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critiques et comptes rendus
Ballet du Capitole de Toulouse

30 janvier 2014 : Bach Suites (Belarbi, Dawson, Marin) au Théâtre du Casino Barrière


a million kisses to my skin
Kazbek Akhmedyarov et Maria Gutierrez dans A Million kisses to my skin (chor. David Dawson)


Danser sur du Bach, quoi de plus légitime? Après tout, la musique de danse préexiste à la musique purement instrumentale et Jean-Sébastien Bach, monument dressé au grand carrefour historique des écritures musicales, indique le chemin qui mène de la suite de danses traditionnelles vers l'abstraction de la sonate et du concerto. Ainsi, ce programme du Ballet du Capitole réunit sous la bannière du Cantor de Leipzig trois œuvres dansées on ne peut plus différentes, de la résurrection des danses de cour, en passant par le néoclassicisme poussé vers son extrême, jusqu’à une transposition très décalée dans un monde plus contemporain.

La création de Bach suite 3 est la résultante d’un long historique qui illustre à merveille les mécanismes de la transmission dans la danse et les processus de création.  La choréologue Francine Lancelot (1929-2003) s'était passionnée pour les danses anciennes, populaires et savantes. Elle en étudia les documents, les systèmes de notation, en particulier le système Feuillet, puis entreprit d'enseigner ce langage et ce répertoire alors inconnus, allant jusqu'à devenir titulaire d'une classe à l’École de l'Opéra de Paris. Elle fonda sa propre compagnie,  «Ris et Danceries», avec laquelle elle monta spectacles chorégraphiques, opéras baroques et comédies-ballets. Rudolf Noureev l'invita alors à construire un solo qui ferait appel à la fois à la tradition et à l'inspiration. Ils choisirent la troisième suite pour violoncelle de Bach comme support musical. Francine Lancelot réglait le début de chacune des pièces de la suite, avec le souci de reconstituer, au plus près, pas et enchaînements caractéristiques de chaque danse, laissant ensuite Noureev développer sa propre chorégraphie dans le style et la couleur ainsi donnés. Bach Suite fut ainsi créé en 1984 au Théâtre des Champs-Élysées avec, déjà, Christophe Coin au violoncelle.

bach suite 3
Juliana Bastos et Taisha Barton-Rowledge dans Bach Suite 3 (chor. Kader Belarbi)

Une vingtaine d’années plus tard, Kader Belarbi, assisté de Françoise Deniau, de la compagnie de Francine Lancelot, crée à la fois une suite et une variation au Bach Suite de Noureev, y intégrant sa propre inspiration chorégraphique. Ce sera Bach Suite 2, hommage conjoint à Francine Lancelot et à Rudolf Noureev. Bach Suite 3 reprend les mêmes principes, c’est-à-dire la combinaison de parties très codifiées et de sections plus personnelles. Toutefois le solo pour un danseur s’est transformé en quatuor, toujours sur la même suite de Bach, et à nouveau jouée par Christophe Coin.

Les caractéristiques de la danse baroque sont conservées : gestes mesurés, ronds de jambes, de coudes, de poignets, effacements et épaulements. Les sauts restent de petite amplitude ; les pas jouent sur la précision des positions et sur des accentuations subtiles qui suivent la musique, respectant les temps forts et les temps faibles. Les extensions, notamment avec les bras au-dessus de la tête, témoignent des chemins plus personnels empruntés par Kader Belarbi. Il s’en dégage un sensualité distanciée, très fine, où la grâce camoufle des passions contenues. Les deux couples choisis pour cette résurrection/création répondent parfaitement aux exigences propres à ce style de danse. Elégance et concentration sont leur marque de fabrique. Certes, ils expriment davantage de réserve que leurs illustres devanciers, dont la présence scénique était insurpassable. Valerio Mangianti les rejoint pourtant par la qualité de son port de tête et le dégagement des épaules, selon lesquels le mouvement du haut du corps répond à la direction de la pointe du pied. Il manifeste également beaucoup de puissance dans son solo de la bourrée. Juliana Bastos est pour sa part pleine de noblesse et fait montre de lignes parfaites, Taisha Barton-Rowledge, plus spontanée, et Pierre Devaux, plus ingénu, forment un couple en contrepoint. Mais pourquoi ces étranges portiques qui divisent la scène du casino-théâtre? La simple épure d’un jardin à la française juste suggéré n’aurait-elle pas été un écrin plus approprié?

