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Saisons russes du XXIème siècle - Théâtre musical Natalya Sats, Moscou
09 juillet 2013 : Le Coq d'Or (Abaidulov - Fokine) au Théâtre des Champs-Élysées
Oleg Fomine (Le Tsar) et Dmitry Krouglov (Le Général Polkan)
D’année en année, Andris Liepa poursuit, avec des
fortunes diverses, son projet des «Saisons russes du XXIème siècle»,
visant à faire connaître des aspects moins connus – ou aujourd’hui
oubliés – de l’art de la danse dans son pays natal.
Pour l’édition 2013, c’est Le Coq d’or,
dernier opéra de Rimski-Korsakov, qui a été retenu. Choix a priori
paradoxal, mais pertinent. En effet, les spectateurs du Théâtre des
Champs-Elysées auront été appelés à découvrir non l’ouvrage purement
lyrique créé à Moscou en 1909, mais le «ballet chanté» montée au Palais
Garnier en mai 1914 par Fokine à l’initiative de Serge Diaghilev. On
peut d’ailleurs s’étonner que l’Opéra de Paris ne se soit pas lui-même
intéressé à une telle reconstitution (les esquisses des costumes et
décors dus à Natalia Gontcharova et Alexandre Benois existent toujours),
dans le cadre des célébrations du centenaire des Ballets russes.
L’ouvrage hybride donné en 1914 par la troupe de Diaghilev fut repris en
1927 par le Ballet de l’Opéra de Paris lui-même ; en 1981, Nicholas
Beriozoff le remonta une ultime fois pour l’opéra de Zurich, avec une
scénographie signée d’André Delfau. La version de 1914 ouvrait la voie à
un nouveau genre musical et chorégraphique. Les chanteurs, installés
sur le proscénium, commentent l’action mimée et dansée par le corps de
ballet. Stravinsky – on sous-estime, en Occident, beaucoup trop
l’influence considérable que Rimski-Korsakov, son maître, a eue sur lui –
ne tardera pas à reprendre l’idée à son compte pour Le Rossignol, Renard ou encore L’Histoire du soldat.
La chorégraphie de Fokine et spectaculaire, et requiert de la part des
interprètes beaucoup de virtuosité et de ballon, même si le style relève
davantage des danses de caractère que du ballet académique. Preuve s’il
en était besoin de la difficulté technique de l’ouvrage, la
distribution de grand luxe réunie pour la Première : Alexis Boulgakov
(le Tsar), Tamara Karsavina (la Tsarine) et Enrico Cecchetti
(l’Astrologue).
Si la reconstruction du Coq d’Or
entreprise par Maris Liepa et le chorégraphe Gali Abadjulov se veut
assez respectueuse du travail de Fokine, quelques libertés ont tout de
même été prises avec l’œuvre originelle. Ainsi – on peut le regretter –
les chanteurs étaient en costume «civil» (robe de soirée, frac), alors
qu’en 1914, même s’ils ne participaient pas directement à l’action
scénique, ils étaient habillés à l’identique de leur double dansant, ce
qui facilitait grandement la compréhension de l’histoire pour le public.
Par ailleurs, l’alter-ego lyrique de l‘Astrologue, machiavélique homme
de l’ombre – en fait, le personnage principal, sur le plan dramatique –
est représenté sous les traits de Diaghilev (moustache et gibus
indispensables!), Deus ex-machina des Ballets russes. L’idée est
intéressante, mais ajoute encore à la confusion, surtout pour un public
non russophone.
L’argument du Coq d’or
est fort heureusement relativement simple ; il trouve, curieusement,
son origine non pas dans le folklore russe, mais dans une fable
mauresque tirée des Contes de l’Alhambra,
publiés par Washington Irving, diplomate et écrivain américain, en
1832, alors qu’il était en poste à l’ambassade des Etats-Unis à Madrid.
Le texte d’Irving fut «russifié» et publié sous forme d’un récit en vers
intitulé Сказка о золотом петушке (La Légende du Coq d’or) par l’inévitable Pouchkine en 1835. Sous la plume de Pouchkine, Le Coq d’or
prend une tonalité politique : un astrologue fourbe offre à un Tsar
crédule et imbu de lui-même un coq doué de pouvoirs magiques, et censé
l’avertir de tous les dangers qui menacerait son royaume. Le dessein
caché de l’astrologue est évidemment de s’accaparer le pouvoir.
Lorsqu’en 1907, Rimski-Korsakov choisit Le Coq d’or
pour livret de son nouvel opéra, on peut penser qu’il cherche à
établir un parallèle avec la situation politique de son temps, et
notamment l’influence grandissante – et néfaste – de Raspoutine à la
cour impériale de Russie. Les motivations de Rimski-Korsakov sont
d’autant plus claires que le compositeur, ancien officier de marine,
était en conflit ouvert avec la famille impériale, en raison de son
soutien à la révolution avortée de 1905, épisode historique
qu’Eisenstein immortalisera au cinéma avec Le Cuirassé Potemkine.
Ekaterina Blachik (Gvidon), Oleg Fomine (Le Tsar), Ekaterina Zaïtseva (Aphron)
et Dmitry Krouglov (Polkan)
Les organisateurs des Saisons russes du XXIème siècle ont
malheureusement pris l’habitude de modifier intempestivement les
distributions annoncées, et Le Coq d’or
n’a pas échappé à ce qui est devenu une règle. Pis, le public n’a même
pas été informé des changements intervenus, et le remplacement d’Ilze
Liepa par Anna Markova a été passé sous silence. Mlle Markova, qui est
soliste dans la troupe du Théâtre Musical Natalya Sats de Moscou n’a
certes pas la notoriété internationale d’Ilze Liepa, mais c’est une
artiste de valeur – le public lui a d’ailleurs réservé une ovation
largement méritée – qui a montré de remarquables aptitudes à la
saltation. On peut regretter aussi qu’Andris Liepa et son équipe n’aient
pas fait œuvre de pédagogie au sujet du Théâtre Musical Natalya Stats,
méconnu en Occident, mais qui, à Moscou, est une institution de grand
renom. On nous permettra donc de suppléer aux lacunes de la plaquette de
présentation, par ailleurs luxueuse et joliment illustré.
