles


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