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Ballet du Capitole de Toulouse
16 mai 2013 : Le Corsaire (Kader Belarbi) au Théâtre du Capitole
Maria Gutierrez (La Belle Esclave) et Davit Galstyan (Le Corsaire)
Il fallait une bonne mesure d’audace pour oser remonter Le Corsaire
dans une compagnie aux dimensions relativement modestes comme celles du
Théâtre du Capitole. Ce ballet, inspiré librement
du poème de Lord Byron, a laissé une trace dans
l’histoire de la danse comme l'exemple-type du ballet à
grand spectacle, avec son marché aux esclaves, ses combats de
pirates, enlèvements, tempêtes, naufrages…, tout
cela en pleine effusion de la veine orientaliste des arts du XIXe
siècle. Il est encore présent de nos jours grâce
à quelques reconstitutions de la version de Petipa. On
connaît surtout le pas de deux final, formidable tour de force
pour soirée de gala, mais peu d’entre nous sont capables
de le rattacher au contexte narratif d’une œuvre en
plusieurs actes. Kader Belarbi et le Théâtre du Capitole
ont réussi la gageure de recréer un ballet narratif qui
n’est ni une reconstitution d’une œuvre ancienne, ni
une relecture moderniste adaptée à des
préoccupations d’aujourd’hui. L’ambition de
Kader Belarbi était de créer, selon ses propres mots,
«un grand ballet académique, épique, aux parfums
orientalistes sans tomber dans les clichés». Il ajoutait :
«Je crois à la tradition renouvelée en
évitant l’ambition d’être original pour
s’efforcer d’être simple et authentique».
L‘aboutissement de cette recherche est une œuvre nouvelle
et fraîche, semblant couler naturellement, faisant appel à
nos plus profonds souvenirs littéraires ou
cinématographiques concernant l’Orient tel qu’il
nous a souvent été raconté.
Certes, l’ombre de Lord Byron est encore là, mais
très estompée. Conrad, Medora, Gulnare transparaissent en
filigrane à travers le Corsaire, la Belle Esclave, la Favorite.
On peut les oublier sans dommage. En revanche, tout au long des deux
actes et des six tableaux, on voit se succéder odalisques,
janissaires, péris, almées, derviches, pirates, tout un
monde dont les noms mêmes sont une invitation au rêve.
Maria Gutierrez (La Belle Esclave)
Dans un Empire ottoman encore au faîte de sa puissance, la Belle
esclave, présentée par un riche Marchand, croise les yeux
d’un bondissant Corsaire et aussitôt c’est le coup de
foudre. Malheureusement elle est convoitée aussi, puis
achetée un bon prix, par le puissant Sultan. Du harem au palais,
de la prison au repaire des corsaires, les manœuvres de la
favorite du Sultan n’auront de cesse que sa rivale ne soit
éliminée. Après de multiples
péripéties, la fin fait se retrouver le Corsaire et la
Belle Esclave, mais condamnés tous deux par le Sultan à
être emportés par la fureur des flots.
Pour une entreprise de cette envergure, il fallait savoir
s’entourer de spécialistes et d'artistes de renom. Ils
sont venus aussi bien du monde du théâtre que de celui du
cinéma. Kader Belarbi s'est d’abord assuré la
collaboration artistique de Martine Kahane. Forte de trente-cinq ans
passés à la direction de la
Bibliothèque-musée puis du Service culturel de
l'Opéra de Paris, qu’elle a fondé, elle s’est
replongée dans les récits des écrivains
romantiques, avec en tête Hugo, Lamartine ou Flaubert, et dans
l’abondante iconographie, pour évoquer «non pas un
Orient qui danse, dans sa vérité sociologique et
chorégraphique, mais bien un Orient dansé, que cela soit
par des Européens pour des Européens ou par des Orientaux
pour des Européens. En somme, toujours "à la
manière de …", dans un geste adapté,
édulcoré, détourné selon les cas, et dont
le sens premier s’est perdu pour adopter celui d’une autre
réalité culturelle».
Maria Gutierrez (La Belle Esclave) et Takafumi Watanabe (Le Sultan)
La luxuriance des costumes tranche avec l’épure moderne
des décors. De simples voiles transparents harmonisés par
un splendide jeu de lumières se déplacent à vue
pour suggérer tantôt les arcades d’un palais,
tantôt les rivages de la Grèce. Le créateur des
costumes, Olivier Bériot, est déjà connu des
balletomanes pour avoir notamment conçu les costumes de Caligula, de Nicolas Le Riche, de Siddharta, de Angelin Preljocaj, et pour le Ballet du Capitole, La Reine morte
de Kader Belarbi. Il réussit l’exploit de les faire
paraître à la fois riches, complexes, modernes,
légers, et on ne peut mieux adaptés à la danse.
C’est le toujours enthousiaste David Coleman qui a
été convoqué pour l’arrangement musical. Se
basant principalement sur la partition d’Adolphe Adam, il y a
intercalé à des moments stratégiques quelques
compositeurs divers, le tout avec des transitions et des orchestrations
de son cru. Le résultat n’est en rien inoubliable, mais
malgré quelques temps morts se tient bien et surtout soutient la
danse.
Maria Gutierrez (La Belle Esclave) et Davit Galstyan (Le Corsaire)
Kader Belarbi s’est appuyé sur ses meilleurs danseurs pour
concevoir sa chorégraphie. Rythmée à la
manière académique par plusieurs pas de deux, elle gagne
sans aucun doute en densité au fil des tableaux et la succession
de la scène des Péris rêvées par le
Corsaire, des danses roboratives des pirates puis du
célèbre pas de deux est magnifique. Maria Gutierrez y
déploie une sensualité qui n’a pas si souvent
été exploitée dans ses rôles
précédents. Elle fait preuve d’une souplesse
impressionnante dans les différents portés et la
qualité de ses pointes fait merveille. Davit Galstyan se
transcende littéralement dans le rôle du Corsaire,
rôle explosif qui sera certainement à marquer d’une
pierre blanche dans sa carrière.
Celle qui, par ses réactions vindicatives et parfois
inconséquentes, fait avancer l’action est la Favorite
incarnée par Juliette Thélin, toute de passion contenue
sous son drôle de chapeau cornu. Takafumi, Watanabe montre pour
sa part une autorité nouvelle dans le rôle difficile du
Sultan.
Ainsi le Ballet du Capitole se dote d’un répertoire qui
lui est propre. En se donnant de plus les moyens de ses ambitions, il
ouvre une voie qui n’est pourtant que peu suivie.
Pourquoi?
Jean-Marc Jacquin © 2013, Dansomanie
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Maria Gutierrez (La Belle Esclave) et Takafumi Watanabe (Le Sultan)
Le Corsaire
Musique : Adolphe Adam, Jules Massenet, Anton Arenski
Edouard Lalo, Jean Sibelius, David Coleman
Conseillère musicale : Elena Rassadkina Bonnay
Chorégraphie et mise en scène : Kader Belarbi
Assistante chorégraphe : Laure Muret
Décors : Sylvie Olivé, Camille Ansquer
Costumes : Olivier Bériot
Lumières : Marion Hewlett
Le Sultan – Takafumi Watanabe
Le Corsaire – Davit Galstyan
Le Compère – Demian Vargas
La Belle Esclave – Maria Gutierrez
Les deux Esclaves – Juliana Bastos, Julie Loria
La Favorite – Juliette Thélin
Un riche marchand – Henrik Victorin
Ballet du Capitole de Toulouse
Orchestre national du Capitole de Toulouse, dir. David Coleman
Jeudi 16 mai 2013, Théâtre du Capitole, Toulouse
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