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critiques et comptes rendus
Ballets de Monte-Carlo

26 & 27 avril 2013 : Choré (Jean-Christophe Maillot) au Grimaldi Forum


choré JC Maillot
Choré (chor. Jean-Christophe Maillot)



Après Lac, Choré marque la seconde collaboration entre Jean-Christophe Maillot et Jean Rouaud. La participation, réitérée de surcroît, d’un écrivain de renom à la conception d’un ouvrage chorégraphique est aujourd’hui un fait suffisamment rare pour être soulignée d’entrée. Depuis Jean Cocteau, qui s’était plié à l’exercice une dizaine de fois, la voie n’a en effet guère été explorée, les chorégraphes préférant, le plus souvent, s’attacher à l’adaptation d’œuvres littéraires préexistantes.

Choré aurait dû en fait être le premier ouvrage réalisé conjointement par MM. Maillot et Rouaud, mais les aléas de la programmation en ont décidé autrement, et c’est Lac qui a été porté à la scène en premier. Les deux pièces ont en commun d’être dimensionnées pour une soirée entière et occuper un corps de ballet entier. On le sait, Jean-Christophe Maillot n’hésite pas à créer pour de grands effectifs, ce qui constitue en soi un acte militant, dans un contexte où les petites structures dédiées à la danse contemporaine prennent le pas sur les compagnies à vocation classique ou «néo-classique» (terme générique impropre, auquel il est difficile de trouver un équivalent), pour des considérations tant idéologiques qu’économiques.

Choré JC Maillot
Mi Deng dans Choré 

Choré, intitulé initialement Fred, en référence à Fred Astaire, se veut une sorte d’hommage à la comédie musicale américaine. Les notes d’intention de Jean-Christophe Maillot soulignent ainsi la volonté du chorégraphe de mettre en valeur l’opposition entre le style «aérien» d’Astaire et le caractère plus «terrien» de l’art de Gene Kelly. Fred est devenu Choré pour prévenir tout malentendu, le propos n’étant pas de construire une biographie fidèle du célèbre acteur américain. Il s’agit plutôt d’exposer, de manière métaphorique, la ligne de fracture qui sépare aujourd’hui le ballet académique – sur pointes, tout en élévation – de la danse contemporaine – pieds nus, dans le sol –, fracture que Jean-Christophe Maillot cherche précisément à réduire. Par-delà ce débat strictement artistique, Choré offre une autre possibilité de lecture, d’ordre plus sociologique ou politique : l’insouciance (apparente) de l’artiste face à la réalité – dramatique – du monde réel. Alors que l’apocalypse se prépare, Hollywood badine avec la chose militaire, met les jolies filles en rang et en uniforme. Hiroshima met brutalement fin à cette guerre en froufrous.

Sur le plan formel, Choré se divise en cinq «séquences» conçues de manière indépendante - une musique spécifique correspond d’ailleurs à chacune d’elles. C’est à la scénographie que revient la mission d’assurer la cohérence et l’unité de l’ouvrage.

La première partie nous plonge dans une ambiance intimiste et feutrée qui évoque (délibérément?) In the Night de Jerome Robbins, avec quatre couples qui évoluent avec élégance sous des éclairages tamisés. Dans les dégagements, on distingue de curieux bâtis métalliques sur lesquels sont empilés des objets ovoïdes, noirs et menaçants, dont la forme évoque celle du tristement célèbre «fat man», la bombe A qui s’abattit le 9 août 1945 sur Nagasaki. Conçues par le plasticien et scénographe Dominique Drillot – complice de longue date de Jean-Christophe Maillot -, ces astucieuses constructions se transforment, au fil de l’ouvrage, en sunlights de cinéma, en brasiers rougeoyants évoquant les décombres d’Hiroshima, en gamelang balinais (évocation, fortuite, cette fois, de la musique orientalisante de John Cage dans la quatrième séquence) et en piédestaux filigranes soutenant les danseurs dans leur envol ultime.

choré JC Maillot
Choré (chor. Jean-Christophe Maillot)

Le  travail de Jean-Christophe Maillot se distingue, comme dans Lac, par la maîtrise des grands mouvements d’ensemble et par une homogénéité de style qui transcende le caractère volontairement disparate des cinq séquences constitutives de Choré. On retrouve là également une réelle sensibilité musicale – le son fait partie intégrante de la chorégraphie, et ne se limite pas à un accompagnement purement décoratif -  et un sens aigu du théâtre, qui exige de la part des danseurs de solides qualités de mime – voire davantage, puisqu’ils sont  aussi sollicités vocalement. Le seul point quelque peu discutable de Choré est sans doute la fin. Le tableau, très coloré, qui voit toute la compagnie réunie sur la musique endiablée de The Band wagon (Tous en scène), célèbre comédie musicale de Vincente Minelli, s’étire un peu trop, au-delà d’une fausse conclusion destinée à tromper le public. Les applaudissements fusent et… le spectacle continue de plus belle, sans que le gag n’ait de réelle justification dramatique (hormis un clin d’œil à Broadway, bien que l'on demeure d’abord dans le registre du ballet).

