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critiques et comptes rendus
Ballets Trockadero de Monte-Carlo

28 septembre 2012 : Les Ballets Trockadero aux Folies Bergère (Paris)


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Avec leur nom à rallonge et leurs affiches bien rigolotes, les Ballets Trockadero de Monte-Carlo annoncent d'emblée la couleur du spectacle, un joyeux mélange de kitsch gay et d'humour au second degré, glorieusement assumé, jusqu'au bout du diadème et des faux-cils. Leur tournée parisienne se tient cette année aux Folies Bergère, temple des revues de music-hall, un écrin de fantaisie comme on n'en fait plus, tout d'or, de bleu, et de rouge vêtu, idéalement taillé pour leurs excentricités. Sauf qu'en réalité tous ces hommes en tutu sont bien autre chose que ce qu'ils paraissent, une énième troupe de transformistes drainant un public communautaire. Le truc des Trocks, comme on les appelle familièrement, c'est de revisiter dans ses grandes largeurs le ballet classique, son histoire, ses écoles, ses styles, par le pastiche et la parodie. On y rit, avant même le lever du rideau bouillonné, de l'annonce, avec accent rrrrrusse s'il-vous-plaît, du déroulement du programme et des nombreux remplacements de dernière minute de ballerines aux noms folkloriques (de Larissa Dumbchenko à Svetlana Lofatkina en passant par Alla Snizova et Irina Kolesterolikova, les Trocks affichent leur humour et... leur grande culture du ballet), diversement «souffrantes». Du coup, on a aussi un peu de mal à suivre la distribution réelle de la soirée... Le regard est acide, mais jamais méprisant à l'égard de la tradition dans laquelle tous ces danseurs accomplis ont été formés. Mieux que bien des programmes pédagogiques, les Trocks servent à leur façon, décalée et décomplexée, la mémoire du ballet.

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Swan Lake (Le Lac des cygnes)

Le spectacle débute avec Le Lac des cygnes - s'il n'en reste qu'un, ce sera celui-là. L'acte II, chorégraphié par Ivanov, l'instant emblématique du ballet classique, est l'un des morceaux les plus célèbres du répertoire des Trocks – leur tube incontournable pour tout dire. Dans ce parodique, tout le monde en prend tour à tour et simultanément pour son grade, à coup de bons gros effets burlesques : Benno, ami et confident du Prince venu en repérage avec son arbalète dans une obscure et mystérieuse forêt, Siegfried, bellâtre aux cheveux blond platine et à la mèche ineffable, pitoyable comédien comme il se doit, Odette, iconique diva au sourire forcé et à l'ego surdimensionné, ou Von Rothbart, Gargamel dégingandé aux yeux exorbités. Le corps de ballet, composé de huit cygnes bien-velus-bien-virils, multiplie de son côté les clins d'oeil gagesques à la chorégraphie originale, avec notamment l'inévitable parodie du quatuor des Cygnes-qui-ne-savent-plus-où-donner-de-la-tête. En fait, par-delà le Lac, ce sont un peu toutes les conventions du ballet qui sont soulignées et moquées : les artifices de la pantomime du ballet d'action, le danseur évaporé qui traverse la scène en courant - pour finir essoufflé, l'ego de la danseuse étoile - qui accapare fleurs et ovations, ou la discipline - plus ou moins - forcée des danseuses du corps de ballet, grandes bécasses en mal de reconnaissance. Public averti ou néophyte, tout le monde peut s'y esclaffer sans retenue, même si, à mon sens, le rire tend à s'y transformer peu à peu en simple sourire – peut-être est-il alors temps de passer à autre chose?

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Go for Barocco

Dans la deuxième partie, Go for Barocco, inspiré de Balanchine, installe un autre registre, moins ouvertement burlesque, plus à même de parler à un public connaisseur du ballet. En cette période de balanchinite parisienne aiguë, voilà un antidote à ingérer impérativement! Pastiche direct de Concerto Barocco, avec ses théories de danseuses qui se croisent et s'entrecroisent sans fin jusqu'à s'entrechoquer (on adooore!...), Go for Barocco offre des clins d'oeil à des oeuvres connues du maître - Apollon notamment – et un concentré bien senti de nombreux tics du chorégraphe.