L’établissement tire son nom de la scénographe Natalya Sats (ou Saz),
qui en fut la directrice emblématique. Sats se fit connaître dans les
années 1920 à Berlin, où elle réalisa quelques mises en scènes à la
Krolloper, théâtre d’avant-garde dont le directeur musical était Otto
Klemperer ; la programmation de la Krolloper, volontairement
provocatrice, se voulait une «riposte» aux saisons de la Staatsoper,
l’Opéra National, alors sous la houlette de Wilhelm Furtwängler, et
considéré comme un repère de «bourgeois réactionnaires». Le Théâtre
Natalya Sats fut lui ouvert en 1921, à l’initiative de l’épouse de
Lénine, sous le nom de «Théâtre pour enfants de Moscou». Son heure de
gloire sonna en 1936, lorsqu’on y créa Pierre et le loup,
de Prokofiev, ouvrage qui allait connaître une célébrité mondiale.
Natalya Sats, placée à la tête de l’établissement alors qu’elle n’était
âgée que de quinze ans (!), tomba en disgrâce l’année suivante ; Staline
l’expédia au Goulag et fit fusiller son amant, le maréchal
Toukhatchevski. Ce n’est qu’en 1965 qu’elle put rouvrir le théâtre qui
porte aujourd’hui son nom. Les productions qui y sont présentées ont
toujours une vocation pédagogique, et visent en premier lieu le jeune
public. Le Théâtre Natalya Sats remplit également un rôle de tremplin
pour des artistes – musiciens et danseurs - en début de carrière, et qui
iront ensuite se produire au Stanislawski ou au Bolchoï. C’est ainsi
tout un pan de la culture russe du XXème siècle que les spectateurs du
Théâtre des Champs Elysées étaient appelés à découvrir – probablement
sans le savoir, pour bon nombre d’entre eux – à l’occasion de ces
représentations du Coq d’or.
Pavel Okunev, qui incarnait l’animal maléfique, a
lui aussi eu les faveurs d’un public sensible à son énergie et à son
ballon impressionnant. La réputation de cet artiste formé à Novossibirsk
a d’ailleurs déjà franchi les frontières de la Russie. Le troisième
soliste principal, Oleg Fomine, personnifiait le Tsar Dodon ; il s’agit
ici davantage d’un rôle de caractère, qui exige de solides qualités
d’acteur. M. Fomine a bien souligné les traits grotesques du potentat,
également dépeints par la partition volontairement ampoulée et
dissonante de Rimsky-Korsakov.
Le plateau vocal était, lui, dominé par Olesya
Titenko (La reine de Chemakha), soprano colorature aux moyens imposants,
très agile et douée d’aigus claironnants à la justesse parfaite. Le Coq
d’or de Zarina Samadova (soprano) a aussi été accueilli favorablement,
tout comme la Gouvernante de Nathalie Eliséeva, contralto aux graves
puissants et bien timbrés. Du côté masculin, c’est Alexandre Tsilinko,
belle basse dans la tradition russe, qui a été le plus applaudi ;
l’astrologue / Diaghilev de Rouslan Yudine mérite également une
mention, tout comme Denis Boldov (le tsarévitch Afron).
L’orchestre, placé sous la direction d’Alevtina
Ioffé, était correct. Si les cordes manquaient parfois un peu
d’homogénéité, on aura en revanche pu apprécier les sonorités limpides
d’une très belle section de bois. Ce Coq d’or
s’affirme ainsi comme une production de qualité, qui aura
permis aux mélomanes et aux balletomanes de découvrir une
version peu connue – et pourtant créée à
Paris - de l’œuvre de Rimski-Korsakov. Sa
«résurrection» est la bienvenue, dans le contexte
des diverses manifestations dédiées aux Ballets russes et
l’on regrettera seulement l'absence d'une feuille de distribution
à jour, qui eût été un témoignage de
respect pour le public et les artistes.
Romain Feist © 2013, Dansomanie
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Pavel Okounev (Le Coq d'or)
Le Coq d'or
Musique : Nicolaï Rimski-Korsakov
Chorégraphie : Gali Abaidulov d'après Michel Fokine
Décors et costumes : Vyacheslav Okunev, d’après Natalia Gontcharova
Le Tsar Dodon – Oleg Fomine (danse) / Alexandre Tsilinko (basse)
Le Tsarévitch Gvidon – Ekaterina Blachik (danse) / Sergueï Petristchev (ténor)
Le Tsarévitch Aphron – Ekaterina Zaïtseva (danse) / Denis Boldov (baryton)
L'Alstrologue – Maxime Podchivalenko (danse) / Rouslan Yudine (ténor / falsettiste)
La Reine de Chemalka – Anna Markova (danse) / Olesya Titenko (soprano colorature)
La Gouvernante Amelfa – Elena Mouzyka (danse) / Natalia Eliséeva (contralto)
Le Coq d'or – Pavel Okounev (danse) / Zarina Samadova (soprano)
Ballet du Théâtre musical Natalya Sats
Orchestre et chœur du Théâtre musical Natalya Sats, dir. Alevtina Ioffe
Mardi 09 juillet 2013, Théâtre des Champs-Élysées, Paris
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