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Malandain Ballet Biarritz
09 juin 2013 : Cendrillon (Thierry Malandain) à l'Opéra royal de Versailles
Cendrillon, chor. Thierry Malandain
«A
travers l’histoire de Cendrillon, à travers ses
souffrances, ses émotions, ses espoirs, s’écrit
quelque chose d’universel. Un cri à la
lumière, un appel à la clarté sereine des
étoiles, en contrepoint d’un chaos intérieur
où se multiplient les doutes, les révoltes, les chagrins
rêvés». Ainsi Thierry Malandain délimite-t-il
la portée du conte des frères Grimm dans ses notes
d’intention.
Mais chez le chorégraphe biarrot, de l’universel
au particulier, il n’y a souvent qu’un pas, et ses ballets
sont souvent aussi l’expression de doutes, de conflits
intérieurs, de joies aussi, on l’espère. Thierry
Malandain met discrètement le spectateur sur la voie, et cite
Nietzsche : «Créer, voilà la grande
délivrance de la souffrance, voilà ce qui rend la vie
légère». Malraux, qui connaissait son Zarathoustra,
ne disait pas autre chose : «L’art est un
anti-destin». Ou, chez Malandain du moins, une tentative de le
conjurer. Le religieux n’est jamais abordé explicitement,
mais chaque ouvrage est traversé d’une sorte de mysticisme
christique, prenant la forme d’une quête expiatoire,
cathartique, pour s’en tenir à un lexique laïc.
Cendrillon, chor. Thierry Malandain
Si l’argument de cette nouvelle Cendrillon,
est, dans les grandes lignes, conforme à la tradition
héritée des Grimm, l’esprit du conte
féérique n’en est pas moins tourneboulé. Le
personnage de la Souillon est magnifié par
l’interprétation de Miyuki Kanei, petite fleur japonaise
que Thierry Malandain est allé cueillir au Conservatoire de
Lyon il y a sept ans, et qui a su trouver à Biarritz le
terreau propice à son éclosion. Mais, en dépit des
apparences, le personnage central du ballet est ici le Prince : il se
jette dans une quête aux relents kafkaïens, qui le
ramène obstinément à la Marâtre, figure
ambiguë, qui comme les deux «méchantes
sœurs», est ici interprétée par un homme. Ce
rôle, prépondérant lui aussi, a été
confié à Giuseppe Chiavaro. Drôle, émouvant,
il saisit l’exacte limite à ne pas franchir, car, en
dépit des apparences – et d’un public qui rit
parfois de bon cœur – il ne s’agit pas d’un
personnage caricatural. Le registre serait plutôt celui du
grotesque qui tourne au tragique. Il/elle et ses rejetons incarnent
la réalité crue – avec ce qu’elle peut
comporter de profane, voire de laid – des relations amoureuses
humaines, alors que Cendrillon personnifie un idéal de
pureté, après lequel le Prince s’obstine à
courir, sans espoir de l’atteindre. A chaque fois, il est
rappelé à son destin d’humain, englué dans
ses
faiblesses, par l’omniprésent(e) belle-mère. Et
ironiquement, lorsque enfin il retrouve Cendrillon, femme
rêvée, idéal d’amour pur, la
marâtre et sa progéniture – cette fois travestis en
femmes – réinvestissent la scène, triomphantes.
Tout n’était donc qu’une sinistre illusion? On
retrouve ici les obsessions qui tiraillent Thierry Malandain,
déjà exposées dans des ouvrages tels Le Portrait de l’Infante
: la faiblesse de la chair, les passions destructrices, qui obstruent
la voie vers cet absolu amoureux et artistique incarné par LA
femme à jamais inaccessible : l’Infante d’Espagne
à la tendre candeur magnifiée par le pinceau de
Velázquez, la Cendrillon au cœur innocent née de la
plume de Jacob et Wilhelm Grimm.