Le Cygne nous revient ensuite avec le pas de deux du Cygne noir, confrontant une ballerine accomplie aux allures de matrone et un tout jeune prince, à la virilité pas très affirmée. On a l'impression d'assister à la rencontre incongrue entre une prima ballerina du Bolchoï et un récent lauréat du Prix de Lausanne. On jouit en tout cas de la virtuosité réelle des deux interprètes, tout en riant du contraste physique et stylistique que leur association souligne : la femme omnipotente et castratrice, l'homme désemparé face à ce qu'elle incarne, c'est la leçon qui ressort du tableau – est-ce pourtant si éloigné de l'imaginaire projeté par le ballet romantique?

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Dying Swan (La Mort du Cygne)

Le solo de La Mort du cygne, l'autre grand tube des Trocks, s'impose comme la reprise inévitable, assurée du succès auprès des spectateurs. Un projecteur cherche d'abord vainement la vedette dans l'obscurité du plateau, provoquant les rires avant même l'apparition de la star. L'interprète du jour, pétant de santé, étonne pourtant, tant il paraît aux antipodes du canon imposé par ce grand efflanqué de Paul Ghiselin, alias Ida Nevasaydeva, plus proche sans doute de l'esprit traditionnel de la caricature. Il reste tout de même de ce tube une trouvaille visuelle géniale : le tutu de la ballerine, en même temps que celle-ci mime l'agonie de l'animal, se déplume peu à peu, créant un effet dont le comique n'enlève rien à la beauté esthétique.

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Valpurgeyeva Noch (Walpurgisnacht)

La troisième partie, enfin, est entièrement dévolue à la seule vraie rareté de la soirée, Valpurgeveya Noch (ou Walpurgis Nacht), parodie enthousiasmante d'un divertissement mythologique de Léonide Lavrovsky. On n'a pas eu droit à Paquita pour cette fois, mais ce morceau, qui s'inscrit lui aussi davantage dans l'esprit du pastiche que de la caricature, en est un bon substitut. Le ballet, tiré de Faust et rendu célèbre par un film de 1956 avec Raïssa Struchkova et le Bolchoï, met en scène un couple typique du style héroïco-bravouresque soviétique, la Bacchante et le dieu Pan, entouré d'un corps de ballet de Faunes et de Nymphes. On est loin du burlesque du Lac et de ses gros gags plus ou moins hilarants, plutôt dans la connivence établie par la fidélité à un modèle. La chorégraphie est respectée et le style de l'époque est imité jusque dans ses moindres détails, du casque de cheveux blonds du danseur aux ports de tête et aux sourires exaltés de la danseuse. Virtuosité bulles de champagne et éclats de rire complices, que demander de plus pour finir en beauté une soirée?



B. Jarrasse © 2012, Dansomanie

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Swan Lake, Act II

Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski
Chorégraphie : parodie d'après Le Lac des Cygnes de Lev Ivanov et Marius Petipa

Go for Barocco
Musique : Jean-Sébastien Bach
Chorégraphie : parodie d'après Concerto Barocco de George Balanchine


The Black Swan
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski
Chorégraphie : parodie d'après Le Lac des Cygnes de Lev Ivanov et Marius Petipa
(Pas de deux du Cygne noir, acte III)

The Dying Swan
Musique :
Camille Saint-Saëns
Chorégraphie : parodie d'après La Mort du cygne de Michel Fokine

Valpurgeyeva Noch (Walpurgisnacht)

Musique :
Charles Gounod
Chorégraphie : parodie d'après Valpurgeyeva Noch de Léonide Lavrovski

Ballets Trockadero de Monte-Carlo
Musique enregistrée

Vendredi 28 septembre 2012,  Théâtre des Folies Bergère, Paris


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