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Wiener Staatsballett / Etés de la danse
05 juillet 2013 : Hommage à Rudolf Noureev au Théâtre du Châtelet (Paris)
Ioanna Avraam dans Laurencia (chor. V. Chaboukiani)
Le Ballet de l'Opéra de Vienne, invité cette
année des Etés de la danse, arrive à point nommé à Paris. Il y a bien
sûr l'anniversaire Noureev, et ses cascades d'hommages obligés, mais il y
a aussi des raisons plus franco-françaises. Manuel Legris a repris en
2010 la direction de la troupe viennoise et depuis, la presse
française, qui l'ignorait jusqu'alors superbement comme elle sait si
bien le faire, n'a cessé de nous en vanter les mérites - effet Opéra de
Paris oblige -, quitte à sombrer parfois dans un manichéisme outrancier
(le Ballet de Vienne sous Legris ou le passage de l'ombre à la
lumière!?...). Dans un contexte plutôt défavorable pour la danse -
Vienne demeure une capitale majeure pour l'opéra, pas pour le ballet -,
Manuel Legris aurait ainsi réussi à dépoussiérer et à infuser un sang
neuf à une compagnie certes bien implantée, mais réputée pour son
conservatisme - faute suprême pour notre bonne presse. Marie-Antoinette,
représenté en 2011 à l'Opéra royal de Versailles, avait certes donné à
voir aux Français une superbe compagnie, mais le ballet de Patrick de
Bana n'avait pas suffisamment d'épaisseur pour qu'on puisse en dire
plus. Une longue tournée de trois semaines à Paris est donc une bonne
occasion d'en découvrir davantage et de vérifier par soi-même tout le
bien qu'on dit d'elle.
La tournée s'ouvrait tout naturellement sur un
gala en hommage à Rudolf Noureev, dont Manuel Legris reste l'un des
derniers disciples officiels, l'un des derniers fils spirituels
revendiqués. Noureev, citoyen du monde, entretenait par ailleurs des
liens particuliers avec Vienne : il y a beaucoup dansé et il y a
notamment monté, en 1964, son fameux Lac des cygnes, filmé avec lui-même et Margot Fonteyn, ainsi que son premier Don Quichotte, en 1966. Plus anecdotique, Noureev avait acquis, à la fin de sa vie, la nationalité autrichienne.
Nina Poláková et Roman Lazik dans Before Nightfall (chor. N. Christe)
Après l’hommage paresseux de l'Opéra de Paris et le gala du Palais des Congrès,
réunissant toute la fine fleur de la danse mondiale, la programmation de
cette soirée séduit incontestablement par sa générosité et par sa
richesse. Près de trois heures de gala, des raretés, des pièces
inédites, de vrais ensembles, on sent qu’un effort a été fait pour
sortir des sentiers battus, échapper à la mécanique des pas des deux et
redonner du sens à l’exercice un peu compassé du gala. Les différents
visages de Noureev s’y font jour : le jeune danseur bondissant du Kirov,
avec le pas de six de Laurencia ou Le Corsaire, le directeur de l’Opéra de Paris, avec Before Nightfall ou Bach Suite III, ou encore le chorégraphe – la résurrection du pas de cinq du Lac
viennois, c’est bien vu. Au fil de la soirée, on découvre simultanément
la diversité stylistique des solistes de la compagnie viennoise. Manuel
Legris a du reste eu la bonne idée de présenter ses interprètes, filmés
en répétition dans les (magnifiques) studios de la Staatsoper, par le
biais de courtes vidéos diffusées en prélude à chaque pièce. On croise
là beaucoup de Russes - ou apparentés -, quelques Japonais montants, une
jeune garde autrichienne, mais c’est finalement davantage les multiples
talents individuels qui ressortent, avec leur profil bien marqué, qu’un
ensemble très unifié, doté d'une couleur spécifique. Qu’y a-t-il
d’ailleurs de commun entre le jeune plébéien fougueux Denys Cherevychko,
formé en partie à Munich, et la princesse de la Néva Olga Esina?