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Bernice Coppieters (La Star) dans Choré 

Le mérite du succès de l’ouvrage revient aussi pour une bonne part à Dominique Drillot, qui a su créer un dispositif scénique audacieux, au service des intentions du chorégraphe et du dramaturge. Puisant son inspiration dans les spectaculaires réalisations cinématographiques que Busby Berkeley signa aux Etats-Unis dans l’entre-deux-guerres. Dominique Drillot use astucieusement d’un immense miroir suspendu aux cintres, qu’il utilise tel un écran sur lequel se projettent par reflets d’improbables escaliers, des cours cernées de gratte-ciel, au milieu desquels évoluent dans des alignements impeccables les «girls» des Ballets de Monte-Carlo. La quatrième section («Paysage de cendres»), qui évoque l’après-Hiroshima, est l’autre belle réussite plastique de Choré : l’illusion des corps flottants dans l’éther, débarrassés de toute pesanteur, est presque parfaite – sublimée par les sonorités étranges de la musique de John Cage. Un discret système de harnais parvient à mystifier le spectateur, un temps du moins.

L’interprétation ne souffre que peu la critique. Les danseurs des Ballets de Monte-Carlo sont rompus aux exigences de Jean-Christophe Maillot, qui a su s’entourer de quelques belles individualités. On ne présente plus Bernice Coppieters, égérie de longue date du directeur de la troupe. Dans la première séquence, son partenaire, Gabriele Corrado, fraîchement issu de la Scala de Milan, se montre bien plus qu’un faire-valoir et ne se laisse pas un instant éclipser par la forte personnalité,et et le physique sculptural de la Flamande. La quatrième séquence marque quant à elle les retrouvailles de Bernice Coppieters avec son compatriote Jeroen Verbruggen, formé, comme elle, à Anvers.

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Anja Ballesteros et Asier Uriagerkara dans Choré 

La tâche la plus ardue revenait néanmoins à Mi Deng, ancienne soliste du  Ballet National de Chine, venue s’installer sur le Rocher il y a à peine un an. Initialement, c’est la Japonaise Mimosa Koike qui devait incarner la survivante d’Hiroshima. Victime d’une blessure à quelques jours de la première, elle a dû céder la place. Mi Deng, moins minérale, et douée d’un tempérament peut être plus lyrique, relève le défi avec brio et imprime au rôle sa personnalité propre, toute d’émotion contenue.

La séquence n°2 «Silence, on tourne» offre quelques scènes traitées sous forme de sketches, dans l’esprit de The Concert, de Robbins. Elle est l’occasion pour les danseurs de faire valoir leurs talents d’acteurs, dans des emplois de composition. Bernice Coppieters est truculente en fausse Ginger Rogers, mais ce sont surtout Stephan Bourgond, star capricieuse, et Gaetan Morlotti, producteur déjanté, qui attirent l’attention.

Choré s’affirme ainsi comme un spectacle protéiforme, sans toutefois souffrir d’un manque d’unité rédhibitoire. On ne s’y ennuie jamais, et on pardonnera sans mal les quelques redites d’un final par ailleurs très coloré, évoquant (fortuitement?) ici ou là les ensembles endiablés d’Un jour à New York (On the Town), menés par Gene Kelly et Frank Sinatra.



Romain Feist © 2013, Dansomanie

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Bernice Coppieters, Stephan Bourgond (Les Stars) et Gaetan Morlotti (Le Producteur) dans Choré



Choré
Musique : Danny Elfman, Bertrand Maillot, Yan Maresz, John Cage, Daniel Ciampoli
Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot
Argument / dramaturgie : Jean Rouaud
Scénographie et lumières : Dominique Drillot
Costumes : Philippe Guillotel

Séquence 1 : "Splendeurs et misères"
Avec :  Bernice Coppieters, Gabriele Corrado
April Ball, Alexis Oliviera
Simone Webster, Stephan Bourgond
Liisa Hämäläinen, Alvaro Prieto
Jeroen Verbruggen

Séquence 2 : "Silence, on tourne"
Le Réalisateur –  Gaetan Morlotti
La Secrétaire – Mi Deng

L'Assistant – Asier Edeso
Les StarsBernice Coppieters, Stephan Bourgond

Séquence 3 : "La guerre est déclarée"
Avec :  Mi Deng

Séquence 4 : "Paysage de cendres"
Avec :  Bernice Coppieters, 
Jeroen Verbruggen
Anjara Ballesteros, Asier Uriagereka
Anja Behrend, Joseph Hernandez
Giovanni Mongelli, Leart Duraku

Séquence 5 : "La guerre est déclarée"
Avec :  tout le monde

Ballets de Monte-Carlo
Musique enregistrée

Vendredi 26 et samedi 27 avril 2013 , Grimaldi Forum, Monaco


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