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Ballet du Capitole de Toulouse
05 décembre 2012 : «Frictions» (Belarbi / Preljocaj / Inger), à la Halle aux grains
Etranges voisins (chor. Kader Berlarbi)
Le
premier programme de la saison 2012/2013 rendait hommage aux Ballets
Russes avec trois classiques du temps de Diaghilev, mais
revisités par trois chorégraphes de notre époque.
Ce spectacle intitulé «Frictions» rassemble à
nouveau trois œuvres contemporaines, dont une création de
Kader Belarbi, le Directeur de la compagnie toulousaine.
D’où vient que l’on en sort bien moins satisfait?
Certes on est passé des dorures du Théâtre du
Capitole à l’incommode Halle aux grains. Mais après
tout les pièces proposées s’y adaptent très
bien. Le programme «Stravinsky et la danse» faisait appel
aux forces musicales de la maison, qui lui donnaient beaucoup de
prestige, au point d’ailleurs d’y prendre presque toute la
lumière. On a ici une bande son, nourrie en grande partie par de
la musique électro-acoustique.
J. Leydier, J. Bastos, K. Akhmedyarov, T. Ten, K.-A. Chudoba, V. Baïet-Dartigalongue dans Etranges voisins
Faut-il
tout simplement mettre en cause la qualité des œuvres,
venant de trois chorégraphes qui ont pourtant déjà
fait leurs preuves par ailleurs? Il semble qu’en
réalité le ton soit donné par la création
de Kader Belarbi. Etranges voisins
propose de révéler l’imbrication entre animal et
humain à travers la danse. Le questionnement est celui-ci : que
reste-t-il de notre animalité dans le comportement humain? Et
peut-on la retrouver à travers la danse?
Huit danseurs, vêtus de tenues très colorées et
affublés étrangement de lunettes noires, qu’ils
n’ôteront que pour les saluts, parcourent de long en large
le vaste plateau de la Halle aux grains. Après
s’être jaugé mutuellement du regard, ils se tiennent
prêts, se défient, puis évoluent en alternant les
mouvements à grammaire classique et d’autres à
l’allure plus libre, plus instinctive. La musique d’Anthony
Rouchier, également connu sous le nom de A.P.P.A.R.T, combine
par des transitions habiles des concertos de Vivaldi et des extraits d'Un animal, des animaux,
partition électro-acoustique signée de Philippe Hersant
et destinée à l’origine au cinéma.
Kazbek Akhmedyarov et Jérémie Leydier dans Etranges voisins
Il
semble bien qu’une certaine liberté ait été
donnée aux danseurs pour imaginer leurs évolutions car
l’ensemble manque par trop de fil directeur, de
densité, de temps forts. Ou bien alors le temps a manqué
pour un travail approfondi, car hormis Tatyana Ten et Kazbek
Akhmedyarov qui tirent bellement leur épingle du jeu, les
prestations des danseurs donnent une impression brouillonne,
peut-être voulue. La problématique une fois comprise, et
malgré la forme cyclique du ballet qui se termine comme il avait
commencé, on n’obtient à travers
l’œuvre que peu de réponses sur les relations
humain-animal. On espère retrouver bientôt
l’inspiration tellement puissante du Belarbi de Liens de table.
Ironie volontaire ou pas, le ballet La Stravaganza d'Angelin
Preljocaj oppose lui aussi la musique de Vivaldi, instrumentale ou
vocale, à de la musique électro-acoustique, cette fois-ci
de quatre compositeurs différents : Ake Parmerud, Serge Morand,
Evelyn Ficarra et Robert Normandeau La thématique en est
également assez similaire, mais déclinée
différemment : deux groupes de danseurs s’affrontent. Le
premier groupe est habillé de tenues modernes, tuniques simples et pantalons
à ceinturons danse dans le style néo-classique. Un
deuxième groupe apparaît alors, vêtu en costumes
flamands de l’époque de Vermeer. Leur gestuelle en lignes
brisées, mais toujours bien ancrées au sol, marque un
langage totalement nouveau, ou du moins différent.
Matthew Astley et Lauren Kennedy dans La Stravaganza
Les
deux groupes s’opposent, se regardent danser chacun à leur
tour, puis échangent leurs expériences, fusionnent en
plusieurs combinaisons, dont un couple qui émergera.
