|




|

 |
|
|
Ballet du Capitole de Toulouse
24 octobre 2012 : «Stravinsky et la danse», au Théâtre du Capitole
Nicolas Rombaut (Pulcinella) et MariaGutierrez (Pimpinella) dans Pulcinella
C’est
avec tambours et trompettes que le Ballet du Capitole entame la saison
2012/2013, qui marque la prise de fonction de Kader Belarbi à sa
tête. Ce spectacle autour de Stravinsky s’accompagne
d’une multiplicité de manifestations qui lui donnent
davantage d’éclat. Citons entre autres une exposition et
une conférence de Martine Kahane sur les Ballets Russes et leur
rayonnement, une projection de film à la
Cinémathèque de Toulouse, une démonstration
commentée, illustrée par des artistes du spectacle, une
séance de lecture du fascinant journal de Nijinski. On en oublie
peut-être… En outre, et ce n’est pas le moindre
enrichissement, toutes les forces artistiques du théâtre
sont convoquées pour l’occasion : l’Orchestre
national du Capitole, son jeune directeur musical attitré depuis
2008 Tugan Sokhiev, enfin le chœur du Capitole, dont le travail
s’avèrera décisif.
L’intégralité du programme musical a
été de surcroît donné en concert quelques
jours avant.
Nicolas Rombaut (Pulcinella) et MariaGutierrez (Pimpinella) dans Pulcinella
Après un Rienzi
de Wagner qui a fait l’événement en ouverture de la
saison d’opéra, on dirait que le théâtre du
Capitole veut prendre une nouvelle envergure. C’est une
démarche à saluer, en un temps où toutes les
institutions culturelles sont plus ou moins menacées par des
restrictions budgétaires.
Pulcinella ouvrit
en 1920 le début de la période néo-classique de
Stravinsky. S’appuyant sur des œuvres, ou fragments
d’œuvres de (ou attribuées à)
Pergolèse, et sur un sujet tiré d’un manuscrit
trouvé à Naples, daté de l’année
1700, le compositeur se plongea dans l’esprit du pastiche avec un
rare bonheur. Les combinaisons instrumentales étonnantes et
toujours différentes, les couleurs contrastées de
l’orchestre, suivent de la manière la plus audacieuse la
ligne mélodique et le rythme de la musique du passé.
C’est
la version de Nils Christe, créée en 1987, que Kader
Belarbi a souhaité voir monter à Toulouse. Pour un de ses
rares ballets narratifs, le chorégraphe néerlandais a
développé l’argument d’origine, tout en en
conservant la trame. Dans un décor très coloré
évoquant un coin de rue de Naples, avec son linge étendu
aux fenêtres, et son petit peuple mêlé aux masques
traditionnels de la commedia dell’arte,
Pulcinella s’avère un véritable séducteur,
jusqu’à susciter beaucoup d’inimitié.
Laissé pour mort par deux jeunes gens dont il courtisait les
belles, il se relève indemne néanmoins. Echanges de
vêtements et suite de quiproquos s’enchaînent,
ressorts dramatiques indispensables, qui culmineront dans
l’épisode des quatre Pulcinella.
Le ballet réclame beaucoup d’engagement de la part des
danseurs. Mouvements presque acrobatiques, entrées et sorties
très rapides, expression exagérée par de grands
gestes, on est en lisière de plusieurs genres dramatiques : la
pantomime, le cinéma burlesque, le spectacle de clowns.
Malheureusement les exigences stylistiques de chacun des genres ne sont
pas satisfaites, et la distance poétique n’est pas au
rendez-vous, alors qu’elle est tellement présente dans la
musique de Stravinsky. On aimerait parfois moins d’agitation sur
scène et davantage de moments de danse. Lauren Kennedy,
Gaëla Pujol, nouvelle première soliste, et surtout Maria
Gutierrez nous en offrent les meilleurs dans les trois rôles
féminins principaux. Valerio Mangianti, Julian Ims et Davit
Galstyan font pour leur part des compositions sympathiques. Dans le
rôle difficile de Pulcinella, premier rôle-titre de la
nouvelle saison, le jeune Nicolas Rombaut fait ses premiers pas dans la
compagnie toulousaine. C’est une marque de considération
à laquelle il fait face avec conscience et entrain.
Juliette Thélin dans Symphonie de psaumes
Changement complet d’univers avec le deuxième ballet de la soirée Symphonie de psaumes.
Au pastiche volontairement souligné à gros traits,
succède une œuvre grandiose et puissante, d’une
haute spiritualité, composée «à la gloire de
Dieu», selon les propres mots de Stravinsky.
Disons-le tout net, on monte de plusieurs crans dans
l’inspiration chorégraphique. Le ballet date de la toute
première période créatrice de Jiří
Kylián, celle de la célèbre Sinfonietta.
On reconnaît immédiatement les chemises flottantes des
danseurs, les tuniques longues et les chaussons sans pointe des
danseuses. Les grands jetés et les grandes glissades, signatures
personnelles du chorégraphe à l’époque,
soulignent les moments d’émotion du premier psaume. Une
étrange correspondance se crée entre la musique,
exprimant tour à tour la supplication, l’action de
grâce, puis la glorification, le dispositif fermant
l’espace scénique, composé d’une multitude de
tapis orientaux, dont il faut rappeler la mystique des nombres
qu’ils reflètent, et les évolutions des seize
danseurs. Ceux-ci restent constamment en scène, au sein
d’un espace rectangulaire, enchaînant les pas de deux dans
un discours très fluide. Si Sinfonietta est un hymne panthéiste, Symphonie de psaumes, qui en est en quelque sorte le pendant, dégage un profond humanisme.