Bach Suite 3
Christophe Coin, Juliana Bastos, Taisha Barton-Rowledge et Valerio Mangianti dans Bach Suite 3 (chor. Kader Belarbi)

On ne pouvait pas mieux mesurer la distance parcourue par l’évolution de la danse qu’avec la juxtaposition du ballet de David Dawson A Million kisses to my skin. L’introduction de la virtuosité depuis la fin du 18ème siècle a poussé à la recherche de la performance et à l’effet brillant. Dans ce ballet, créé en 2000 par le Ballet national de Hollande, les danseurs sautent, déboulent, s’envolent, avec une densité de tous les instants. Basé sur le vocabulaire académique, tel qu’il s’est transformé à travers le néo-classicisme, les hyper-extensions, décalages et asymétries sont la règle.

On pense irrésistiblement au Vertiginous thrill of exactitude de Forsythe, dont ce ballet semble un prolongement, avec cependant quelque chose de moins contraint et de moins mécanique, bien que la vitesse y soit peut-être encore supérieure. On y trouve également, dans quelques alignements, des références fugaces au Concerto Barocco de Balanchine, ne serait-ce aussi que par l’utilisation d’un concerto de Bach. En l’occurrence le Concerto pour piano en ré mineur est joué avec enthousiasme par l’Orchestre de Chambre de Toulouse, sous la direction de Christophe Coin.

A Million kisses to my skin
Davit Galstyan dans A Million kisses to my skin (chor. David Dawson)

Les danseurs du Capitole, rompus encore pour certains au style balanchinien s’y sentent parfaitement à l’aise, en premier lieu les radieuses Maria Gutierrez et Tatyana Ten. Soulignons aussi une très énergique Juliette Thélin et un aérien Demian Vargas en constants progrès.

Sur les deuxième et troisième Concertos brandebourgeois, Maguy Marin nous propose avec  Groosland un univers à l’opposé des canons esthétiques issus de la danse baroque. Ces corps sans grâce, tout transpirants, vêtus initialement de bleus de travail, petit chapeau rond pour les hommes, chevelure attachée pour les femmes, nous amusent et nous font rire. Ils nous émeuvent pourtant bientôt malgré leurs petits pas hésitants et leurs têtes qui dodelinent. L’engagement des danseurs et parfois leur fougue forcent la conviction et on finit par les trouver beaux. Faut-il voir dans ce ballet une dénonciation de la dictature de la beauté ou bien un attendrissement un peu condescendant? Probablement ni l’un ni l’autre mais simplement au premier degré le manifeste que la danse appartient à tout le monde.



Jean-Marc Jacquin © 2014, Dansomanie

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Groosland
 Julie Loria et Alexander Akulov dans Groosland (chor. Maguy Marin)



Bach Suite 3
Musique : Jean-Sébastien Bach
Chorégraphie : Kader Belarbi, Francine Lancelot
Costumes : Olivier Bériot
Scénographie : Rémi Nicolas

Avec : Juliana Bastos, Taisha Barton-Rowledge, Valerio Mangianti, Pierre Devaux
Christophe Coin, violoncelle solo

A Million Kisses to my Skin
Musique : Jean-Sébastien Bach
Chorégraphie, mise en scène et décors : David Dawson
Costumes : Yumiko Takeshima
Lumières : Bert Dalhuysen

Avec : Caroline Betancourt, Julie Charlet, Maria Gutierrez
Lauren Kennedy, Tatyana Ten, Juliette Thélin
Kazbek Akhmedyarov, Davit Galstyan, Demian Vargas

Eloise Urbain, piano solo

Groosland

Musique : Jean-Sébastien Bach
Chorégraphie : Maguy Marin
Costumes : Montserrat Casanova
Lumières : Alexandre Béneteaud

Avec :  Julie Loria, Alexander Akulov


Ballet du  Capitole de Toulouse
Orchestre de Chambre de Toulouse, dir. Christophe Coin

Jeudi 30 janvier 2014,  Théâtre du Casino Barrière, Toulouse


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