L’amplitude des mouvements, le beau décor rougeoyant
dû à la plasticienne Maya Schweizer, contribuent à
l’éloquence du propos, et on est bien en face d’une
œuvre aboutie.
La Stravaganza de
Preljocaj résultait en 1997 d’une commande du New York
City Ballet, et dès lors, on en perçoit bien le message
caché. C’est donc le danseur, issu du cœur de la
«vieille Europe», qui, tel Prométhée offrant
le Feu sacré aux hommes, est venu apporter la modernité
à un «Nouveau monde» un brin figé dans sa
tradition néo-classique et son culte de la pure
virtuosité.
Il reste à savoir si la danse pourra un jour dépasser cet antagonisme.
Solène Monnereau et Alexander Akulov dans Wallking mad
Johan
Inger ne figurait pas encore au répertoire du ballet du
Capitole. C’était une lacune qu’il fallait
combler. Walking mad est un
ballet conçu pour trois danseuses et six danseurs, mais on peut
presque dire que le personnage principal en est la grande palissade de
bois qui est l’unique décor. Cette palissade percée
de multiples portes qui s’articule dans tous les sens sert tour
à tour d’obstacle, de barrière, de chemin de
passage. Sur le rythme obsédant du Boléro
de Ravel, qui n’aura jamais aussi bien justifié
l’exclamation «Au fou!» entendue lors de la
première orchestrale, les danseurs tournent autour de la
barrière de bois, la traversent, l’escaladent, la
renversent. On les voit anonymes habillés de gris, puis
coiffés de chapeaux de clowns en forme d’entonnoir, dans
une imagerie surréaliste à la Magritte. Le Boléro
s’arrête brutalement en plein milieu en un effet dramatique
saisissant et une danseuse reste seule, accablée au pied de la
palissade. Elle est rejointe par un, puis plusieurs danseurs.
Bientôt la musique minimaliste d’Arvo Pärt (Für Alina) remplacera celle de Ravel, appelant une conclusion en demi-teinte.
Shizen Kazama et Julie Loria dans Wallking mad
S’appuyant sur une citation venue de Socrate «les plus
grands bienfaits nous viennent de la folie», Johan Inger exprime
avec humour mais sensibilité la maladresse des rapports humains,
la conscience de nos propres limites, et nos tentatives de les
repousser, ou de les nier. L’énergie
déployée par les danseurs est revigorante. On soulignera
particulièrement les excellentes Gaëla Pujol et Julie Loria
qui démontrent des aptitudes prometteuses dans ce
répertoire. On les reverra avec plaisir.
Jean-Marc Jacquin © 2012, Dansomanie
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Maki Matsuoka et Nicolas Rombaut dans La Stravaganza
Etranges voisins
Musique : Philippe Hersant, Antonio Vivaldi, Anthony Rouchier
Chorégraphie : Kader Belarbi
Costumes : Philippe Combeau
Lumières : Patrick Méeüs
Avec : Juliana Bastos, Tatyana Ten, Isabelle Brusson, Virginie Baïet
Kazbek Akhmedyarov, Davit Galstyan, Kamill Chudoba, Jérémy Leydier
La Stravaganza
Musique : Antonio Vivaldi, Evelyn Ficarra, Serge Morand, Robert Normandeau, Åke Parmerud
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Décors : Maya Schweizer
Costumes : Hervé Pierre
Lumières : Mark Stanley
Avec : Taisha Barton-Rowledge, Olivia Hartzell, Maki Matsuoka
Lauren Kennedy, Vanessa Spiteri, Juliette Thelin
Alexander Akulov, Matthew Astley, Demian Vargas
Takafumi Watanabe, Nicolas Rombaut, Henrik Victorin
Walking mad
Musique : Maurice Ravel, Arvo Pärt
Chorégraphie, décor et costumes : Johan Inger
Lumières : Erik Berglund
Avec : Gaëla Pujol, Julie Loria, Solène Monnereau
Davit Galstyan, Takafumi Watanabe, Valerio Mangianti
Alexander Akulov, Shizen Kazama, Demian Vargas
Ballet du Capitole de Toulouse
Musique enregistrée
Mercredi 05 décembre 2012, Halle aux grains, Toulouse
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