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Monaco Dance Forum
18 décembre 2013 : Diana Vichneva "On the edge" à la Salle Garnier
Gaëtan Morlotti, Bernice Coppieters et Diana Vichneva dans Switch (chor. Jean-Christophe Maillot)
C'est à une soirée entièrement
dédiée à la star transatlantique du Mariinsky et
de l'American Ballet Theater que nous conviait en ce mois de
décembre le Monaco Dance Forum. Deux ouvrages, Switch et Woman in a room,
signés respectivement de Jean-Christophe Maillot et de Carolyn
Carlson, composaient l'affiche du spectacle. Réunis sous le
titre On the edge ("Sur le
fil"), et présentés aujourd’hui en première
monégasque, ils ont été créés au
Segerstrom Center for the Arts, en Californie, le 6 novembre dernier.
Woman in a room
est un solo qui se veut - Russie oblige - un hommage à
Andreï Tarkovski. Malheureusement, on est ici assez loin de
l'univers étrange, tourmenté, qui caractérise
l'oeuvre du célébre cinéaste. En-dehors d'un petit
catalogue de symboles à la pertinence relative (l'arbre pour Le Sacrifice, le plat d'argent pour Le Miroir, les citrons pour l'Italie de Nostalghia),
il ne reste pas grand chose qui aille au-delà de l'anecdotique.
Gentille bluette - la musiquette musette de René Aubry n'arrange
rien à l'affaire, même si la section centrale de la
partition, signée, elle, de Giovanni Sollima, offre davantage de
consistance -, Woman in a room
met en scène les rêves d'une ménagère (oui,
l'"action" se déroule dans une pièce unique aux allures
de cuisine rustique, annihilant toute tentative d'interprétation
"féministe") dans la fleur de l'âge, qui se
remémore un passé dont on ne sait pas s'il a un jour
été réalité. Diana Vichneva n'a pas trop
à forcer son talent pour animer cette chorégraphie sans
difficulté notoire ; seules les amusantes "courses en
suspension", où il s'agit de fouler les airs en
n'étant retenue à une table que par la seule force des
poignets, sont, pour la frêle ballerine, l'occasion de montrer
qu'elle possède aussi de solides biscoteaux. La dernière
partie de l'ouvrage est une primesautière séance de
découpage de citrons tout ce qu'il y a de plus vrais. La jolie
confiturière Vichneva offrira finalement les quelques kilos
d'agrumes victimes de son couteau à un public joyeux, dans une
ambiance primesautière davantage évocatrice de la Fête des fleurs à Genzano (les pointes en moins) que de l'atmosphère des films de Tarkovski. Plaisant, facile, vite oublié.
Diana Vichneva dans Woman in a room (chor. Carolyn Carlson)
Switch, de
Jean-Christophe Maillot, qui ouvrait la soirée, tient peu ou
prou de l'exercice de style ("une rencontre entre trois personnes -
Diana Vichneva, Bernice Coppieters, Gaëtan Morlotti - qui
n'auraient jamais dû se rencontrer", commente le
chorégraphe), mais s'avère bien plus consistant que Woman
in a room.
Comme (presque) toujours chez Jean-Christophe Maillot, une narration,
même si elle ne se traduit pas par une pantomime dans l'acception
"classique" du terme, sous-tend la chorégraphie. Ici,
l'héroïne (ou présumée telle, les lignes ne
sont pas si nettes qu'il y paraît), incarnée par Diana
Vichneva, allégorie de l'Art pour l'Art, s'interroge sur la
finalité de sa dévotion à la création, et
finit par raccrocher (au sens littéral, à la barre!) les
chaussons pour s'en aller à la découverte de la "vraie"
vie. C'est le couple formé par Gaëtan Morlotti et Bernice
Coppieters qui lui montre la voie (on ne sait trop si leur fonction est
celle d'impresario, de répétiteur ou de mentor,
peut-être les trois à la fois). Diana Vichneva virevolte
sur pointes jusqu'à l'épuisement total. Bernice
Coppieters n'en use qu'avec parcimonie, aussitôt montée,
aussitôt descendue, telle une Taglioni du vingt-et-unième
siècle, donnant la réplique à une Vichneva-Pavlova
éperdue de virtuosité. Gaëtan Morlotti, lui, se
cantonne dans un rôle d'observateur, passif la plupart du temps,
n'intervenant que pour rétablir l'ordre lorsque le ton monte
entre les danseuses, qui personnifient chacune à leur
manière une forme plus ou moins extrême de l'art
chorégraphique.
