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critiques et comptes rendus
Bayerisches Staatsballett (Munich)

05 - 08 mars 2013 : La Bayadère (Patrice Bart) au Nationaltheater


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La Bayadère (chor. Patrice Bart)


La Bayadère? Quelle Bayadère? Il a existé tant de versions de ce ballet, il a été si remanié, pour en excuser la profusion exotique, en renforcer la trame dramaturgique, renforcer le principal rôle masculin que la tentation peut être grande d’aller en quête d’une essence originelle cachée derrière les repeints. C’est ce qu’espérait Konstanze Vernon, alors directrice du Ballet de Bavière, en confiant la réalisation de cette nouvelle version créée en 1998 à Patrice Bart, à charge pour lui, entre autres choses, de recréer l’acte final perdu ; il faut reconnaître la grande honnêteté de la démarche, qui dévoile scrupuleusement ses sources dans le programme, qui mentionne d’ailleurs aussi ses limites, puisqu’elle ignore encore les leçons des notations Sergeiev de Harvard et lit l’héritage russe à travers le filtre de la version de Noureev, qui a marqué Bart. Le résultat, quinze ans après, est une énigme : où sont donc les fragments de pantomime originale que cette version devait préserver? Pourquoi vouloir se démarquer de l’exotisme bon marché des versions traditionnelles pour lui substituer le kitsch invraisemblable des décors et costumes de Tomio Mohri, bien plus gênants que ses costumes réalisés en 1992 à l’Opéra de Paris pour le Lac des Cygnes de Bourmeister?

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Peter Jolesch (Le Brahmane), Ekaterina Petina (Nikiya)

Six ans après la création de la version Noureev à l’Opéra de Paris, Patrice Bart semble avoir voulu avant tout prendre le contrepied de cette vision, mais ses décisions nuisent profondément au ballet, et notamment à sa dramaturgie : inverser le déroulement du premier tableau en ne faisant arriver Solor qu’après l’entrée de Nikiya, c’est en tuer la logique dramatique, en déconstruire la montée de tension. Si Patrice Bart entend donner plus de poids au personnage de Gamzatti en lui offrant une variation lors de sa première entrée, pourquoi se contenter d’une pareille banalité qui ne fait que la renvoyer à son anonymat?

Ekaterina Petina, arrivée à Munich en provenance du Mariinsky en 2009, est une Nikiya de grande classe, avec une danse remarquablement tenue qui cherche moins la démonstration technique que l’expression ; même si elle ne fait pas partie des cadres les plus anciens de la troupe, elle montre ainsi une belle adéquation avec le style de la maison. Le travail de précision n’en est pas moins extrêmement soigné, et elle n’a pas à rougir de la comparaison avec la star Polina Semionova, qui a il est vrai un handicap de départ, celui de devoir s’adapter en quelques jours à cette version peu confortable : le malheureux voile qui s’insinue partout où il ne devrait pas ne lui rend pas la tâche facile. Mais ces désagréments matériels mis à part, il est évident qu'on trouve avec l'ex-Berlinoise une Nikiya idéale, d'une ligne exemplaire, aussi bien dans l'importante partie dramatique que dans la danse pure, où elle est plus spectaculaire que sa collègue de Munich.

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Polina Semionova (Nikiya)

Ivy Amista, qui débute en Gamzatti, n’est visiblement pas arrivée au bout de ce rôle du premier coup, d’autant plus difficile que Bart a eu à cœur de renforcer le personnage, y compris par une très ingrate variation dans la scène des fiançailles. Le premier soir, pour sa prise de rôle, sa danse manque d’élévation, son personnage de caractère, et on se console en constatant que les difficultés techniques, fouettés compris, passent sans difficulté majeure. Le second soir, l’interprète a tiré profit de l’expérience, et à défaut de pouvoir rendre convaincant le rôle tel qu’il est, y compris dans la scène mal rythmée de confrontation avec Nikiya, elle suscite l’admiration par la solidité du travail du bas du corps, appuyé sur des pointes d’acier, qui lui permet de prendre possession de la scène avec plus d’assurance.

Solor, dans cette version, n’a pas toutes les difficultés que lui a concoctées Noureev : le rôle dans ces conditions n’est peut-être pas aussi brillant ; Lukaš Slavický peut du moins y faire montre de sa saltation et de son entrain, à défaut de tenter toutes les difficultés techniques qu’on peut y montrer. Son jeune collègue Maxim Chashchegorov est plus audacieux, et cela lui réussit : on est loin des performances gymniques des stars des compagnies russes, mais le résultat est convaincant et suffit largement à animer la soirée, mais aussi à convaincre un public enthousiaste. 

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Ivy Amista (Gamzatti), Maxim Chashchegorov (Solor), Polina Semionova (Nikiya)

Le reste de la distribution convainc moins. Ilia Sarkisov, qui faisait ses débuts en Idole dorée, manque comme beaucoup de danseurs l’esprit de sa variation, et il faut attendre le second soir pour qu’il en montre du moins à peu près la lettre ; là encore, la chorégraphie ne l’aide pas, puisque Patrice Bart a jugé bon de le flanquer de six idoles postiches qui s’agitent autour de lui dans un but pas très clairement défini. Les trois ombres, elles aussi, semblent tenter de suivre une liste de pas sans tellement en maîtriser le sens, y compris Lisa Maree Cullum, revenue sur scène après une longue absence et étrangement cantonnée à ce rôle à la fois subalterne et difficile.

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Ilia Sarkisov (L'Idole dorée)

Il est des moments où il faut oser faire le constat de la mort d’une production. Une décennie après cette première timide tentative de réflexion philologique, et cette fois en relation intense avec le travail des chercheurs, le Ballet de Bavière recréait un Corsaire mémorable, sous la férule du maître de maison Ivan Liška : la comparaison entre ces deux productions est cruelle, et on rêve que La Bayadère, en ces temps de crise économique, puisse un jour bénéficier du même traitement.



Dominique Adrian © 2013, Dansomanie

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Polina Semionova (Nikiya), Ivy Amista (Gamzatti), Elaine Underwood (Aija, la nourrice)


La Bayadère / Die Bajadere

Musique : Ludwig Minkus

Chorégraphie : Patrice Bart, d'après Marius Petipa
Décors et costumes : Tomio Mohri

Nikiya Ekaterina Petina (05/03) / Polina Semionova (08/03)
Gamzatti – Ivy Amista
Solor – Lukaš Slavický (05/03) / Chashchegorov (08/03)
Trois Ombres – Lisa-Maree Cullum, Zuzana Zahradníková*, Luisa Díaz González
*Zuzana Zahradníková n’a pas dansé sa variation le 08/03/2013
L’Idole dorée – Ilia Sarkisov

Bayerisches Staatsballett
Orchester der Bayerischen Staatsoper, dir. Michael Schmidtsdorff

Mardi 05 mars et vendredi 08 mars 2013,  National Theater, Munich


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