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critiques et comptes rendus
Théâtre National de Chaillot (Paris)

21 juin 2012 :  Etés de la danse à Paris / Paul Taylor Dance Company, 2ème partie


company b
James Samson dans Company B


Une soirée parfaite (rien de moins)

Composer une soirée est toujours un art délicat. Pour la venue de la Paul Taylor Dance Company à Chaillot, le défi de l'arrangement était de taille, les Etés de la danse ayant souhaité proposer chaque soir au public un programme différent – treize ballets au total, répartis sur dix représentations. Après une première agréable, mais d'un intérêt sans doute un peu inégal, la troisième soirée nous offre le cocktail parfait : quatre ballets aussi différents que possible, mais chacun enthousiasmant à sa manière. Toutes les couleurs et toutes les tonalités semblent tour à tour - et parfois simultanément - s'y croiser, entre lyrisme et cruauté, sérénité et gravité.


aureole
Michael Trusnovec dans Aureole

Aureole est le Taylor historique du programme, une pièce créée en 1962, qui fêtera en août ses cinquante ans. Foin de la date-anniversaire - accidentelle -, Aureole est surtout d'une fraîcheur insolente – un concentré d'harmonie échappé à ce monde de brutes. Cinq danseurs vêtus de blanc se croisent au fil des cinq tableaux qui le composent, chorégraphiés sur diverses pièces de Haendel. Comme dans Esplanade, la danse paraît être un prolongement idéal et joyeux de ces fondamentaux que sont la marche, la course ou le saut. Chaque élément, sonore ou visuel - le choix musical, l'arrière-plan bleuté ou les costumes immaculés –, contribue ainsi à façonner une oeuvre lumineuse et sereine, résolument apollinienne. On pense d'ailleurs souvent à Balanchine, à quelque Concerto Barocco ou Square Dance revisité à la sauce de la «modern dance» - une danse plus ramassée, plus terrienne, plus «spontanée» que l'académique, mais non moins virtuose. Entouré de ses quatre muses, Michael Trusnovec, avec ses allures de statue grecque, apparaît comme le héros naturel de cette pièce, toute de pureté et de plénitude radieuse. Face à ce danseur altier – un visage de la beauté -, on aura aussi apprécié le contrepoint «latin» - volontaire? - apporté par le brun et bouillant Francisco Graciano – un autre de ses possibles.

big bertha
Amy Young, Michael Trusnovec et Eran Bugge dans Big Bertha

Après l'envolée céleste, Big Bertha signe, avec un rire grinçant, le retour brutal au réel. Une famille d'Américains typiques – papa, maman et leur fifille -, vient s'étourdir dans une fête foraine, rythmée par les sonorités d'un orgue de Barbarie. Avec leur look caricaturalement sixties, ils ont l'air de sortir tout droit d'un épisode de la série Happy Days. Ils sont à ce titre excellemment interprétés par Sean Mahoney, Laura Halzack et Eran Bugge, preuve que la Paul Taylor Dance Company n'est pas qu'une troupe de purs danseurs. La banalité n'est évidemment ici que de façade, une entrée en matière nécessaire pour mettre en scène le désordre et le chaos. Dans l'ombre de ce bonheur moyen guette une poupée-automate géante, incarnée par l'inquiétant Robert Kleinendorst, en réalité plus proche de la drag-queen que de la gentille attraction foraine. La danse des jours heureux se transforme alors en danse macabre et la comédie musicale en film gore. Le père viole sa fille, tandis que la mère se livre sans frein à des attouchements solitaires. Si Big Bertha n'était américaine, on dirait qu'elle ressemble à un fantasme célinien : dans toute fête se cache le visage de la mort. Créée en 1970, Big Bertha consacre-t-elle, après la plénitude d'Aureole, la fin du rêve américain? Elle en expose en tout cas une facette moins lisse, où les pulsions les plus primitives s'en donnent littéralement à coeur joie. Cloven Kingdom avait déjà montré par l'humour le barbare pointant sous le civilisé, Big Bertha nous refait la démonstration en version expressionniste. Cette fois, on n'échappera pas à la morale, particulièrement sombre, de l'histoire.


