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Ballet du Capitole de Toulouse
10 avril 2014 : Pâques Russes, à la Halle aux grains
Maria Gutierrez (Paquita) et Kazbek Akhmedyarov (Lucien)
Pour
ce programme construit autour de l’Ecole russe de ballet, le
Théâtre du Capitole a su puiser aux meilleures sources
pour remonter les trois ballets qui le composent. Irina Kolpakova et
Eldar Aliev du Kirov/Mariinski pour Chopiniana, Paul Boos du Balanchine Trust pour Le Fils prodigue, et Natalia Bashkirtseva et Oleg Vinogradov lui-même pour le divertissement de Paquita,
dont ce dernier est l’auteur de la version actuelle, sont venus
assurer la réalisation d’œuvres dont ils
garantissent ainsi l’authenticité. On mesure à
l’énoncé de ces noms tout ce que peut apporter en
matière de restitution des styles la direction d’un Kader
Belarbi, qui a connu les meilleurs chorégraphes et
côtoyé les meilleurs danseurs de son temps.
C’est d’autant plus vrai que le Ballet du Capitole continue
d’élargir et d’approfondir son répertoire. On
annonce ainsi pour la saison prochaine du Serge Lifar, du Roland Petit,
du Thierry Malandain, avec, à la clef, la venue de Monique
Loudières, voire de Claude Bessy. En bon connaisseur de ses
forces et de ses atouts, Kader Belarbi veut n’avancer
qu’à pas sûrs et il a bien raison.
Juliette Thélin et Valerio Mangianti dans Chopiniana
Chopiniana est plus connu en France sous le titre Les Sylphides.
Sous la thématique du poète romantique, cherchant son
inspiration dans la nature et dans l’idéalisation de
l’éternel féminin, cette oeuvre reprend
l’imagerie du ballet blanc, et recherche une
immatérialité telle que l’avait
développée la Taglioni, créatrice de la Sylphide,
notamment par l’utilisation des pointes. Dans cet esprit, le
vocabulaire et la technique de la danse ne sont pas au service de la
virtuosité, mais de cette recherche de la plus vaporeuse
légèreté. En un saisissant paradoxe,
l’adaptation pour orchestre de pièces de Chopin
(aberration musicale s’il en est !), qui ne ressemble ni à
du Chopin, ni à rien d’autre, participe aussi de cette
irréalité.
Lauren Kennedy et Valerio Mangianti
Pour le coup, le Capitole a abandonné le traditionnel paysage de
clairière au clair de lune, agrémenté ou non
d’une ruine à la Hubert Robert, pour choisir un simple
fond noir. Cela tire le ballet vers l’abstraction et ce
n’est pas plus mal. L’accumulation de mousseline blanche
sur scène fait toujours son effet auprès du spectateur,
au gré des figures dessinées par les longs tutus
romantiques. L’évocation de cette atmosphère
éthérée réclame pourtant encore autre
chose. Les danseurs choisis pour cette représentation jouent
avec leurs qualités propres, mais ne rivalisent pas toujours
avec les grandes compagnies russes qui se transmettent de
génération en génération ce style si
particulier, et qui fut un temps le style français. Aussi, aux
remarquables envolées de Juliette Thélin et à la
grâce toute féline de Lauren Kennedy, on
préfèrera le jeu de bras fin et lyrique de Julie Charlet,
qui touche à l’émotion dans le prélude.
Valerio Mangianti est pour sa part un poète d’une grande
propreté technique, délicat et doux, sans tomber dans une
mièvrerie qui condamne parfois ce ballet.