Kirill Kourlaev et Olga Esina dans La Chauve-souris (chor. R. Petit)
Ces constats faits, il faut bien avouer que le
gala laisse en lui-même un sentiment mitigé – au moins dans sa première
partie. Peut-être a-t-on trop vu les danseurs du Bolchoï? Le pas de six
de Laurencia, grand tube du
Noureev de Léningrad, ouvre le spectacle et pâtit effectivement de ce
genre de confrontation, faisant passer peu ou prou les danseurs viennois
pour d'aimables provinciaux. Une vraie bonne idée pourtant, d’autant
qu’on ne le voit jamais dansé en Occident. Denys Cherevychko et Kiyoka
Hashimoto ont sans doute toutes les qualités pyrotechniques qu’il faut
pour aborder ce style de bravoure bien oublié aujourd’hui, mais il
manque là quelque chose comme l’alchimie, la joie de danser ensemble, le
naturel, par delà les soucis, finalement mineurs, de synchronie entre
les danseurs. Before Nightfall
de Nils Christe, mené par le couple très habité Ketevan Papava / Eno
Peci, met davantage en valeur l’expressivité des danseurs, mais se
révèle malheureusement un interminable pensum. On pense au MacMillan de Gloria,
à ces pièces lyriques et sombres inscrites sur fond de tragédie ou de
catastrophe universelle, mais voilà, l’écriture chorégraphique n’est pas
exactement du même niveau ni ne porte la même intensité.
Liudmila Konovalova, Masayu Kimoto et Kiyoka Hashimoto dans
The Vertiginous Thrill of Exactitude (chor. W. Forsythe)
La Chauve-Souris
est surtout l’occasion d’admirer Olga Esina – et quelle apparition! Une
présence lumineuse, une beauté et des lignes à se damner, elle sublime
littéralement ce duo qui n’est franchement pas du meilleur goût – ni du
meilleur Petit. N’était-il pas un peu trop ambitieux de programmer pour
ce gala The Vertiginous Thrill of Exactitude?
Si les deux garçons, Davide Dato et Masayu Kimoto, sont absolument
brillants et nous donnent envie de les revoir très vite, les danseuses,
en revanche, notamment la jeune Prisca Zeisel et Irina Tsymbal,
paraissent cruellement dépassées par la rapidité et la technicité de la
chorégraphie. Le pas de deux de La Belle au bois dormant
conclut enfin la première partie sans plus nous emporter. Robert
Gabdullin – un vrai beau physique de Tatar! - porte un costume bien trop
lourd, qui l’engonce et semble le coller au sol. On sent pourtant chez
lui une personnalité intéressante, une élégance à part. Maria Yakovleva,
surtout soucieuse de sa technique et de son bas de jambe, déçoit au
fond davantage, avec une danse précise, mais manquant singulièrement de
moelleux et de charme classique.
Maria Yakovleva et Mikhaïl Sosnovschi dans Rubis (chor. G. Balanchine)
Heureux changement de tonalité pour la deuxième
partie du gala, mieux composée peut-être, qui s’avère beaucoup plus
satisfaisante du côté de la danse. Le pas de deux de Rubis
n’est peut-être pas interprété avec un grand relief, mais au moins Nina
Poláková, grande liane brune et sensuelle, se laisse-t-elle aller à
danser vraiment avec son
partenaire. Tout d’un coup, grâce à elle, le gala, tendu jusqu’à la
corde, a l’air de se décoincer. Belle réussite également pour ce pas de
cinq oublié, tiré du Lac des cygnes
viennois de 1964, en dépit de costumes jaune canari très kitsch. La
chorégraphie, sur un patchwork de musiques tirées de l’acte III (dont
celles utilisées par Balanchine pour le Tchaïkovsky pas de deux),
n’est certes pas impérissable – les réfractaires au style Noureev y
trouveront sans aucun doute du grain à moudre -, mais les danseurs y
semblent enfin à l’unisson – parfaitement à leur aise dans le style du
chorégraphe. Le Prince – Vladimir Shishov, un peu à l’économie sur ce
coup-là – y danse entouré de deux couples de solistes qui m’ont paru
excellents chacun et agréablement contrastés, notamment grâce aux
filles, Ioanna Avraam, pleine de piquant, et Natasha Mair, pleine de
fraîcheur.
