|




|

 |
|
|
Wiener Staatsballett / Etés de la danse
09 juillet 2013 : Programme mixte au Théâtre du Châtelet (Paris)
Masayu Kimoto et Liudmila Konovala dans A Million kisses to my skin (chor. D. Dawson)
Manuel Legris a voulu placer cette tournée
parisienne sous le signe de Noureev. Entre un copieux gala dédié au
maître et une longue série de Don Quichotte,
il a ainsi casé un programme mixte, composé de quatre
courts ballets «néo-classiques» entrés
très récemment au répertoire de la compagnie
viennoise et destinés à montrer son éclectisme
stylistique. Mais plutôt que de nous resservir les grands noms
des années 80 - Forsythe, Kylian, Robbins, Tharp... - tous ceux
que Noureev avait en son temps fait venir à l'Opéra de
Paris et qui figurent du reste aussi au répertoire actuel du
Ballet de Vienne, il a choisi de mettre à l'affiche des
chorégraphes d'aujourd'hui, sinon jeunes, du moins en pleine
activité. Quelle que soit la qualité des pièces
présentées, elles forment une ensemble d’une grande
cohérence, à défaut d’être très
novateur (mais n’y a-t-il pas qu’à Paris que
ça a l’air d’être un problème?), et
qui, surtout, ne connaît aucune baisse de tension.
A Million Kisses to my Skin
est une pièce de David Dawson, sur un célèbre concerto de Bach, presque
un classique aujourd’hui. Créée en 2000 par le Het Nationale Ballet,
elle est à présent au répertoire de nombreuses compagnies de par le
monde. Dawson parle le Forsythe comme sa langue maternelle, mais sa
pièce me semble bien autre chose qu'un exercice de style. Il y a du « à
la manière de » dans son ballet, dans son langage et dans sa dynamique
de l'extrême, mais il n'en a pas moins une personnalité propre, au fond
presque anti-Forsythe dans ses effets. Aucune sécheresse, aucune âpreté,
aucune nervosité urbaine dans ce long marathon chorégraphique, mais une
pièce fluide, musicale, nimbée d’une atmosphère apaisée (voire
délibérément aseptisée), heureuse, presque extatique. Y contribuent la
musique - très balanchinienne - de Bach, loin du simple décor flatteur,
mais aussi la scénographie, particulièrement aboutie et mémorable : des
tuniques épurées bleu clair pour les filles, des collants de la même
couleur pour les garçons, un fond noir et, au sol, un immense carré
blanc, à l’éclat tamisé, sur lequel se projettent les ombres des
danseurs, lancés dans une démonstration ininterrompue de vitesse et de
virtuosité. Le lyrisme n’est pas pour autant absent lors de certains
duos. Il y a là un sens des contrastes et des rebondissements qui
empêche finalement le ballet de sombrer dans une espèce d'écriture
néo-classique automatique dont la répétitivité vous endort tout
doucement. Ce ballet est par ailleurs un écrin idéal pour mettre en
valeur les solistes de la compagnie et plus particulièrement les
danseuses. Avec leurs corps de liane, leurs lignes infinies, leur
souplesse fascinante, et en même temps leur explosivité, Olga Esina et
Nina Poláková y font merveille.
Roman Lazik et Nina Poláková dans Eventide (chor. H. Pickett)
Eventide
d’Helen Pickett combine le froid et le chaud : l'abstraction des ballets
néo-classiques à la Forsythe et un orientalisme, tout autant sonore que
visuel, qu’on croyait perdu (ou alors réservé aux clips de Natacha
Atlas). La musique, cosignée de Philip Glass et de Ravi Shankar (et de
quelques autres), joue de ce contraste. La scénographie, elle, mise sur
des détails pittoresques : un simili décor des Mille et une Nuits, avec
des lampes au plafond, des éclairages rouges, des tableaux qui
s’interrompent et ouvrent sur d’autres tableaux, comme une espèce de
caverne d’Ali-Baba inépuisable. Tout ces détails s’avèrent au final un
peu kitsch, un peu redondants. On regrette surtout les costumes, du vu
et revu qui doit sans doute se vouloir « tendance » : bustiers
androgynes gris perle pour ces messieurs, petites vestes stylisées de
taffetas dans le même ton, assorti de tulle rouge, pour ces dames.
Malgré un côté un peu fabriqué, un peu inabouti, la pièce est d’une
sensualité étonnante et sait vous surprendre au moment même où l’on
croit en être lassée. Ketevan Papava, qui conjugue puissance et
féminité, se distingue tout particulièrement parmi les solistes, mais ce
sont dans l’ensemble les garçons qui tirent le mieux leur épingle du
jeu, notamment Roman Lazik, qui fait preuve d’une belle énergie, et
András Lukács, tout à la fois nerveux, dynamique et incroyablement
précis.