Davit Galstyan dans Le Fils prodigue
Balanchine, qui fit naguère la renommée du Ballet du
Capitole, revient sur la scène toulousaine par le biais
d’un de ses rares ballets narratifs, le dernier ballet produit
par Serge Diaghilev. L’argument en est tiré de
l’Evangile de Luc. Mais partant de la célèbre
parabole du Fils prodigue,
Balanchine, volontairement ou non, n’a pas donné une
atmosphère biblique à sa pièce, ni même
religieuse (si ce n’est par l’impression mystique que
laissent les décors de Rouault). Il l’a plutôt
rapprochée d’un conte russe, notamment en décrivant
les mésaventures bariolées, tour à tour cocasses
ou brutales, du Fils. Les différents épisodes ne
s’enchaînent pas de la plus cohérente des
façons, illustration du peu d’appétence de
Balanchine pour la stricte narration. Les moments d’anthologie
sont cependant nombreux : la danse de la courtisane,
l’utilisation de la barrière de la maison du père,
qui devient table au deuxième tableau, puis navire, la danse des
comparses, conçus comme formant un seul corps. Par-dessus tout,
le rôle du Fils, qui passe par tous les registres de
l’émotion à travers sa danse, est un rôle
justement recherché par les plus grands qui rêvent
d’y imprimer leur marque. Davit Galstyan sans conteste y laisse
la sienne, dans ses élans vers la trompeuse liberté,
comme dans son corps à corps avec la courtisane, dans sa
beuverie ou dans ses gémissements. Son retour couvert de
meurtrissures vers le père, qui finit sur les genoux, est
d’une formidable intensité. On retrouve à ses
côtés un méconnaissable Valerio Mangianti,
l’un des rares danseurs capables d’incarner à
quelques minutes d’intervalle un poète
mélancolique, puis un patriarche iconique.
Maria Gutierrez (Paquita) et Kazbek Akhmedyarov (Lucien d'Hervilly)
Deux lustres suspendus dans les cintres et voici la Halle aux grains
transformée par la magie des lumières en éclatante
salle de bal. Et c’est par un éblouissant feu
d’artifice que se termine ce programme. Le Grand pas de Paquita,
dans la version de Vinogradov, a longtemps été au
répertoire de l’Opéra de Paris, tandis que le
Ballet de Toulouse avait dansé il y a quelques années une
version adaptée par Nanette Glushak. Vinogradov y a inclus le
pas de trois, les variations intercalaires féminines
étant au nombre de quatre.
Les
entrées successives brillent de mille feux. Maria Gutierrez
étincelle et semble emmener tout ce beau monde dans un
tourbillon frénétique. Kazbek Akhmedyarov n’a
jamais été aussi rayonnant sur la scène
toulousaine.On annonce pourtant son départ de la compagnie.On
découvre aussi Vanessa Dirven, nouvelle recrue à la
technique affirmée, et le danseur russe Evgueni Dokoukine dans
un très élégant pas de trois. Oleg Vinogradov peut
venir saluer, le ballet académique façon Petipa a de
l’avenir à Toulouse.
Jean-Marc Jacquin © 2014, Dansomanie
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Répétition de Paquita
Chopiniana
Musique : Frédéric Chopin, orch. Alexandre Glazounov et Maurice Keller
Chorégraphie : Michel Fokine
Décors et costumes : Alexandre Benois
Avec : Julie Charlet, Lauren Kennedy, Juliette Thélin, Valerio Mangianti
Le Fils prodigue
Musique : Serge Prokofiev
Chorégraphie : George Balanchine
Décor et costumes : Georges Rouault
Le Fils – Davit Galstyan
La Courtisane – Juliana Bastos
Le Père– Valerio Mangianti
Les Confidents – Shizen Kazama, Nicolas Rombaut
Les Sœurs– Pascale Saure, Estelle Fournier
Paquita – Grand Pas
Musique : Ludwig Minkus
Chorégraphie : Oleg Vinogradov
Décors et costumes : Joop Stokvis
Paquita – Maria Gutierrez
Lucien d'Hervilly – Kazbek Akhmedyarov
Pas de trois – Vanessa Dirven, Julie Loria, Evgueni Dokoukine
1ère variation – Silvia Selvini
2ème variation – Emilia Cadorin
3ème variation – Juliette Thélin
4ème variation – Lauren Kennedy
Ballet du Capitole de Toulouse
Orchestre National du Capitole
Dir. Koen Kessels
Jeudi 10 avril 2014, Halle aux grains, Toulouse
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