Switch, et c'est
une autre caractéristique propre à bien des
créations de Jean-Christophe Maillot, peut, par certains
aspects, sinon prendre une dimension autobiographique, du moins
investir le champ de l'introspection et de l'intime. Difficile ici de
ne pas deviner le regard porté par le chorégraphe sur son
propre passé et les choix que lui-même a dû
effectuer, sous la contrainte du destin, une première fois lors
de la disparition brutale de son père (épisode qu'il a
abordé en 1995 dans Vers un pays sage),
puis lorsqu'il lui fallut, à la suite d'un accident, abandonner
une prometteuse carrière de soliste au Ballet de Hambourg.
Bernice Coppieters, Gaëtan Morlotti et Diana Vichneva dans Switch (chor. Jean-Christophe Maillot)
Si Switch touche et
séduit par une scénographie soignée - qui va bien
au-delà de ce qu'on pouvait attendre d'un ouvrage de
circonstance, aux dimensions somme toute restreintes - et par un sujet
aux potentialités prometteuses, d'autres aspects peuvent appeler
quelques réserves. On regrettera - mais en avait-il la
possibilité, dans le cadre d'un spectacle
"événementiel" comme celui-ci? -, que Jean-Christophe
Maillot n'aille pas au bout de ce qu'une "confrontation au sommet"
entre deux très grandes dames de la danse, à la
formation, au parcours artistique et aux aptitudes physiques et
dramatiques si différentes - pour ne pas dire opposées -
pouvait offrir. Et lorsqu'elle a lieu, cette confrontation ne prend pas
forcément la tournure attendue. Switch
a été conçu pour mettre en valeur Diana Vichneva,
sa technique, sa virtuosité. Mais même sa somptueuse robe
en lamé d'argent, dessinée tout spécialement par
Karl Lagerfeld, n'y peut rien. Face à l'immense Bernice
Coppieters, la Vichneva prend soudain des airs de fillette
intimidée. L’Etoile russe s’efface devant
l’écrasante personnalité de la danseuse belge,
vêtue d’ un sobre et discret fourreau noir. Bernice
Coppieters a, il est vrai, l’avantage du terrain, alors que la
Pétersbourgeoise est marquée du fer d’Agrippina
Vaganova. Egérie de Jean-Christophe Maillot depuis deux
décennies, elle manie à la perfection tous les codes de
son langage chorégraphique. Mais il y a quelque chose
d’indicible, d’inexplicable rationnellement à cette
domination que personne ne pouvait imaginer. Bernice Coppieters
dégage une force minérale qui écrase la
scène. Gaëtan Morloni (alias Jean-Christophe Maillot?), en
matou impavide, lui, compte les points.
Romain Feist © 2013, Dansomanie
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Diana Vichneva dans Woman in a room (chor. Carolyn Carlson)
Switch
Musique : Danny Elfman
Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot
Scénographie : Alain Lagarde
Costumes : Jean-Christophe Maillot, Jean-Michel Lainé, Karl Lagerfeld
Avec : Diana Vichneva, Bernice Coppieters, Gaëtan Morlotti
Woman in a room
Musique : Giovanni Sollima, René Aubry
Chorégraphie : Carolyn Carlson
Photos / Vidéos : Maxime Ruiz
Costumes : Chrystel Zingiro
Avec : Diana Vichneva
Musique enregistrée
Mercredi 18 décembre 2013 , Salle Garnier, Monaco
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