Dagmar Kronberger et Eno Peci dans Black cake (chor. H. van Manen)
Humour et musicalité jazzy sont au rendez-vous du duo Black Cake
interprété avec beaucoup de «chien» par Irina Tsymbal et Eno Peci. On
ne pourra que déplorer ici le mauvais goût récurrent de Hans Van Manen
en matière de costumes masculins... Le Corsaire
de Yakovleva et Cherevychko a le grand mérite de réveiller, en fin de
parcours, une assistance plutôt assoupie jusque-là. Cherevychko,
notamment, possède tout ce qu’il faut pour embraser une assistance, des
pirouettes en cascade aux multi-révoltades en passant par les figures
qui n’ont de nom dans aucune langue – et tout cela, disons-le, exécuté
avec une grande propreté et une musicalité impeccable. Peut-on émettre
néanmoins quelques réserves? Cet attirail circassien en soi ne me fait
pas peur, j’adore Ivan Vassiliev et tous les Cubains, je dédaigne le
dédain de la virtuosité, mais je trouve quand même qu’il travaille trop
en force, que l’intention démonstrative est chez lui par trop visible et
le regard - et le port de tête - par trop frondeur – bref, je n’ai pas
eu un instant les poils qui se sont dressés. Aussi ai-je trouvé bien
plus judicieux de terminer le gala, plutôt que sur ce Corsaire tonitruant, sur Bach Suite III,
une pièce pour dix danseurs signée Neumeier. Apaisée et solaire,
lyrique et virtuose, elle déploie des ensembles très harmonieux tout en
mettant en valeur le couple formé de Kirill Kourlaev et Olga Esina -
lui, superbe de puissance et de félinité conjugués, elle, sans conteste
la reine de la soirée.
Bénédicte Jarrasse © 2013, Dansomanie
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Mikhaïl Sosnovschi dans Bach Suite III (chor. J. Neumeier)
Laurencia - Pas de six
Chorégraphie : Vakhtang Chaboukiani
Musique : Alexander Krein
Avec : Kiyoka Hashimoto, Denys Cherevychko
Emilia Baranowicz, Camille de Bellefon, Marcin Dempc, Richard Szabó
Before Nightfall
Chorégraphie : Nils Christe
Musique : Bohuslav Martinů
Avec : Ketevan Papava – Eno Peci
Nina Poláková – Roman Lazik
Alice Firenze – Mihail Sosnovschi
Gala Jovanovic – Attila Bakó, Erika Kovácová – Kamil Pavelka,
Reina Sawai – Greig Matthews
La Chauve-souris - Pas de deux
Chorégraphie : Roland Petit
Musique : Johann Strauss fils, arrangement Douglas Gamley
Avec : Ketevan Papava – Eno Peci
Olga Esina, Vladimir Shishov
The Vertiginous Thrill of Exactitude
Chorégraphie : William Forsythe
Musique : Franz Schubert
Avec : Prisca Zeisel, Kiyoka Hashimoto, Irina Tsymbal
Davide Dato, Masayu Kimoto
La Belle au bois dormant - Pas de deux de l’acte III
Chorégraphie : Rudolf Noureev
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski
Avec : Maria Yakovleva, Robert Gabdullin
Rubis (Joyaux) - Pas de deux
Chorégraphie : George Balanchine
Musique : Igor Stravinsky
Avec : Nina Poláková, Mihail Sosnovschi
Le Lac des cygnes - Pas de cinq de l’acte I
Chorégraphie : Rudolf Noureev
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski
Avec : Vladimir Shishov, Ioanna Avraam
Natascha Mair, Alexandru Tcacenco, Dumitru Taran
Black cake - Pas de deux
Chorégraphie : Hans van Manen
Musique : Igor Stravinsky
Avec : Irina Tsymbal, Eno Peci
Le Corsaire - Pas de deux
Chorégraphie : Alexander Tchekryguine, Vakhtang Tchaboukiani
Musique : Riccardo Drigo
Avec : Maria Yakovleva, Denys Cherevychko
Bach Suite III
Chorégraphie : John Neumeier
Musique : Jean-Sébastien Bach
Avec : Olga Esina – Kirill Kourlaev
Emilia Baranowicz – Masayu Kimoto
Alice Firenze – Dumitru Taran
Reina Sawai – Davide Dato
Prisca Zeisel – Alexandru Tcacenco
Wiener Staatsballett
Musique enregistrée
Vendredi 5 juillet 2013, Théâtre du Châtelet, Paris
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