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critiques et comptes rendus
Ballet Eifmann Saint-Pétersbourg

18 mars 2013 : Rodin et son éternelle idole au Théâtre des Champs-Élysées


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Rodin et son éternelle idole (chor. Boris Eifman)


Les grandes figures héroïques, voilà ce qui passionne depuis toujours Boris Eifman. De la mythique Giselle rouge au Hamlet russe - dansé un temps par le Bolchoï -, en passant par les plus récents Onéguine et Anna Karénine, les drames pleins de bruit et - plus encore - de fureur semblent pour lui une constante, une inépuisable source d'inspiration. Pas besoin d'aller chercher très loin, l'histoire russe, réelle ou fictionnelle, regorgent de cette matière jusqu'à plus soif.

C'est pourtant d'une histoire bien française, celle de Rodin et de Camille Claudel, que le chorégraphe s'est emparé pour son dernier ballet. L'histoire d'une passion aux frontières de la folie, à laquelle viennent se mêler les affres de la création artistique : l'essentiel d'Eifman est là, avec son imaginaire psychiatrique, naturellement propice aux pas de deux échevelés et aux ensembles frénétiques.

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Rodin et son éternelle idole  (chor. Boris Eifman)

Comme pour confirmer ces obsessions, ce Rodin débute dans un asile d'alienés – et s'y termine aussi. C'est là que Camille Claudel passe les dernières années de sa vie, c'est là que Rodin, âgé, vient la visiter, c'est là qu'il se remémore sa vie passée auprès d'elle. Les tableaux peuvent dès lors s'enchaîner sur deux actes pleins, entre réalité vécue et fantasmes. La narration ne cherche à cet égard ni le réalisme ni même la stricte chronologie. Les scènes lyriques entre Rodin et Camille dans l'atelier du sculpteur, les scènes typiques de la vie parisienne, alternent avec les retours au présent – celui que Rodin partage désormais avec Rose Beuret.


L'accent, en termes de spectacle, semble toutefois avoir été mis sur le thème de la création artistique. L'image finale, celle du créateur s'épuisant dans son atelier, tel Vulcain dans sa forge infernale, vient le confirmer avec pompe et grandiloquence. Le chorégraphe, dont on imagine sans mal qu'il doit s'identifier à la figure de l'artiste génial et tourmenté, règle pour sa troupe de véritables sculptures humaines, inspirées de celles du maître, qui, par la grâce de la danse, prennent soudain vie sous nos yeux. Si le temps vous manque pour aller visiter le musée Rodin, Boris Eifman le fait pour vous et vous donne à voir, en train de naître à l'existence, Les Portes de l'Enfer, l'Eternelle Idole, Clotho et quelques autres, consciencieusement répertoriées dans le programme. C'est impressionnant, à défaut d'être véritablement émouvant.

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Rodin et son éternelle idole  (chor. Boris Eifman)


Hors ce gimmick efficace, la grammaire de Boris Eifman demeure dans ce Rodin toujours identique à elle-même : un néo-classicisme immédiatement reconnaissable, fait de grands pliés à la seconde, d'hyper-extensions, et de toute une gamme de contorsions expressionnistes, que probablement seuls des danseurs russes peuvent assumer sans complet ridicule. Entre deux duos hallucinés, le chorégraphe nous sert, en manière de pause, quelques ensembles pittoresques – inévitables clichés d'un Paris fin-de-siècle : le cancan est au programme bien sûr, et, plus intéressante peut-être, une fête des vendanges revisitée, avec Camille Claudel en avatar obligé de la reine Giselle. Incontestablement, Eifman sait jouer avec la culture de son art, pour en faire un spectacle "qui fonctionne", un spectacle à la portée de tous, conçu pour être ovationné. La musique, comme d'habitude enregistrée, est un peu à l'image du reste : un collage habile, mais sans nécessité intrinsèque, de différents morceaux célèbres, signés de différents compositeurs, tout aussi célèbres. Exit le bien-aimé Tchaïkovsky, nous avons droit ici à une sorte de "best-of musique française" qui nous trimballe de Massenet à Erik Satie en passant par Saint-Saens, Ravel et Debussy. L'impression de recyclage s'étend enfin jusqu'aux décors modulables, en échafaudage, déjà aperçus dans Anna Karénine, et aux éclairages, d'un kitsch absolu.

A défaut, donc, de découvrir du neuf, il reste quand même à admirer la troupe - des solistes au corps de ballet -, tellement emblématique de la beauté russe, dans tout ce qu'elle a de plus excessif et de plus fascinant. Avec leurs physiques sublimes, à la limite de l'humain, leur engagement passionné dans le drame, ils sont cette pâte, soumise et obéissante, qu'Eifman ne cesse de modeler, sans pudeur, sans retenue, sans crainte du mauvais goût, d'œuvre en œuvre.




B. Jarrasse © 2013, Dansomanie

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 Rodin et son éternelle idole  (chor. Boris Eifman)


Rodin et son éternel idole
Musique : Maurice Ravel, Camille Saint-Saëns, Jules Massenet, Claude Debussy, Erik Satie

Chorégraphie : Boris Eifman
Décors : Zinovij Margolin
Costumes : Olga Shaishmelashvili
Lumières : Gleb Filshtinsky, Boris Eifman

Camille – Lyubov Andreyeva
Rodin – Dmitry Fisher
Rose Beuret – Nina Zmiviets

Ballet Eifman, Saint-Pétersbourg
Musique enregistrée

Lundi 18 mars 2013,  Théâtre des Champs-Élysées, Paris


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