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Bayerisches Staatsballett (Munich)
02 juillet 2013 : "Forever Young" (Maliphant / Limón / Massine)
Choreartium (chor. Léonide Massine)
Il
y a les compagnies qui se contentent de faire tourner un
répertoire immuable, souvent hérité d’un
chorégraphe-star forcément trop tôt disparu, mais
qui a le mérite de continuer post mortem à remplir les
caisses de sa maison et d’éviter à ses successeurs
toutes les remises en cause douloureuses. Et il y a le Ballet national
de Bavière, qui s’est engagé sous la direction
d’Ivan Liška dans une démarche originale et
très productive d’exploration de l’histoire du
répertoire chorégraphique qui n’a pas sa pareille
dans le monde toujours plus standardisé des grandes compagnies.
L’une des saisons récentes était placée sous
le patronage des Ballets Russes, une autre mettait les rives de
l’Isar à l’heure anglaise : le spectacle de ce soir
a quelque chose d’une fusion de ces deux thèmes.
Matej Urban et Stephanie Hancox dans Broken Fall (chor. Russell Maliphant)
Russell
Maliphant, on le sait, est un des principaux représentants de ce
qui pourrait être une sorte d’école britannique,
entre Wayne McGregor et Hofesh Shechter, qui ont un commun un certain
sens de l’efficacité visuelle et un usage du corps qui
récupère sans autre forme de procès
l’héritage de Forsythe en lui imprimant une vitesse
obligatoire. Créé pour Sylvie Guillem, Broken Fall
souffre d’abord d’une musique impossible, condensé
de tous les tics obligatoires des musiciens de variété
ambitionnant d’«écrire classique» ; la
chorégraphie se perd moins totalement dans les
références, et on ne peut lui dénier
l’efficacité de sa virtuosité et de ses
lumières très travaillées, mais on ne peut
s’empêcher de placer un épithète à
côté de cette efficacité : maniérisme. Si
Ekaterina Petina n’est pas Sylvie Guillem, cette ancienne soliste
du Mariinsky est suffisamment préparée et virtuose pour
se jouer des difficultés de la pièce où il serait
bien difficile de faire émerger une véritable
personnalité, et ses deux partenaires font également
mieux que lui assurer la sécurité nécessaire
à tant d’équilibres périlleux.
Cyril Pierre, Tigran Mikayelyan, Gözde Özgür et Séverine Ferrolier dans
La Pavane du Maure (chor. José Limón)
Remontant dans le temps, le programme propose ensuite un classique de la danse américaine : créé en 1949, La Pavane du Maure
est un jalon important pour la reconquête de la narration qui va
être la grande affaire des chorégraphes
néo-classiques européens pendant les décennies
suivantes. Certes, contrairement à Cranko ou MacMillan,
Limón entreprend de rendre compte de l’histoire
d’Othello en une vingtaine de minutes seulement ; mais sa
manière de lier la danse et l’action, de raconter les
événements intérieurs aux personnages plutôt
que l’anecdote dramatique qui est au premier plan du texte dont
il s’inspire, délivre la danse de l’imitation et
ouvre ainsi la voie de ces nouveaux modes de narration. La
pièce, disons-le pourtant, n’a pas forcément
très bien vieilli ; on peine en particulier à trouver un
intérêt au portrait très convenu de
Desdémone réduite à une grâce un peu fade,
tandis que les deux personnages masculin ont une expressivité
virile sans doute également convenue, mais efficace et
intelligemment dessinée. Il n’est pas surprenant dans ces
conditions que, plutôt que les dames, ce soient Cyril Pierre et
Tigran Mikayelyan qui tirent le mieux leur épingle du jeu,
l’un minéral et indéchiffrable, l’autre
félin et inquiétant.
Choreartium (chor. Léonide Massine)
Mais la grande curiosité de la soirée était
certainement la dernière étape, datée 1933 : Choreartium
n’est pas seulement une œuvre pour ainsi dire inconnue de
l’un des principaux artisans des Ballets Russes de Diaghilev,
c’est aussi l’une des toutes premières fois
qu’un chorégraphe ose s’emparer d’un
chef-d’œuvre du répertoire symphonique pour en faire
un ballet – les débats acharnés qui entourent cette
création font sourire aujourd’hui, mais ils ne sont pas
sans intérêt pour l’affirmation du rôle du
chorégraphe comme artiste à part entière. Reste
que Massine peine à faire plus ici qu’un exercice
d’illustration qui ne sert pas vraiment la musique de Brahms :
l’idée de confier les passages doux aux femmes
(associées aux bois) et les passages puissants aux hommes
(associés aux cuivres) fait elle aussi sourire, mais le plus
gênant est l’absence de parti-pris dans
l’appréhension de la musique : la fluidité
revendiquée par l’auteur de la reconstruction, Lorca
Massine, qui avait dansé le ballet sous la direction de son
père, n’est pas suffisante pour faire oublier
l’absence de parcours personnel dans une œuvre musicale qui
ne peut pas se contenter d’une lecture linéaire – et
ce d’autant plus que, contrairement à son habitude le
corps de ballet manque parfois de coordination. Même les
excellents solistes du Ballet de Bavière manquent ici de
présence, parce que leurs rôles ne sont soutenus ni par
une narration, ni par une consistance chorégraphique, ni par une
signification musicale.
Lukáš Slavický, Ilana Werner et Javier Amo dans Choreartium (chor. Léonide Massine)
En
somme, ces trois ballets racontent de façon éloquente une
partie de l’histoire du ballet de 1933 à 2003, mais
c’est une histoire désormais totalement révolue,
qu’il peut être intéressant de visiter, mais qui a
étonnamment peu à dire.
Dominique Adrian © 2013, Dansomanie
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Séverine Ferrolier et Cyril Pierre dans La Pavane du Maure (chor. José Limón)
Broken Fall
Musique : Barry Adamson
Chorégraphie : Russell Maliphant
Costumes : Joe Eula
Lumières : Michael Hulls
Avec : Ekaterina Petina, Matej Urban, Erik Murzagaliyev
La Pavane du Maure
Musique : Henry Purcell, arrangement Simon Sadoff
Chorégraphie : José Limón
Costumes : Pauline Lawrence
Le Maure – Cyril Pierre
La Femme du Maure – Séverine Ferrolier
L’Ami – Tigran Mikayelyan
La Femme de l’ami – Gözde Özgür
Choreartium
Musique : Johannes Brahms, Symphonie n°4 en mi mineur
Chorégraphie : Léonide Massine, remontée par Lorca Massine et Anna Krzyskow
Scénographie : Keso Dekker
Avec : Ivy Amista, Luiza Bernardes Bertho, Lisa-Maree Cullum, Luisa Díaz González
Lucia Lacarra, Katherina Markowskaja ; Javier Amo, Maxim Chashchegorov
Wlademir Faccioni, Tigran Mikayelyan, Ilia Sarkisov, Lukáš Slavický
Bayerisches Staatsballett
Bayerisches Staatsorchester, dir. Robertas Šervenikas
Mardi 2 juillet 2013, Nationaltheater, Munich
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