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critiques et comptes rendus
Le Ballett am Rhein (Düsseldorf-Duisburg) au Théâtre de la Ville (Paris)

28 novembre 2012 : Forellenquintett et Neither (M. Schläpfer) au Théâtre de la Ville


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Neither (chor. Martin Schläpfer)


C’est au Théâtre de la Ville que le Ballett am Rhein, d’ordinaire domicilié à Düsseldorf et Duisburg, a fait ses débuts en France. Si la structure intercommunale de la Deutsche Oper am Rhein – qui servit de modèle, en France, à l’Opéra du Rhin - fut créée dès 1956, le ballet, lui, n’existe de manière autonome que depuis 2009. Martin Schläpfer, danseur et chorégraphe suisse, disciple de Heinz Spörli, en a été le fondateur et en assume depuis lors la direction.

L’esthétique de cet ancien lauréat du Prix de Lausanne peut être grossièrement définie comme «néoclassique». Pour Martin Schläpfer, l’utilisation des pointes ne doit toutefois pas être comprise comme une référence au passé, mais comme une composante – parmi d’autres - d’un langage tout à fait actuel. Martin Schläpfer s’est par ailleurs toujours montré fin mélomane et sélectif dans les choix de musiques destinées à accompagner ses ballets. Le grand répertoire allemand et russe (Bach, Schubert, Mendelssohn, Schumann, Brahms, Tchaïkovski…) prédomine, tout en faisant place à quelques grands noms de la musique du XXème et du XXIème siècle : Ligeti, Scelsi, Lutoslawski, Rihm…

Le programme offert au public parisien, assurément atypique pour les habitués du Théâtre de la Ville, était en tout cas représentatif de l’univers raffiné et policé dans lequel se meuvent Schläpfer et ses danseurs. Le goût sûr, plutôt que la provocation dure.


forellenquintett
Forellenquintett (chor. Martin Schläpfer)

Forellenquintett, qui occupait la première partie de soirée, est un ouvrage (faussement) léger, qui se veut un hommage à cette société viennoise arborant une insouciance de façade, qui cachait mal la terreur policière que faisait régner l’impitoyable Metternich sur l’Empire austro-hongrois durant le premier tiers du dix-neuvième siècle. La transposition à l’époque actuelle est suggérée par une brève citation de Don’t be shy de Cat Stevens, reprise par The Libertines. La violence terrienne de la musique rock créée un contraste violent avec l’ambiance douce et feutrée du monde subaquatique dans lequel Schläpfer entraîne ensuite le spectateur. Les cinq «truites» (symbolisant les cinq instruments du quintette : piano, violon I/II, alto, violoncelle), qui avaient subrepticement quitté le lit de la rivière pour aller s’encanailler auprès des humains, s’en retournent auprès de leurs congénères dans leur onde natale. Schubert peut officier. Mais la musique du maître de Lichtenthal est toute de nuances, et l’ombre de la Mort assombrit même les notes les plus lumineuses. Ici, la dame à la faux a pris les traits du pêcheur et de sa gaule. Les danseurs / danseuses - truites s’ébrouent et  baguenaudent avec des bottes – matérialisation délibérément grotesque du danger qui les guette – en toute inconscience.  

So zuckte seine Rute
Das Fischlein zappelt dran,
Ich sah mit regem Blute
Das arme Fischlein an
Sa ligne tressaillit
Le malheureux poisson s’y prit
Je pleurais des larmes de sang
En le contemplant de mes yeux


Martin Schläpfer a curieusement pris le parti d’interrompre son ballet avant le coup d’hameçon fatal – la truite n’est la douce prisonnière que de son prétendant ichtyque -, et laisse au spectateur-mélomane le soin de concevoir en son imaginaire personnel la tragédie finale. Ceux qui méconnaissent Schubert, pour un temps encore, se berceront encore d’illusions. Et ce Forellenquintett, aux relents surannés, se mue soudain en une cruelle allégorie des temps modernes.


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Neither (chor. Martin Schläpfer)

La seconde partie de soirée se voulait plus ambitieuse encore, avec Neither, transposition chorégraphique de l’opéra éponyme que composa en 1976 Morton Feldman, le maître américain du minimalisme, en collaboration avec Samuel Beckett. Neither, de par la réflexion philosophique qu’il propose sur l’utilité – ou la non utilité - de l’existence, constitue de fait un prolongement logique à Forellenquintett, qui pointait la vacuité – ou la dangerosité – des divertissement humains. Malheureusement, on outrepasse ici les limites des capacités expressives de la danse, qui ne parvient pas réellement à donner corps à la pensée de Beckett et de Feldman. La chorégraphie de Schläpfer est habile, avec des ensembles conçus et réglés avec le plus grand soin, mais la direction générale de la pièce n’est jamais perceptible. Peut-être était-ce d’ailleurs la volonté du chorégraphe, mais évoquer le vide en occupant l’espace par des pas de danse était sans doute une gageure impossible à tenir.

Le Ballett am Rhein n’en apparaît pas moins comme une compagnie de très bon niveau, composé de danseurs doués d’une excellente technique classique et faisant montre de beaucoup de fluidité dans les mouvements. Les corps sont laxes, les galbes harmonieux, et on admirera la grande vivacité dans la course et la giration que les artistes de la troupe ont su mettre au service de l’œuvre de Martin Schläpfer.  Le Ballett am Rhein mérite assurément d’être revu, en France ou à l’occasion d’un voyage Outre-Rhin, et certaines des créations de Schläpfer pourraient trouver leur place au sein du répertoire de l’Opéra de Paris.
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Romain Feist © 2012, Dansomanie

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Neither (chor. Martin Schläpfer)



Forellenquintett
Musique : Franz Schubert, The Libertines
Chorégraphie : Martin Schläpfer
Décors, costumes et installation vidéo : Keso Dekker
Lumières : Franz-Xaver Schaffer

Neither
Musique : Morton Feldman
Chorégraphie : 
Martin Schläpfer
Décors, costumes et installation vidéo : Rosalie [Gudrun Müller]
Lumières : Volker Weinhart


Ballett am Rhein
Musique enregistrée

Mercredi 28 novembre 2012,  Théâtre de la Ville, Paris


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