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critiques et comptes rendus
Ballets de Monte-Carlo

20 janvier 2013 : Lac (Jean-Christophe Maillot) au Grand Théâtre de Reims


Lac JC Maillot
Lac (chor. Jean-Christophe Maillot)



S'attaquer aux chefs d'oeuvre du ballet romantique pour en tenter une relecture est toujours un pari risqué, et ceux qui ont tenté l'aventure n'en sont pas toujours sortis indemnes. Mats Ek, avec Giselle, ou Jean-Christophe Maillot lui-même, avec La Belle au bois dormant, y ont, en dépit de la difficulté, rencontré le succès.

Pour cette récidive, Jean-Christophe Maillot ne craint pas de s'en prendre au saint-graal des balletomanes, Le Lac des cygnes, monument pourtant pas si intouchable, puisque John Neumeier ou Matthew Bourne s'y étaient déjà frottés. Prudents, ils ont mis, usant de l'artifice de la parodie ou de la réinterprétation, une distance suffisante avec l'ouvrage originel pour désamorcer par avance les possibles procès en sacrilège que les "gardiens du temple" autoproclamés n'auraient pas manqué de leur intenter.

Avec la complicité du dramaturge - et ancien Prix Goncourt - Jean Rouaud, Jean-Christophe Maillot emploie peu ou prou le même procédé, l'humour en plus. Mais la démarche du Directeur des Ballets de Monte-Carlo ne se limite pas à revisiter Le Lac des Cygnes sur un mode burlesque - et toutes les scènes sont loin d'être comiques d'ailleurs.

On sent, à chaque instant, de la part du chorégraphe, la volonté - implicite - de démontrer sa capacité à monter un Lac des cygnes de facture classique, même si, compte-tenu de l'effectif et du bagage artistique des danseurs des Ballets de Monte-Carlo (excellents, mais venus d'horizons extrêmement divers, sans "école" stylistique commune), il serait illusoire de chercher à concurrencer les grandes compagnies russes ou l'Opéra de Paris sur ce terrain.

En bref, "si on me le demande, je le peux", nous dit Jean-Christophe Maillot. De fait, la démonstration est convaincante. Il ne manifeste aucune prévention à mettre le corps de ballet et les solistes féminins sur pointe - et là, sans volonté parodique -, et manie les grands ensembles avec une élégance et une virtuosité que n'auraient pas dédaignées Petipa. Cela doit être souligné, tant les créateurs actuels paraissent se défier des effectifs nombreux, et se satisfont de petits groupes de solistes. Cette frilosité à appréhender les masses a d'ailleurs pour conséquence de fragiliser les compagnies "classiques", dont les bailleurs de fonds - publics ou privés -, ne voient dès lors plus la nécessité d'entretenir à grands frais des troupes de plus de cinquante danseurs, dont la moitié au moins sera largement sous-employée. On pourrait dresser un parallèle avec les grands orchestres symphoniques, dédaignés des compositeurs d'aujourd'hui.

Lac JC Maillot
Lac (chor. Jean-Christophe Maillot)

Jean-Christophe Maillot peut, fort heureusement, compter sur un groupe de haut niveau technique, et très homogène sur le plan physique, notamment en ce qui concerne les femmes, longilignes et de haute taille, atout indéniable dans une telle pièce, qui, même actualisée et parodiée, requiert de la fluidité dans les mouvements, mâtinée d'un minimum de lyrisme. Les mouvements de la volée de cygnes sont parfaitement coordonnés et les ports de bras ont fait l'objet d'un grand soin. Des différences sont davantages perceptibles dans le travail des jambes et des pointes, notament dans la célérité de la batterie et des frappés ; ici, la formation initiale des ballerines est manifestement déterminante.

Le Lac revu par Jean-Christophe Maillot est condensé de manière à tenir en deux heures justes, entracte compris. Les coupes auxquelles le chorégraphe a procédé ne sont pourtant pas aussi nombreuses qu'on pourrait le supposer, en raison d'un choix atypique - et assez judicieux - pour la réalisation de la bande-son, en l'occurence la version de Leonard Slatkin, avec l'orchestre - très bon - de Saint-Louis. Les tempi sont d'une rapidité extrême, outrepassant même parfois ceux des chefs russes les plus éruptifs, tel Evguény Svetlanov. L'interprétation musicale sert ici le propos du chorégraphe qui, paradoxalement, opère une sorte de retour aux sources, en privilégiant une grande célérité dans le mouvement, et en renonçant à une complexité excessive des pas, qui entraverait la fluidité du mouvement. C'est d'ailleurs cette vivacité permanente qui fait une bonne partie de l'attrait de ce Lac, qui ne distille jamais l'ennui.

