menu - sommaire



critiques et comptes rendus
Ballet du Capitole de Toulouse

24 octobre 2013 : La Bête et la Belle, de Kader Belarbi, au Théâtre du Capitole


la bête et la belle
Julie Loria (La Belle) et Takafumi Watanabe (La Bête)


L’art chorégraphique, art visuel par nature, ne se conçoit pas sans une scénographie hautement pensée. C’est encore plus vrai de nos jours où les chorégraphes ont pris l’habitude de faire évoluer les danseurs en réponse ou en écho à l’univers scénique qui les entoure, utilisant les décors, costumes et accessoires selon plusieurs degrés d’abstraction et de signification. Le rôle du scénographe devient de ce fait de plus en plus éminent et nécessite un travail en étroite collaboration. Cela, l’artiste Valérie Berman l’avait bien compris. Après des études musicales, puis dans les beaux-arts, elle avait choisi d’enrichir son parcours artistique à travers les arts de la scène, observant avec passion ce qui fait vivre un plateau de théâtre, faisant même quelques incursions vers le cinéma.

Après quinze ans d’un travail d’équipe récurrent avec Kader Belarbi, son cœur l’a brutalement lâchée au milieu de l’été, quelques semaines avant la reprise de son ballet La Bête et la Belle. Le spectacle lui est dédié. La Bête et la Belle fut créé en 2005 par les Grands Ballets Canadiens de Montréal. Kader Belarbi en a fait une nouvelle version en l’adaptant pour le Ballet du Capitole, tout en gardant l’intention chorégraphique. Il est probable que la conception d’ensemble n’a que peu changé.


la bête et la belle
Julie Loria (La Belle) et Jérémy Leydier (Le Marlou)

Comme on l’avait vu la saison précédente avec sa création Etranges voisins, Kader Belarbi est fasciné par les rapports secrets entre l’homme et l’animal, et l’exploration de la part d’animalité dans l’humain. Le conte de La Belle et la Bête, rendu célèbre par madame Leprince de Beaumont au 18ème siècle mais dont l’histoire remonte à l’Antiquité, est un terrain idéal pour illustrer ce thème. L’inversion du titre témoigne d’un certain décalage de sens par rapport au conte. En se plaçant alternativement du point de vue de la Belle et du point de vue de la Bête, le ballet enrichit le conte traditionnel d’une symbolique sur l’acceptation de la différence. Différence de genre, de nature, différence sociale, ou bien plus essentiellement rencontre avec l’autre que soi, les interprétations possibles restent ouvertes. Les deux dimensions, soit psychologique (le parcours initiatique de l’héroïne), soit sociale s’entremêlent de loin en loin dans le ballet.

Dans sa chambre d’enfant, la Belle tombe de son armoire à jouets remplie de peluches. Cette armoire, telle le miroir d’Alice servira à plusieurs reprises de point de passage entre deux mondes.
Dans le domaine imaginaire qu’elle découvre, elle rencontre des créatures fantasmagoriques, pastichant un bal masqué. Parmi elles, un cygne et un vautour, dont les rappels freudiens sont transparents, puis un marlou, inquiétant quadrupède, enfin un impudique et entreprenant «Toroador».


la bête et la belle
Kazbek Akhmedyarov (Le Toroador)

Parmi ces êtres qui font société, la Bête est le seigneur du lieu, sage au milieu des fous. La farandole des costumes, tous plus loufoques les uns que les autres, fait tout le sel de cette partie du ballet. Pour l’occasion, Kader Belarbi n’a pas hésité à faire mettre sur pointes ses danseurs. Et ils peuvent le faire! Le deuxième tableau nous ramène parmi les humains, et plus précisément dans l’univers d’une chasse à courre, teintée d’une brume matinale en un effet visuel très réussi (bravo aux éclairages de Marc Parent). Ces aristocrates hautains en grand équipage nous rappellent les protagonistes de La Règle du jeu de Jean Renoir, un maître s’il en fut dans l’analyse sociale. Ils ont tôt fait d’adopter la Belle comme une des leurs, mais la Bête est la victime désignée de leur chasse et c’est vers elle qu’ils vont lancer leur meute.

la bête et la belle
Julie Loria (La Belle) et Takafumi Watanabe (La Bête)

Pourtant, chiens et chasseurs finiront par se dépouiller significativement de leurs apparences, leur conformisme, pour s’incliner devant l’amour de la Belle et de la Bête.  Les danses des deux héros rythment la progression de leur relation, jusqu’à l’aveu d’amour final. Utilisant, et parfois à l’excès, le langage des mouvements au sol, ils se rejoindront dans la découverte de l’amour vrai. Leur dernier pas de deux est certainement la scène la plus émouvante du ballet. Takafumi Watanabe a été choisi pour incarner la Bête. Choix surprenant qui se révèle judicieux tant il porte son rôle avec fougue mais aussi subtilité d’un bout à l’autre. Ce danseur léger et audacieux aborde ainsi un premier rôle pour la première fois. Nul doute que son potentiel artistique, qui semble immense, trouvera encore à s’employer dans les prochains spectacles.

la bête et la belle
Takafumi Watanabe (La Bête)

Julie Loria en Belle possède l’agilité et la forte présence scénique nécessaires aux mouvements complexes de la chorégraphie. On aurait aimé ressentir davantage la maturation psychologique de son personnage. Parmi les autres rôles, il faut souligner l’art de la gestuelle harmonieuse de Valerio Mangianti, voluptueux Cygne, puis fier aristocrate. La musique est utilisée avec efficacité. Pour l’essentiel, ce sont des extraits de pièces de Ligeti, de valeur inégale, mais habilement combinées. On entend également au début et à la fin des extraits de Ma Mère l’Oye de Ravel, et quelques mesures de Daquin et de Haydn aux moments caractéristiques.




Jean-Marc Jacquin © 2013, Dansomanie

Le contenu des articles publiés sur www.dansomanie.net et www.forum-dansomanie.net est la propriété exclusive de Dansomanie et de ses rédacteurs respectifs.Toute reproduction intégrale ou partielle non autrorisée par Dansomanie ou ne relevant pas des exceptions prévues par la loi (droit de citation notamment dans le cadre de revues de presse, copie à usage privé), par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. 


la bête et la belle
Julie Loria (La Belle) et Takafumi Watanabe (La Bête)



La Bête et la Belle
Musique : Louis-Claude Daquin, Franz-Joseph Haydn, György Ligeti,
Maurice Ravel
Chorégraphie : Kader Belarbi
Décors et costumes : Valérie Berman
Lumières : Marc Parent

La Bête – Takafumi Watanabe
La Belle – Julie Loria
Le Toroador – Kazbek Akhmedyarov
Le Cygne – Valerio Mangianti
Le Vautour – Demian Vargas
Le Marlou – Jérémy Leydier

Ballet du  Capitole de Toulouse
Musique enregistrée

Jeudi 24 octobre 2013,  Théâtre du Capitole, Toulouse


http://www.forum-dansomanie.net
haut de page