roses
Silvia Nevjinsky et Patrick Corbin dans Roses

Dans cette soirée très dense, Roses pourrait presque passer inaperçu. Son lyrisme est sans doute chose plus convenue dans l'univers chorégraphique, mais ce lyrisme n'en est pas moins hissé ici à son sommet. Après le kitsch noir de Big Bertha, cette pause pleine de douceur et de quiétude, orchestrée sur le Siegfried-Idyll de Wagner et l'Adagio pour clarinettes et cordes d'Heinrich Baermann, est donc la bienvenue. Rien d'original en soi : six couples nous dansent l'air bien connu de l'amour, entre union et désunion. Le sixième couple, tout vêtu de blanc, formé de l'indispensable Michael Trusnovec et de la lumineuse Eran Bugge, en propose in fine comme une version sublimée – une «mort des amants» idéale. Malgré des éléments parfois un peu acrobatiques et des sauts toujours bien présents, c'est l'épure et la sobriété du geste qui dominent la pièce. Quant au titre, si l'on n'est pas sûr d'en comprendre tout à fait le sens, on se dit pourtant qu'il va bien à cet ensemble aux tons cendrés, aussi poétique qu'élégant. De ce point de vue, on ne remerciera jamais assez Jennifer Tipton, la préposée aux lumières de Paul Taylor.


company b
Francisco Graciano dans Company B

Si tout doit finir par des chansons, alors Company B a sa place toute trouvée en conclusion de programme. Dans Company B, Taylor nous ressort quelques vieux tubes des Andrews Sisters, revendiqués comme antidote à la morosité, pour une joyeuse et très swingante série de variations autour du thème de la guerre en chantant. Souriante et nostalgique, légère et grave, virtuose et jazzy, Company B est l'oeuvre consensuelle par excellence, une oeuvre apte à plaire tous les publics, que peuvent s'approprier aussi bien les compagnies de répertoire que les grandes compagnies classiques. La Paul Taylor Dance Company lui apporte sa puissance athlétique et sa formidable énergie, en même temps que la diversité de ses visages et de ses corps – de la petite blonde délurée et increvable (Eran Bugge sur «Rhum and Coca-Cola») au séduisant géant à lunettes (James Samson sur «Oh Johnny, Oh Johnny, Oh!») – autant de visages typés d'une Amérique éternelle.




B. Jarrasse © 2012, Dansomanie

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Aureole
Chorégraphie : Paul Taylor
Musique : George Frederick Handel
Costumes : George Tacet
Lumières : Thomas Skelton

Avec : Michael Trusnovec, Amy Young
Michelle Fleet, Francisco Graciano, Heather McGinley


Big Bertha
Chorégraphie : Paul Taylor
Musique : orgues de barbarie de la collection du St. Louis Melody Museum
Costumes : Alec Sutherland
Lumières : Jennifer Tipton

Big Bertha – Robert Kleinendorst
Mr. B. – Sean Mahoney 
Mrs. B. – Eran Bugge
Miss B. – Laura Halzack

Roses
Chorégraphie : Paul Taylor
Musique : Richard Wagner, Heinrich Baermann
Costumes : William Ivey Long
Lumières :Jennifer Tipton

Avec : Michael Trusnovec, Eran Bugge
Amy Young et Sean Mahoney, Michelle Fleet, Robert Kleinendorst
Laura Halzack, James Samson
Parisa Khobdeh, Francisco Graciano, Heather McGinley, Michael Apuzzo

Company B
Chorégraphie : Paul Taylor
Musique : The Andrews Sisters
Costumes : Santo Loquasto
Lumières :Jennifer Tipton

Avec : Amy Young, Robert Kleinendorst, James Samson, Parisa Khobdeh  
Sean Mahoney, Jeffrey Smith, Eran Bugge, Francisco Graciano
Laura Halzack, Jamie Rae Walker, Aileen Roehl, Michael Novak, Heather McGinley


Musique enregistrée

Jeudi 21 juin 2012,  Théâtre de Chaillot, Paris


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