Autre clin d'oeil au dix-neuvième siècle, le recours fréquent et sans états d'âme à la pantomime. Art trop souvent délaissé par les chorégraphes d'aujourd'hui, la pantomime est pourtant le seul artifice qui pemet de rendre la narration intelligible au spectateur. MM. Rouaud et Maillot ménagent aux danseurs de belles opportunités pour mettre en valeur leurs talents de comédien. Le rôle de "Sa Majesté de la Nuit", improbable drag-queen mettant en oeuvre toutes les fourberies pour marier sa fille, le Cygne noir, à un prince niais qui finit par se laisser abuser, est à cet égard un petit bijou. Maud Sabourin n'a d'ailleurs pas manqué de s'y faire remarquer. Alvaro Pietro, dans le rôle du Roi soucieux de "caser" son fils vaille que vaille, est également très drôle. Sa Majesté de la Nuit, pour parvenir à ses fins, n'hésite pas à tenter de circonvenir le patriarche, qui, après quelques tentations, l'expédie droit dans les bras de ... son épouse de Reine. Concession à l'air du temps ou, une fois encore, allusions aux scènes de tribadisme (suggéré) dont raffolaient les balletomanes égrillards d'un siècle romantique sur la voie de la décadence.

Pour servir leur propos quelque peu impertinent, Jean Rouaud et Jean-Christophe Maillot ont largement bouleversé l'ordre des numéros et réorganisé l'ouvrage en trois actes au lieu des quatres parties habituelles. Ce chambardement s'est heureusement fait, sur le plan musical, avec discernement, en évitant notamment des juxtapositions maladroites de tonalités éloignées. Une petite vidéo accompagnée d'une création électroacoustique de Bertrand Maillot - le frère du chorégraphe - a été ajoutée au début du ballet, afin de placer le spectateur "en situation", et de lui rappeler que ce n'est malgré tout pas une version "traditionnelle" du Lac des cygnes à laquelle il va assister.

En raison de l'exigüité du théâtre de Reims, l'astucieux dispositif scénique conçu par le plasticien Ernest Pignon-Ernest, collaborateur régulier des Ballets de Monte-Carlo, a dû être sensiblement réduit en largeur. Les danseurs, pourtant nombreux - ils sont près d'une soixantaine sur le plateau - n'ont pas paru trop entravés et se sont bien adaptés à l'espace restreint mis à leur disposition. La performance est d'autant plus méritoire qu'ils ont l'habitude d'exécuter Le Lac sur la scène du Grimaldi Forum de Monaco, dont les dimensions sont comparables à celle de l'Opéra Bastille.

Mais même sous ces fortes contraintes spatiales, la chorégraphie de Jean-Christophe Maillot ne perd rien de son attrait, et le public rémois, qui avait bravé les intempéries en ce dimanche neigeux de janvier, lui a réservé un accueil enthousiaste.



Romain Feist © 2013, Dansomanie

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Lac JC Maillot
Lac (chor. Jean-Christophe Maillot)



Lac
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovsky - Bertrand Maillot (musiques additionnelles)
Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot
Argument / dramaturgie : Jean Rouaud
Scénographie : Ernest Pignon-Ernest
Costumes : Philippe Guillotel
Lumières : 
Jean-Christophe Maillot et Samuel Théry

Le Roi –  Alvaro Prieto
La Reine – Mimoza Koike

Sa Majesté de la Nuit – Maude Sabourin
Le Prince – Stephan Bourgond
Le Cygne blanc – Anja Behrend
Le Cygne noir – April Ball

Le Confident du prince – Jeroen Verbruggen
Les Archanges des ténèbres – Asier Edeso, Bruno Roque
La Vaniteuse – Simone Webster
La Fausse indifférente – Noelani Pantastico
Les Libertines – Anjara Ballesteros, Anne-Laure Seillan
La Dévorante – Gaëlle Riou


Ballets de Monte-Carlo
Musique enregistrée

Dimanche 20 janvier 2013 , Grand Théâtre de Reims


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