Cendrillon, chor. Thierry Malandain
Cendrillon,
c’est aussi la métaphore – ou la parabole - du
chausson. On sait que Thierry Malandain, pourtant passionné de
ballet romantique, ne met jamais ses interprètes
féminines sur pointes. Au delà de l’argument
économique – la fourniture de cet accessoire ô
combien emblématique de la ballerine étant
d’un coût non négligeable pour une compagnie de
dimensions moyennes - , on peut se demander si le chausson n’est
pas pour lui une sorte de parangon artistique, qu’il
s’interdit d’approcher tant que les conflits
intérieurs auxquels son activité créatrice sert
d’exutoire n’auront pas été apaisés.
Ou, plus prosaïquement, l’angoisse de briser le rêve,
en lui donnant corps. La nuit d’après le bal, pour
Cendrillon.
Sur le plan visuel, la dernière création de Thierry Malandain est une incontestable réussite. Comme dans Choré,
de Jean-Christophe Maillot, on y retrouve des effets – les
corolles de femmes qui s’ouvrent et se referment dans un
mouvement impeccable – empruntés au cinéma et aux
shows nautiques américains des années 1930.
L’ouvrage fourmille de clins d’œil aux
«anciens», Nouréev, Balanchine ou Petipa,
mais aussi de trouvailles astucieuses, comme les mannequins
montés sur roulettes qui permettent de doubler d’un coup
l’effectif de la scène de bal et d’occuper tout
l’espace disponible. Au-delà de l’artifice
scénographique, ces mannequins sont autant de Cendrillon
désincarnées, de coquilles vides que les cavaliers /
cavalières, clones du Prince, ont l’illusion de tenir
entre leur mains.
Cendrillon, chor. Thierry Malandain
Sur le plan musical, la Cendrillon
de Thierry Malandain est une expérience déroutante.
L’exiguïté de la fosse d’orchestre de l'Opéra Royal de Versailles (mais
qu’en est-il lorsque l’ouvrage est représenté
en d’autres lieux?) a imposé des modifications radicales
de l’instrumentarium, avec notamment des coupes drastiques
– mais habilement réalisées – en ce qui
concerne les cuivres. Le nombre également relativement restreint
des cordes offre à l’auditeur un
véritable festival de bois, les flûtes, hautbois,
clarinettes et bassons se trouvant mis bien plus en lumière que
d’ordinaire. L’équilibre de la partition s’en
trouve bouleversé, et on a l’impression de
découvrir une nouvelle musique. Ceci étant dit,
l’Orchestre Symphonique du Pays Basque de San Sebastian est excellent, et l'on aimerait voir plus souvent des formations
de cette qualité accompagner la musique de ballet. Le chef,
Josep Caballé-Domenech, adopte des tempi très
rapides, privilégiant l’élégance et la
fluidité au détriment des grands effets de masse, dans un
esprit qui rappelle celui de la Symphonie classique du même
Prokofiev : Haydn ou Mozart, mis au goût du vingtième
siècle.
Romain Feist © 2013, Dansomanie
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intellectuelle.
Cendrillon
Musique : Serge Prokofiev
Chorégraphie : Thierry Malandain
Décors et costumes : Jorge Gallardo, Véronique Murat
Lumières : Jean-Claude Asquié
Cendrillon – Miyuki Kaneï
Le Prince – Daniel Vizcayo
La Fée – Claire Lonchampt
La Belle-mère – Giuseppe Chiavaro
Javotte et Anastasie (les deux soeurs) – Frederik Deberdt, Jacob Hernandez Martin
Le Père – Raphaël Canet
Le Maître de danse / Le Surintendant des plaisirs – Arnaud Mahouy
Les Couturières – Aureline Guillot, Irma Hoffrend, Mathilde Labé
Malandain Ballet Biarritz
Orchestre symphonique du Pays-Basque - San Sebastian, dir. Josep Caballé Domenech
Dimanche 09 juin 2013, Opéra royal, Versailles
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