Tatyana Ten dans Symphonie de psaumes
Les
danseurs sont tous à louer pour le travail accompli. Citons
toutefois Julie Loria pour sa première apparition sur la
scène du Capitole, ainsi que Tatyana Ten, Demian Vargas ou Maki
Matsuoka. N’oublions pas non plus de signaler la subtilité
des lumières dues à Kees Tjebbes.
Le troisième ballet de la soirée réclame à
nouveau un important changement de l’ensemble instrumental. Il
faut installer quatre pianos à queue dans la fosse pour Noces.
Alors que la chorégraphie de Bronislava Nijinska est encore au
répertoire de plusieurs compagnies, c’est la version du
Belge Stijn Celis, créée en 2002 par les Grands Ballets
Canadiens qui nous est présentée.
Le Ballet du Capitole dans Noces
Dans la pénombre qui précède les premières
notes de musique, des hommes en costumes de marié, qui
ressemblent à des costumes de deuil, déplacent de longs
bancs de bois. Dès que la lumière se fait plus crue, les
mariées en robe de tulle font leur entrée. L’aspect
dissymétrique des robes, et surtout les visages grotesques des
danseurs défigurés par le maquillage, ne laissent aucun
doute sur les intentions du chorégraphe. Il s’agit
d’une charge féroce contre l’institution du mariage
et la grammaire utilisée ne lui laissera aucune chance de se
défendre. Suite effrénée de mouvements
extrêmement énergiques, violents, presque
désarticulés, tout le ballet est très
cohérent parce que totalement univoque. Si elle participe
d’un talent manifeste, il n’en est pas moins vrai que cette
méchanceté ne s’accorde guère avec la
mélancolie sourde qui sous-tend l’œuvre musicale,
sous des dehors naïfs. De son côté, la
chorégraphie de Nijinska témoignait jadis avec
éloquence du tragique de ces antiques épousailles de
campagne.
Mais les grands vainqueurs de la soirée furent bien les
effectifs musicaux, qui depuis la venue de Tugan Sokhiev, explorent le
répertoire russe avec toujours plus de bonheur. Et le travail du
Chœur du Capitole, sous l’impulsion de son chef Alfonso
Caiani est tout simplement admirable.
Jean-Marc Jacquin © 2012, Dansomanie
Le
contenu des articles publiés sur www.dansomanie.net et
www.forum-dansomanie.net est la propriété exclusive de
Dansomanie et de ses rédacteurs respectifs.Toute reproduction
intégrale ou partielle non autrorisée par Dansomanie
ou ne relevant pas des exceptions prévues par la loi (droit de
citation
notamment dans le cadre de revues de presse, copie à usage
privé), par
quelque procédé que ce soit, constituerait une
contrefaçon sanctionnée
par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la
propriété
intellectuelle.
Le Ballet du Capitole dans Noces
Pulcinella
Musique : Igor Stravinsky
Chorégraphie : Nils Christe
Décors et costumes : Tom Schenk
Lumières : Kees Tjebbes
Olga Savova, mezzo-soprano
Vasily Efimov, ténor
Gennady Bezzubenkov, basse
Pulcinella – Nicolas Rombaut
Pimpinella – Maria Gutierrez
Furbo – Davit Galstyan
Florindo – Valerio Mangianti
Caviello – Julian Ims
Prudenza – Gaëla Pujol
Rosetta – Lauren Kennedy
Le magicien – Jérémy Leydier
Tartaglia – Henrik Victorin
La Femme deTartaglia – Nuria Arteaga
Il Dottore – Vladimir Bannikov
La Femme du Dottore – Estelle Fournier
Symphonie de psaumes
Musique : Igor Stravinsky
Chorégraphie : Jiří Kylián
Décors : William Katz
Costumes : Joop Stokvis
Lumières : Joop Caboort, recrées par Kees Tjebbes
Avec : Julie Loria - Kazbek Akhmedyarov
Maria Gutierrez - Davit Galstyan
Juliette Thélin - Takafumi Watanabe
Ina Lesnakowski - Dmitry Leshchinskiy
Tatyana Ten - Demian Vargas
Maki Matsuoka - Alexander Akulov
Taisha Barton-Rowledge - Kamill Chudoba
Vanessa Spiteri - Nicolas Rombaut
Noces
Musique : Igor Stravinsky
Chorégraphie : Stijn Celis
Costumes : Catherine Voeffray
Lumières : Marc Parent
Le Père – Gennady Bezzubenkov
La Mère – Olga Savova
Le Fiancé – Vasily Efimov
La Fiancée – Anastasia Kalagina
Avec : Maria Gutierrez, Kazbek Akhmedyarov
Ballet du Capitole de Toulouse
Choeur du Capitole, dir. Alfonso Caiani
Orchestre national du Capitole, dir. Tugan Sokhiev
Jeudi 24 octobre 2012, Théâtre du Capitole, Toulouse
|
|
|