Kirill Kourlaev dans Windspiele (chor. P. de Bana)
Windspiele
est sans doute la pièce du programme qui laisse le plus
sceptique. Dans les notes d’intention, il est question d’
«espace multiple», d’«espace conceptuel»,
d’«énergie positive du mouvement» et autre
fadaises du même genre, ce qui n’aide guère à
en comprendre davantage. Plus concrètement, quel est le lien
entre le concerto pour violon de Tchaïkovsky, qui se suffit
peut-être à lui-même, et la chorégraphie de
Patrick de Bana? Quel est le rapport entre le titre, Windspiele
– référence, si j’ai bien compris, au
carillon japonais – et les emballements musclés de Kirill
Kourlaev autour duquel le ballet est construit? Sans doute le large
pantalon rouge qu’il porte évoque-t-il
l’Extrême-Orient… Le ballet tranche par ailleurs
avec la tonalité très «collective» de la
soirée. Les garçons y sont résolument mis à
l’honneur, les deux filles, vêtues (à dessein ?) de
longs tutus romantiques (costumes signés Agnès Letestu,
sans grand intérêt) se contentent d’y faire plus ou
moins tapisserie. Malgré son enrobage pompeux et
pseudo-mystique, Windspiele
n’est en rien déplaisant. Avec ses réminiscences béjartiennes, il
semble surtout prétexte à exalter la danse masculine (excellent quintet
de demi-solistes, où brille notamment l’explosif Richard Szabó) et à
montrer tout le talent de Kirill Kourlaev, danseur ultra-charismatique
qui combine une puissance et une énergie impressionnantes et une
élégance de félin.
Vers un Pays Sage
de Jean-Christophe Maillot offre une magnifique conclusion au
programme, en écho avec l’esthétique des deux premières pièces. Le
travail pointilleux sur les lumières et les couleurs, la musique
répétitive et dynamique de John Adams, la chorégraphie labyrinthique,
tous ces éléments entrent en résonance et forment un tout immédiatement
original et harmonieux – et plein d’émotions différentes. Le ballet,
conçu au départ comme un hommage au père du chorégraphe, le peintre Jean
Maillot, peut se lire aussi comme une espèce de voyage initiatique au
pays des couleurs et des formes. Le ballet est enfin une nouvelle
occasion d’admirer les solistes viennois, Irina Tsymbal, Ketevan Papava
ou encore la sublime - mais ça va finir par faire redondant - Olga Esina
(lâchée par l’un de ses soutiens lors d’une traversée de la scène –
ouf… plus de peur que de mal…) et son excellent partenaire, Roman Lazik.
En bref, une soirée enthousiasmante avec des danseurs superbement
investis et où chacun trouve sa place. Le souvenir mitigé du gala
Noureev est effacé. A Don Quichotte!...
Bénédicte Jarrasse © 2013, Dansomanie
Le
contenu des articles publiés sur www.dansomanie.net et
www.forum-dansomanie.net est la propriété exclusive de
Dansomanie et de ses rédacteurs respectifs.Toute reproduction
intégrale ou partielle non autrorisée par Dansomanie
ou ne relevant pas des exceptions prévues par la loi (droit de
citation
notamment dans le cadre de revues de presse, copie à usage
privé), par
quelque procédé que ce soit, constituerait une
contrefaçon sanctionnée
par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la
propriété
intellectuelle.
Olga Esina et Roman Lazik dans Vers un pays sage (chor. J.-C. Maillot)
A Million kisses to my skin
Chorégraphie : David Dawson
Musique : Jean-Sébastien Bach
Décors : David Dawson
Costumes : Yumiko Takeshima
Lumières : Bert Dalhuysen
Avec : Olga Esina, Vladimir Shishov, Nina Poláková, Denys Cherevychko
Ioanna Avraam, Masayu Kimoto, Maria Yakovleva
Kiyoka Hashimoto, Alice Firenze
Eventide (nouvelle version)
Chorégraphie : Helen Pickett
Musiques : Philip Glass, Ravi Shankar, Jan Garbarek, Anouar Brahem, Shaukat Hussain
Costumes: Charles Heightchew
Scénographie : Benjamin Philips
Lumières : John Cuff, Mark Stanley
Avec : Emilia Baranowicz, Irina Tsymbal, Nina Poláková, Ketevan Papava
Eno Peci, András Lukács, Roman Lazik, Robert Gabdullin
Windspiele
Chorégraphie : Patrick de Bana
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski
Scénographie : Alain Lagarde
Costumes : Agnès Letestu
Lumières : James Angot
Avec : Kirill Kourlaev, Ioanna Avraam, Alice Firenze, Richard Szabó
Davide Dato, Marcin Dempc, Dumitru Taran, Alexandru Tcacenco
Vers un pays sage
Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot
Musique : John Adams
Scénographie et Lumières : Dominique Drillot
Peintures originales : Jean Maillot
Costumes : Jean-Christophe Maillot, Jean-Michel Lainé
Avec : Olga Esina – Roman Lazik
Irina Tsymbal – Denys Cherevychko
Ketevan Papava – Kamil Pavelka
Reina Sawai – Davide Dato
Clara Soley– András Lukács
Prisca Zeisel – Greig Matthews
Wiener Staatsballett
Musique enregistrée
Mardi 9 juillet 2013, Théâtre du Châtelet, Paris
|
|
|